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Professeur Emérite à l'Université de Montpellier. Doyen honoraire de la Faculté de Droit. Président de la Convention pour la 6° République (C6R).

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Billet de blog 11 décembre 2008

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Droit d’amendement : le spectre de M. Smith

Les atteintes portées au droit d’amendement par le gouvernement ce 10 décembre (ça ne s’invente pas !)

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Les atteintes portées au droit d’amendement par le gouvernement ce 10 décembre (ça ne s’invente pas !) touchent à un principe essentiel dans toutes les démocraties parlementaires : le droit d’amendement est le corollaire de ce qui reste de l’initiative législative et il est l’expression juridique de la délibération.

L’agacement présidentiel, paraît-il de haute intensité face à la bataille que livre la gauche avec le soutien muet d’une partie de la droite contre la loi sur l’audiovisuel exploite ces circonstances pour réviser encore un peu plus en baisse l’usage historique de ce droit. Tout se passe comme si un pan important de la culture parlementaire pouvait être effacé à l’occasion de l’obstruction que fait l’oppositionà l’Assemblée Nationale.

Or l’obstruction est partie inhérente du droit d’amendement. Celui-ci est réglementé et plus que jamais depuis 1958. Le Conseil constitutionnel s’est même régulièrement permis une interprétation extensive de l’usage de ce droit tout en reconnaissant à chaque fois qu’il était le moyen irréfragable pour modifier les textes présentés par le gouvernement.

Des lois aussi importantes que par exemple celles sur la décentralisation en 1982 et 1992, sur l’enseignement supérieur en 1984, sur la bioéthique ou le nouveau code pénal en 1994 ont été entièrement réécrites par ce biais. Par ailleurs des lois aussi contestées que celle dite « sécurité et liberté » en 1980 ou la révision de la loi Falloux en 1993 ont été bloquées par l’opposition de gauche de l’époque, appuyée par de puissants mouvements dans l’opinion.

Dans la même situation, la droite a usé de ce droit contre les lois de nationalisation en 1981 ou contre la loi Savary en 1984. Dans ces cas, plutôt rares, l’obstruction devient un instrument de respiration démocratique dans un régime qui accorde si peu de droits à l’opposition. Cela ne saurait faire oublier l’impressionnante batterie dont dispose le gouvernement pour contenir cette prérogative parlementaire emblématique.

Le vote bloqué (art. 44, al. 3), l’irrecevabilité en matière financière (art. 40) sans parler du fameux article 49, al. 3 sont autant d’armes absolues pour venir à bout d’une résistance parlementaire. Mais les gouvernements répugnent à les utiliser tellement la vérité du système apparaît alors crûment dans sa dimension la plus déséquilibrée.

Vu la dégradation de la vie législative et notamment la multiplication de lois de circonstance, la tendance est à l’élévation régulière du nombre d’amendements par législature car c’est le seul moyen grâce auquel le Parlement n’est pas une pure et simple chambre d’enregistrement. On est passé de près de 60.000 sous la XI° législature (1997-2002) à 234.000 sous la suivante (2002-2007). Cette situation est la rançon du présidentialisme et de l’inféodation du Parlement aux volontés législatives discrétionnaires de l’exécutif. Mais il ne faut pas perdre de vue pour autant l’essentiel : la plus ancienne tradition démocratique impose le respect du droit d’amendement et de ses abus.

Les Américains connaissent très bien le « filibustering », autrement dit la règle qui veut qu’un seul sénateur puisse se faire corsaire en occupant éternellement la tribune, à condition de ne jamais s’interrompre pour tentre d’imposer ses vues à la majorité. Frank Capra fit en 1939 de cette antique liberté inscrite dans le règlement du Sénat un magnifique film : Monsieur Smith (superbe James Stewart) se tient vingt-trois heures à la tribune de l’assemblée, le temps qu’il faut pour qu’un petit journal de scouts paraisse à un million d’exemplaires et dénonce les turpitudes de sénateurs affairistes. Quand Smith s’évanouit de fatigue, il a gagné et la démocratie avec lui.

Son spectre hante l’attentat de Sarkozy en ce 10 décembre, jour du 160° anniversaire de la funeste élection de Napoléon le Petit.

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