La préparation du congrès du PS est donc ouverte depuis samedi où le Conseil National a validé le dépôt de 171 contributions thématiques et 27 contributions générales. Ces chiffres inhabituels témoignent à la fois de l'extension du domaine du débat mais aussi de la dispersion des sensibilités, en particulier de celles incarnant une possible alternative à l'actuelle direction.
La question principale est de savoir si ces courants, souvent cristallisés depuis longtemps, sauront se dépasser pour présenter une motion unitaire le 11 avril prochain; autrement dit offrir un choix simple et clair, alternatif à la coalition des "amis" de J.C.Cambadélis, M.Valls, F. Hollande.
Des initiatives existent d'ores et déjà pour pousser dans ce sens. Ainsi 122 militants de la Fédération de l'Hérault ont-ils déposé une contribution générale pour prôner la construction d'un "pôle de reconquête des classes moyennes et populaires" (au lieu d'un "pôle de stabilité" voulu par 41 Premiers fédéraux proches du Premier secrétaire). Parmi eux, des parlementaires, des Conseillers généraux et municipaux, une quinzaine de Secrétaires Fédéraux et de section. L'originalité de leur texte est dans le fait qu'il ne part pas de considérations locales mais, bien au contraire d'une analyse des facteurs politiques qui expliquent selon eux la crise actuelle du Parti socialiste. Il rassemble des "amis" de Martine Aubry, Karine Berger, Gerard Filoche, Benoit Hamon, Frédéric Lutaud, Emmanuel Maurel, Arnaud Montebourg. C'est un cas sans doute unique à ce jour de rassemblement de sept positions différentes qui ont pour la plupart fait l'objet au niveau national d'un dépôt séparé de contributions spécifiques. On peut prendre connaissance de leur texte ci-après.
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POUR UN PÔLE DE RECONQUETE DES CLASSES MOYENNES ET POPULAIRES
Le congrès de Poitiers se réduira-t-il à une opération pour constituer un « pôle de stabilité » à la direction du Parti socialiste ? Depuis la nomination de Jean Christophe Cambadélis, nous avons assisté (et participé) à des renforcements successifs de l’organisation sans que jamais les causes des crises que nous traversons ni la politique que mènent nos représentants à la tête de l’Etat ne soient abordées de front et au fond. Pourtant les manifestations du 11 janvier ont exprimé un désir de République humaniste, ouverte à tous de par ses valeurs universelles de liberté et d’égalité. Il importe que non seulement nous donnions des réponses à ces attentes mais que nous expliquions aussi pourquoi notre relation aux classes moyennes et populaires s’est toujours plus distendue depuis 2012.
1) Les causes premières de la crise sont dans l'oubli par l’Union Européenne des classes moyennes et populaires qui ont été structurellement appauvries par une pression permanente sur leurs salaires, liée à une mise en concurrence excessive avec les pays émergents. L’absence d’un véritable projet européen social et politique commun basé sur la solidarité et le partage a dressé les uns contre les autres et a fait reculer l’envie de construire davantage un espace où l’homme dominerait l’économie, et où le modèle démocratique serait la norme. Comme l’a très bien dit Jürgen Habermas : « la mondialisation, c'est l'effondrement du pouvoir d'achat des bulletins de vote ».
Pour sortir de la crise, il faut renouer avec ces classes moyennes et populaires en renforçant la lutte contre leur appauvrissement économique, leur affaiblissement éducatif, leur déclin social et leur exclusion politique. Elles ont déjà payé la crise, elles ne peuvent pas payer de surcroît la sortie de crise. Si la zone Euro est la lanterne rouge de la croissance mondiale, c’est que l’Union Européenne a eu une approche exclusivement comptable à laquelle s’ajoute la sous-estimation chronique de l'impact des politiques de rétablissement des comptes publics sur la croissance, en plus de l'absence de politique de rachat de la dette publique par la Banque Centrale Européenne (que pratiquent pourtant désormais, toutes les banques centrales du monde entier).
C’est tout cela qu’il faut changer et plus que jamais. Or nous en sommes resté à l’application pure et simple de l’article 7 du Traité TSCG, ratifié sans que rien ne soit changé au projet initial et ce, en complète contradiction avec le 11° engagement du candidat Hollande ; un traité inapplicable tant ses objectifs sont irréalistes et susceptibles de plonger l’ensemble du continent dans le chaos. Ainsi la nouvelle Commission Juncker a accordé un sursis à la France pour réduire son déficit supérieur à 3% du PIB ; en échange, elle préconise une réforme sans délai du marché du travail et des retraites, d’un élargissement de la mise en concurrence des services publics, d’un allègement de la fiscalité des entreprises. Cela suppose d’accepter la perspective d’une diminution des salaires, des prestations sociales et 15% de chômeurs. L’accomplissement de ce processus deviendra irréversible avec l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis que la Commission veut conclure à marche forcée et en catimini.
