La conception de la vie est marquée par la société industrielle et productiviste. Elle la structure en trois périodes: l'école, le travail et la retraite. Cette structure est actée par deux âges légaux: la fin de la scolarité obligatoire (16 ans) et l'âge de la retraite (60 ans).
Sous l'impulsion des luttes sociales et du consensus formalisé au milieu du 20ème siècle (l'Esprit de Philadelphie), le développement économique a permis une ascension sociale basée sur l'éducation et une amélioration de la condition de vie des anciens. La retraite ne constituait plus, dans les années 1980, une assurance apportant les moyens de subsistance à ceux qui vivaient trop longtemps comme à l'origine, mais une période de pleine vie et d'activité non marchande. Si les études duraient plus longtemps, l'entrée dans la vie active se faisait rapide, comme la liquidation de sa retraite ouvrant sur une vie toujours active, mais non marchande.
Depuis trente ans, le monde vit sous l'influence du théorème de Schmidt et de sa mise en oeuvre plus ou moins violente. Les passages de la vie sont soumis maintenant à des aléas:
- la stabilisation dans l'emploi se fait aux alentours de 28 ans grâce à la généralisation d'études plus longues, mais aussi à cause des difficultés d'insertion et
- l'âge réel de départ à la retraite autour de 61 ans et demi par manque d'annuités malgré une cessation d'activité proche de 58 ans due à l'exclusion des séniors.
La régression sociale marquant ces trente dernières années a un impact sur les conditions de vie:
- Vivre trop longtemps redeviendra un risque mal couvert par les pensions pour la majorité, seul une élite pouvant prétendre profiter d'une vie plus longuement en bonne santé et active.
- Quitter le domicile des parents et s'insérer dans l'emploi, démarrer une vie de couple et avoir des enfants sera de plus en plus difficile et de plus en plus accessible qu'à une minorité.
La gouvernance de la société transforme, sous l'influence du théorème de Schmidt, une évolution humaine positive (longévité accrue, augmentation de l'espérance de vie en bonne santé et ouverture de l'enseignement supérieur au grand nombre) en difficultés (difficultés d'insertion sur le marché du travail, fins de carrière heurtées, risques de dépendance en fin de vie impossible à assumer, etc.).
Après une phase de réformes paramétriques, le gouvernement tente une réforme systémique qui vise à adapter les systèmes de retraite dans un système autorégulé sur la rémunération du travail, soit dans un système par répartition à droits non définis (systèmes par points ou en comptes notionels) soit dans un système à capitalisation soumis aux aléas des marchés financiers. Le recul de l'âge légal de la retraite, comme l'avancée de l'âge de fin de scolarité obligatoire (demandé récemment à 14 ans), ne règle rien. Ces paramètres légaux sont le fruit de l'histoire qu'il n'est pas urgent de modifier.
Autour de ces âges apparaissent bien deux séquences comme le souligne Thierry Pech (Alternatives Economiques Hors-série n° 085 - avril 2010): "La distance croissante entre la majorité légale et l'accès à l'autonomie met de nombreux jeunes en situation d'"attardés" dans la dépendance, creusant parfois les frustrations et aiguisant le sentiment de ne pas être à la hauteur des injonctions sociales d'accomplissement de soi. A ces "vieux jeunes" font écho, à l'autre extrémité, des "jeunes vieux" à la fois repoussés par le marché du travail et interdits de repos par les pouvoirs publics, alors qu'ils ne se sont pas encore gagnés par les handicaps de la vieillesse."
La quantité de travail par personnes pour produire plus de richesses diminue. Il faut répartir cette quantité de travail le plus largement, mais aussi répartir la richesse plus largement qu'aux actifs employés rémunérer:
- l'apprentissage de la vie en société de la petite enfance,
- la formation initiale pour assurer l'autonomie des "vieux jeunes",
- la formation continue suite à mobilité professionnelle voulue ou subie des "actifs",
- l'activité non marchande des "jeunes vieux" et
- la dépendance des "vieux".
La réforme de l'autonomie des jeunes et celle des retraites ne peuvent être menées que conjointement (pour organiser la solidarité entre générations). Elle ne peut être construite que sur l'augmentation du poids du travail dans le partage des richesses et la mise en place d'une maîtrise sociale des profits au détriment des actionnaires.