Hier soir, sur France 2, un sujet sur le 'copié-collé' - nom branché pour dire plagiat -; 3 minutes, c'est la règle. Il ne fallait pas donc en attendre le début d'une analyse ni l'esquisse d'une problématique. Etaient conviés, Hélène Maurel-Indart, universitaire spécialiste de la question, votre serviteur, le plagié de service, un nègre et Alain Minc. Le dernier mot est revenu à Minc - il y a fort à parier que cela lui donne un avantage -, mais il a un avis sur la question et cet avis mérite d'être pris en compte, même si je ne l'ai pas entendu comme il aurait souhaité qu'on l'entendît. Les idées sont libres, dit-il ; elles n'appartiennent à personne ; elles ne sont pas déposées comme une marque commerciale quelconque ; elles circulent et nul ne peut s'opposer à cette circulation qui est la condition même de la culture - je glose un peu la pensée de Minc -. Mais ces idées ne tombent pas toutes faites du ciel, fût-il platonicien. Elles sont le résultat d'un travail, d'une élaboration. Et contrairement à ce qu'on pense, tout le monde n'a pas des idées, même si tout le monde a les idées de tout le monde. Minc a des idées : dans son livre de Spinoza, l'idée qui lui appartenait en propre était la suivante : Spinoza, Marx et Fraud sont des juifs de rupture et ce sont des génies ; moi, Minc, je suis un juif de rupture, donc je suis un génie. Après, évidemment, une idée peut se discuter. Dans son livre sur Moulin et Bousquet, l'idée qui lui appartient en propre est la suivante : qu'est-ce qui explique qu'un individu tourne à droite plutôt qu'à gauche ? on ne sait pas, c'est un mystère. Même possibilité de discuter.
Bien évidemment, si Minc a été condamné pour plagiat, ce n'est pas à cause de ça - ni même à cause des autres idées qui ont donné un peu de contenu à ses livres. Mais bien parce que ces idées, ces faits, ces hypothèses, ces citations, ces enchaînements et jusqu'aux mots eux-mêmes, il les a copiés - et ce n'est pas bien de copier, tous les enfants le savent - chez d'autres et dans sa hâte il a oublié de mettre des guillemets, il a omis de donner quelques références. Or, cela constitue un délit - ce que rappellent les attendus des jugements -, depuis qu'ont été définis les droits de la propriété intellectuelle. Minc, qui a, parfois, un lexique un peu incertain promet qu'il se pliera aux exigences de la jurisprudence - cette expression ne veut rien dire ; on se plie aux exigences de la loi et un jugement rendu par la Justice fait parfois jurisprudence quand il se révèle plus sévère ou qu'il apporte telle ou telle nuance qui n'avait pas été prévue par le législateur et qui est rendue nécessaire par l'évolution même de la société. Il s'agit donc d'une décision de justice, d'une décision conforme au droit. Mais ces mots ne peuvent pas franchir les lèvres de Minc. Rien que d'y penser, il devient tout rouge.
Alors, il trouve un dérivatif - sur le ton de la confidence, cette phrase qui devait être le coup de pied de l'âne (c'est une expression) - je vais vous dire, moi, je n'aime pas les intellectuels-notaires. Qu'est-ce qu'il entend par là exactement ? sans doute, des intellos qui ne lisent les livres des autres que pour faire le compte et le décompte des emprunts plus ou moins ouverts aux idées qu'ils estiment, à tort selon Minc, leur appartenir. L'ennui c'est que le droit que Minc voudrait bien faire oublier fait ici retour parce que les notaires sont des officiers publics, dans les pays de notre tradition juridique, qui exercent un des métiers du droit - qui a la charge justement d'authentifier des textes et la conformité au droit existant. Maintenant, je rassure Alain Minc, les intellectuels qu'ils soient notaires ou pas ne l'aiment pas forcément non plus et vont finir par se méfier d'un pilleur potentiel. Et je crois pouvoir dire, pour ma part, que je n'aime pas, mais alors pas du tout, les notables qui pensent que leur notoriété les met au-dessus des lois.
Et il profère une menace - enfin ce que j'ai ressenti comme une menace. Ses prochains livres - parce qu'évidemment il va continuer d'écrire des livres, c'est plus fort que lui et comme, on l'aura compris, cela ne lui demande pas beaucoup de peine - il y a des esclaves pour ces tâches subalternes - il va les assortir de notes de bas de page longues comme ça ! quel aveu ! n'est-ce pas une manière d'avouer que dans une page de Minc il y a long comme ça d'emprunts faits à X ou à Y et fort peu qui soit de son propre cru - on s'en doutait, mais si lui-même le confirme, que demander d'autre ?