Voilà ce que sont les vraies causes de la crise. C’est cela qui reste à « réorienter » comme nous avions promis de le faire et que nous n’avons pas fait. Heureusement d’autres s’en sont chargés avec courage. C’est le cas de Syrisa en Grèce qui s’est hissée en quatre ans au niveau d’un parti de gouvernement et donne une nouvelle chance à l’Europe des peuples. Durant ces années, la direction du PS a systématiquement refusé de rencontrer ses représentants, ce qui ne l’empêche pas de déclarer depuis le dimanche 25 janvier qu’elle en est très proche (!). Chiche : engageons ensemble la bataille de la renégociation de la dette et de la sortie des politiques austéritaires.
2) Mais la politique que nous menons à la tête de l’Etat dans le domaine économique et social n’est pas celle pour laquelle nous avons été élus en 2012. L’annonce d’une indispensable réforme fiscale a été oubliée. La promesse de domestiquer la finance et de réguler les marchés a été abandonnée au profit d’un soi-disant « socialisme de l’offre » qui a oublié le levier de la demande populaire. Le Crédit d'Impôt Compétitivité Emploi (CICE) et le Pacte de Responsabilité sont « un échec » reconnaît Emmanuel Macron lui-même. Six branches économiques seulement sur quarante ont commencé à négocier les contreparties pourtant promises par le patronat. Il fallait appliquer une règle des trois tiers pour l'affectation des économies de dépenses publiques et des efforts budgétaires : un tiers affecté à la réduction du déficit public ; un tiers affecté à la baisse des prélèvements obligatoires sur les entreprises ; un tiers affecté à la baisse de la pression fiscale sur les ménages afin d'améliorer leur pouvoir d'achat. Il n’en a rien été alors que cette règle des trois tiers aurait été de nature à soutenir la croissance tout en permettant le rétablissement de nos comptes publics.
Créer de l'emploi et cesser d'en détruire relève pour une part de la responsabilité de l’Etat. Or ses actions volontaristes sont restées contrariées (Florange) ou isolées (tel le décret du 14 mai 2014 pour contrôler les investissements étrangers en France afin d'éviter que certaines entreprises ne deviennent des proies faciles).
Le travail de reconstruction de notre appareil productif, dégradé et abîmé par de longues années d'inaction a été entrepris puis interrompu. Or il ne peut y avoir de modèle social ni de service public, ni de puissance diplomatique et militaire durablement financés si nous ne disposons pas d'un appareil productif restauré, fort et créateur de richesses. Les annonces les plus récentes (sur le travail le dimanche, le contrôle des chômeurs, la responsabilité sociale des entreprises multinationales) font douter que nous ayons un gouvernement attaché à défendre un modèle de société de progrès humain. Enfin la transition énergétique reste en panne et avec elle, les grands investissements, les fortes capacités d’innovation et d’expérimentations qu’elle exige.
Le sursaut civique du 11 janvier a encore élargi le périmètre de notre devoir d’incarnation de la République. Résister à la tentation d’un « Patriot Act » c’est, comme le dit la Fédération Internationale des Droits de l’Homme, renforcer la sécurité au service des libertés plutôt qu’à leur détriment ce qui est la condition de mener à bien les chantiers essentiels : l’éducation à la citoyenneté, l’égalité entre les sexes, la réduction des inégalités sociales, la promotion des droits universels. Le problème du terrorisme se trouve au carrefour de la politique carcérale, de la politique de la ville, de l’éducation, Nous devons renouer avec la laïcité des pères fondateurs, non punitive, non discriminante, celle qui respecte toutes les croyances et agnosticismes, celle qui fait de l’école une structure démocratique à laquelle l’enfant participe comme futur citoyen, là où il apprend à raisonner et à délibérer. Nous devons en même temps promouvoir tous les savoir-faire de l’éducation populaire dont bien des nôtres sont des militants.
