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Professeur Emérite à l'Université de Montpellier. Doyen honoraire de la Faculté de Droit. Président de la Convention pour la 6° République (C6R).

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Billet de blog 6 mars 2009

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Poutinisation. Rénovation.

L’affaire semble entendue: la présidentialisation absolue de la République atteint des proportions qui mettent en cause les principes fondamentaux de la démocratie. Celle-ci sera à reconstruire et la victoire de la gauche à une élection présidentielle n’y suffira évidemment pas.

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L’affaire semble entendue: la présidentialisation absolue de la République atteint des proportions qui mettent en cause les principes fondamentaux de la démocratie. Celle-ci sera à reconstruire et la victoire de la gauche à une élection présidentielle n’y suffira évidemment pas.

Pourtant le rôle des partis y demeurera essentiel, même si une crise sociale y contribue. Leur rénovation est donc une condition de la rénovation de la République, si ce n’est de son changement. Je veux donc expliquer ici ce qui m’a conduit à accepter la responsabilité de secrétaire national adjoint à la rénovation du Parti socialiste. Non pas pour en vanter la portée mais par simple honnêteté à l’égard des lecteurs de ce blog.

Si le débat sur la nature du sarkozysme a pris une telle dimension, c’est bien que la nature du régime dans lequel nous vivons est inhabituellement posée. Quel bonapartisme ? L’enquête de Laurent Mauduit ici même a apporté beaucoup de réponses. Les analyses de constitutionnalistes comme Dominique Rousseau ou Bastien François fécondent cette mise en examen de la destruction en temps de paix des bases de la démocratie représentative. Sans entrer dans ces débats, retenons le propos de Martine Aubry après la nomination de François Pérol : « Il faut que Nicolas Sarkozy sache qu’il est le chef de l’Etat et qu’il n’a pas vocation à nommer les présidents de banques après les patrons de presse, les procureurs et demain les juges d’instruction. »

Mais où et quand cessera-t-il de le faire ? Cette confusion et concentration des pouvoirs est évidemment le fait de l’actuel président, mais pas seulement : elle est inhérente à la V° République même quand celle-ci fut conquise par François Mitterrand. Simplement Sarkozy en modernise les termes à travers un mélange de vieilles pratiques abusives et de « storytelling » : l’expansion d’Internet a transformé l’économie du discours politique, les conditions de sa production et de sa circulation. Si bien que le statut même de la véracité du récit politique s’est affaissé. Le réel n’a plus d’importance allait jusqu’à dire ce conseiller de Sarkozy passé depuis à TF1. C’est cela qui brutalise aujourd’hui la société : une dislocation du temps de la délibération démocratique, notamment au Parlement qui se donne pour du volontarisme mais qui est un assujettissement de plus de la volonté nationale ; une décomposition des contre-pouvoirs et de leurs mécanismes ; une fermeture oligarchique de la décision politique plus grande que dans un système monarchique non constitutionnel.

C’est pourquoi la vérité de la France d’aujourd’hui est du côté de la Russie de Poutine : un pays à la culture traditionnellement autoritaire, qui a beaucoup emprunté au bonapartisme à la française. Après la chute de l’URSS, le renouveau démocratique y a été stoppé en 1993 quand Eltsine donna l’ordre à l’armée de faire feu sur le Parlement rebelle. Poutine sous prétexte de restaurer l’autorité de l’Etat est parvenu à maintenir l’apparence de la démocratie tout en vidant progressivement les institutions démocratiques de leur contenu. Le respect de la Constitution est allé avec la nomination d’un président virtuel pour mieux conserver le contrôle du pouvoir réel ; ce qui est passé par l’élimination de tous les centres rivaux qu’ils soient économiques, juridiques, culturels et bien sûr politiques tout ceci permettant l’établissement de rapports incestueux entre le monde des ressources énergétiques et celui de la politique.

Le retour d’un culte de la personnalité, terrorisant les ministres et collaborateurs est la marque de cette transition autocratique. Ceux qui voudront s’en mieux convaincre pourront lire les analyses de Pierre Hassner ; elles me semblent autoriser un rapprochement systémique entre poutinisme et sarkozysme. On ne sait tout simplement pas jusqu’où peut aller Sarkozy dans sa passion personnelle à tout contrôler; et ses sbires, tel son porte-parole Lefevre, semblent tout droit sortis de "Gangs of New-York", le film de Scorsese. Mais d’évidence les plus optimistes partisans de la révision constitutionnelle de juillet 2008 commencent à déchanter. Le plus célèbre d’entre eux, Jack Lang le dit sobrement dans son dernier livre (Le choix de Versailles. Calmann-Lévy. Février 2009) : « Au moment de partager avec les lecteurs ce qui fut pour moi, je ne m’en suis pas caché, une belle aventure intellectuelle et un moment politique intense et complexe, c’est un sentiment fort d’inquiétude qui me saisit. Un gâchis est encore possible (…) La révolution démocratique dont notre pays a besoin reste encore à venir. »

