L'hiver a été long, n'est-ce pas ? des semaines, des mois de froid nocturne, de gelées matinales, de bise du nord qui accentuait encore l'impression de froid - normal ? oui, oui ; mais c'était comme si cet hiver n'en finissait pas avec ses fausses grippes et ses vrais rhumes, avec ses morts sur le trottoir ou dans des logements pas ou mal chauffés, avec son cortège imbécile de fausses gloires et de vrais escrocs.
Et puis, tout d'un coup, il a suffi de deux ou trois journées de soleil , c'est l'explosion au jardin ; les fleurs éclatent, violettes, pâquerettes, narcisses et jonquilles : la glycine se couvre de boutons qui se battent pour être le premier à donner sa grappe mauve, le bois mort des kiwis se fend pour laisser pointer des bourgeons duveteux, les iris se hâtent de grandir pour offrir leurs fleurs de Gallé, on voit déjà au groseiller des grappes de fruits, minuscules, du tronc gelé des lauriers-roses renaissent d'infimes pousses qui, très vite, vont faire oublier les trainées sombres qui demeurent encore sur l'écorce.
Et chacun ressent, dans son corps, le bienfait de cette douceur revenue, de cette force qu'on croyait à jamais disparue et qui rejaillit d'autant plus forte qu'elle aura été longtemps contenue et c'est un sentiment de gratitude à l'égard de ce don que la nature nous fait, à nouveau. On comprend que cette force ait pu servir de métaphore pour évoquer le mouvement populaire qui s'éveille après les années lourdes de triomphe de la réaction : 1848, le printemps des peuples !
Mais chaque année, le printemps revient, qu'il soit précoce ou tardif, timide ou tonnitruant. Alors qu'il n'en est pas de même en ce qui concerne les peuples. Explosion aléatoire que suivent des périodes de glaciation terriblement longues pour ceux qui en sont les premières victimes, le printemps des peuples n'obéit à aucun cycle et, pourtant, que pouvons-nous espérer d'autre ?