3) L’issue démocratique de cette crise et de cette politique est dans la rupture avec un système oligarchique anachronique, celui de la V° République. Seul contre tous les autres pays membres de l’UE, nous avons renforcé encore un peu plus le présidentialisme bonapartiste des institutions ; il devient une contradiction majeure avec l’aspiration à la démocratie délibérative et participative de la société réelle. La troisième révolution industrielle, celle de la cybernétique et de l’information, dans laquelle sous sommes entrés condamne les hiérarchies bureaucratiques et organisationnelles. La créativité et l’horizontalité des réseaux sociaux est inassimilable à la reproduction du vieux monde institutionnel et partisan. Déjà en 1976, Pierre Mendès-France disait : « Choisir un homme, fût-il le meilleur, au lieu d’une politique, c’est abdiquer. Encourager la Nation à croire que tout cela sera résolu par un homme, sans qu’elle intervienne elle-même, sans qu’elle choisisse et décide, c’est donner aux mauvais politiciens une chance inespérée ». L’abstention qui n’en finit pas de progresser se nourrit de cette indifférence vis-à-vis d’un système qui est abandonné par les citoyens. Or les socialistes s’y sont enfermés comme dans un bunker, laissant penser qu’ils n’ont pas d’alternative démocratique à lui opposer. Il faut en sortir d’urgence, non en aggravant le mal avec un soi-disant régime présidentiel, mais avec une République parlementaire primo-ministérielle ; elle est le bien commun des sociétés en voie de modernisation, de l’Europe jusqu’à la Tunisie. Il ne faut donc pas se contenter de quelques mesures cosmétiques (le droit d’amendement citoyen, la réduction du nombre de parlementaires, la dose de proportionnelle dans les élections législatives…) amendant la Constitution de la V° République: il faut changer de Constitution. Le passage à une 6° République garantira un équilibre des pouvoirs, une juste représentation des opinions et des catégories sociales, un exercice civique limité dans le temps des mandats électifs, un respect des aspirations et revendications citoyennes. Elle engagera la réforme essentielle de la sélection des « Grands corps » par des Ecoles qui n’ont souvent de « grandes » que le nom. Elle permettra une évolution du système des partis, aujourd’hui confiné au rôle de machines électorales et de fermeture illégitime de la politique pour quelques « professionnels ». En ce sens nous réclamons une exemplarité de nos élus tant en ce qui concerne le respect du non-cumul des mandats y compris dans le temps, que dans le rapport entre les principes qu’ils sont sensés incarner et leur comportement personnel.
Ce combat est inséparable de l’extension de la démocratie dans le parti. Sans doute le respect de la représentation proportionnelle des opinions est-elle un acquis indéfectible de notre histoire. Il va avec le respect d’un autre principe, celui de l’engagement et du travail des militants. Or cet héritage est de plus en plus remis en question par un appareil qui verrouille de plus en plus le débat interne. Par exemple, nous n’acceptons pas que le travail décentralisé que nous avons fourni avec de nombreux sympathisants à l’occasion des Etats Généraux ait été ramené à une opération de communication. Nous ne nous satisfaisons pas des formules creuses du rapport « Rénover pour (re)conquérir » présenté par Christophe Borgel et adopté par le Conseil National le 13 décembre 2014. Il fait silence sur des questions essentielles pour la rénovation comme les Primaires dont on peut craindre l’enterrement alors qu’on devrait débattre de leur extension à d’autres scrutins que la Présidentielle (et à leur mise en œuvre en 2017). Les recettes organisationnelles, les ressources d’Internet et la communication moderne doivent être au service de la politisation des adhérents et des sympathisants comme cela fut justement démontré durant les Primaires de 2011. Depuis des mois, l’actuelle direction s’emploie à renforcer un appareil dont le nombre d’adhérents se réduit dangereusement ; elle esquive ainsi avec talent les débats sur la politique que nous menons et sur notre manière d’exercer le pouvoir. La non-discussion de la réforme territoriale (qui atteint parfois des sommets d’incohérence et d’inintelligibilité) est le dernier exemple d’une vitrification anti-démocratique des capacités militantes du parti. C’est avec ce mépris technocratique que nous voulons rompre.
La force du Parti repose principalement sur l’engagement militant. Celle-ci s’exprime au travers de ses élus locaux ou de ses parlementaires (pas au point cependant de déclarer, toujours dans le rapport Borgel que « la conquête électorale est la seule garantie de la capacité à transformer la société » !). Cette fracture est aujourd’hui telle que le Parti ne cesse de réaffirmer de manière incantatoire son attachement aux militants (Charte éthique, Etats généraux…). Les échecs cumulés aux municipales, et craignons-le, aux cantonales et régionales, ne vont-ils pas marquer un tournant dans le fonctionnement de ce parti d’élus et exiger de nouvelles réponses ? Pour l’instant, le gouvernement décide, le parti communique. Pour les militants, c’est une interrogation : des réformes sociétales sans réformes sociales, une réforme territoriale sans convention militante et sans débat sur le rôle de l’Etat ou la réforme Macron sans réforme fiscale. Si le militant a la peau tannée, il s’interroge sur l’évolution vers un parti croupion ou godillot, peu respectueux de ses propres règles. Un parti qui nous ramènerait à la SFIO de Guy Mollet.
Sur ces bases et perspectives, nous appelons donc au rassemblement de tous les militant(e) s de la Fédération de l’Hérault (et au-delà) qui se retrouvent autour de ces valeurs ; mais aussi de tous ceux et celles qui se reconnaissent dans ce texte et qui ne veulent pas d’un congrès de ratification d’une politique erronée qui met le socialisme et la Gauche en question. Nous appelons à dépasser les clivages issus des précédents congrès pour faire une nouvelle majorité, une majorité d’ouverture à l’ensemble des forces progressistes et écologistes ; bref faire émerger une ligne politique alternative. Nous appelons à relever le défi de la reconquête des couches moyennes et populaires sans laquelle il n’y aura bientôt plus d’avenir pour le parti socialiste.
Contact: CALVO Michel <calvo.michel@orange.fr>