C’est à cette aune qu’il faut mesurer la tâche des partis et de ceux en particulier qui ont la défense et la promotion de la démocratie sociale et politique dans leur patrimoine. Je ne parlerai ici que du Parti socialiste dont je suis membre depuis 1986 et que je me suis efforcé de rénover à partir de 2001 avec Arnaud Montebourg. Membre de son parlement (le Conseil national) depuis 2003, fondateur et animateur de la Convention pour la 6° République j’ai constamment agi pour que ce parti tire les leçons de l’échec du 21 avril 2002. Les opportunités ont été rares, même dans le feu de la bataille pour le Non au référendum sur le traité constitutionnel européen finalement gagné avec les sympathisants/électeurs du parti. Les ouvertures de Ségolène Royal, à compter des primaires internes en ont été une autre (j'étais parmi ses conseillers) mais déçues par la suite de sa campagne. D’où un engagement pour la reconstruction d’une majorité de congrès à Reims en novembre dernier autour et avec Martine Aubry.

Et maintenant ? Je découvre un parti en complète jachère : la recomposition des forces organisationnelles doit aller de pair avec leur repolitisation. Ce dont le Parti socialiste a besoin c’est d’une modernisation autant que d’un rétablissement de ses valeurs premières. Quand en 1895 Jaurès avait le culot de penser à la fois « la propriété collective » et sa délégation à des « groupes d’individus », il permettait aux socialistes d’imaginer le général et le particulier, le social et la démocratie. Rénover aujourd’hui, c’est d’abord réinventer un projet dans un univers ravagé par des idées néo-libérales devenues normatives. Toute l’histoire de la social-démocratie montre que ses partis se sont imposés en Europe comme forces centrales et majoritaires quand ils ont produit ou adopté des idées que les conservateurs n’étaient pas encore prêts à accepter. La grande question n’est pas celle de la fidélité à la tradition mais celle d’une production idéologique et programmatique nouvelle.

La rénovation, c’est d’abord cela : un laboratoire d’idées permettant une autre conception du monde. Pour y parvenir, le parti doit inventer des procédures et des modes de fonctionnement en phase avec la société réelle : c’est tout autant l’assimilation des ressources de la société de l’information et de ses communautés virtuelles que l’implication de ses militants et sympathisants dans la conquête des pouvoirs. Ainsi la mise au point d’une procédure de primaires ouvertes aux électeurs en sera la traduction pour affronter l’échéance de Présidentielles devenues mortifères. Mais sans attendre cette échéance (d’ici la fin de cette année) le combat a été déjà mené sur le terrain des élections européennes.

Marine Aubry a officialisé à cet égard un vrai tournant dans son discours aux secrétaires de section le 1° février à la Mutualité en ratifiant les propositions du secrétariat à la rénovation pour la sélection des candidats aux élections européennes qui feront l’objet d’une charte que devra signer chaque candidat investi. L’exigence la plus importante sera ainsi un engagement total dans la fonction de député européen:un candidat à cette élection ne pourra pas exercer de fonction exécutive locale.

Les élus devront ainsi s’engager à temps plein à Strasbourg et Bruxelles. Un candidat ne pourra pas se servir de son mandat de député eu­ropéen comme tremplin personnel pour en briguer un autre, national ou local d’importance au cours de son mandat de député européen. Bien sûr cet aspect des choses est occulté ces temps-ci par les querelles concernant le choix des personnes. Mais il n’en reste pas moins un acquis. C’est à ce niveau qu’il faut juger la rénovation entreprise plutôt qu’à celui du seul décompte du nombre de secrétaires nationaux (qui oublie d’ailleurs allègrement l’inflation des délégués nationaux inventés par François Hollande et restés parfaitement impuissants).

Voilà en tout cas le travail qui m’occupera désormais. Ce blog en rendra compte en même temps qu’il sera le lieu du doute et des remises en question. Je sortirai donc du rôle de commentateur que j’y avais campé. Si je prends le risque d’un engagement plus exposé c’est parce que le sarkozysme m’est devenu totalement insupportable et qu’il appelle, me semble-t-il une reconstruction globale. Celle de la rénovation du parti socialiste en est un moment et un élément.

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