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Professeur Emérite à l'Université de Montpellier. Doyen honoraire de la Faculté de Droit. Président de la Convention pour la 6° République (C6R).

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Billet de blog 17 juin 2014

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Sur la mort annoncée du Parti socialiste

Ce samedi 14 juin fut une étrange journée: on entendit le Premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis annoncer la possible mort de sa formation, décès que le Premier ministre Manuel Valls étendait  à toute la gauche. Au diable l'avarice. L'analyse ne manquait ni de force ni de culot  mais sa portée politique est plus que problématique.

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Ce samedi 14 juin fut une étrange journée: on entendit le Premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis annoncer la possible mort de sa formation, décès que le Premier ministre Manuel Valls étendait  à toute la gauche. Au diable l'avarice. L'analyse ne manquait ni de force ni de culot  mais sa portée politique est plus que problématique.

L'analyse puisait dans la théorie déjà longue et fournie de "la fin de la forme parti". De Simone Weil écrivant en 1940 une "Note sur la suppression générale des partis politiques" décrits comme "des organismes officiellement constitués pour tuer dans les âmes le sens de la vérité et de la justice", à Daniel Cohn-Bendit publiant en 2013 ses réflexions "Pour supprimer les partis politiques!?", il ne manque pas d'auteurs pour mettre en cause la congruence entre démocratie et système partisan. Moisey Ostrogorski  et Roberto Michels ont fait au début du XX° siècle la théorie de l'oligarchisation de la vie politique que même et surtout la social-démocratie ne pourrait enrayer. La révolution industrielle et numérique que vivent les sociétés aujourd'hui donne une réelle actualité à ce doute. Cambadélis ne dit pas autre chose en disant que le PS reste fondé sur la hiérarchie et la verticalité quand la société est déjà dans l'interactivité et  l'horizontalité. Il y voit la rémanence de la SFIO et la résistance d'un type d'organisation rigoureux (des sections au secrétariat national) mais où "il n'y a plus rien": la campagne européenne aurait reposé sur les acquis mais pas sur le parti; de nombreuses Fédérations n'ayant pas diffusé un seul tract. La solution: le retour à un parti de militants par la reconstruction d'une identité socialiste que des Etats Généraux se chargeront de leur donner d'ici la fin de l'année.

Ce diagnostic est problématique à trois niveaux au moins:

- D'abord par l'impasse qu'il fait sur les tendances lourdes et anciennes qui distinguent la social-démocratie européenne. Son déclin électoral est général depuis les années quatre-vingt. Incarnée partout par des partis de gouvernement,  elle n'a su faire face à l'élargissement des attentes sociales, à la demande de participation et de transparence, en particulier dans les nouvelles générations. Pire: elle n'a pas trouvé d'autre voie que celle de l'adaptation au néo-libéralisme dominant, accompagnant ainsi le déclin de l'Etat social. La France est peut-être la dernière à connaitre avec la présidence Hollande une désillusion généralisée qui s'exprime par l'abstention massive et la volatilité électorale jusque vers l'extrême-droite. La question économique et sociale y est donc centrale. C'est bien ce qu'ont vu les députés de l'appel des 100 contre lesquels se cambrent et le Premier secrétaire et le Premier ministre.  Or, sans changement sur ce terrain, il n'y aura que des soins palliatifs à administrer au grand malade socialiste.

- Administrer est bien le deuxième problème. Comment faire silence sur ce qu'est devenu le PS, à savoir un parti du pouvoir pour le pouvoir, central et local ? Les études surabondent de sa professionnalisation autour d'un vivier d'élus cumulant les mandats dans l'espace et dans le temps, ouvrant la voie à des collaborateurs et à des cadres de la fonction publique qui ne vivent plus que pour et par la politique. Souvent efficaces comme gestionnaires, ils échappent à tout contrôle militant et politique;  ils ont pour logique bien naturelle la reproduction de leur position élective.  Quant au présidentialisme de la V° République, il est parfaitement assumé par les socialistes de manière généralisée, de l'Elysée à la mairie. Le militantisme lui-même en est transformé: il est orienté vers la compétition interne, dopée souvent par un clientélisme notabilaire dépourvue de finalités politiques collectives pour un changement social. Devenu une agence semi-étatique, cette nature carriériste du PS interroge sur sa possible rénovation militante.

- Et c'est bien le troisième problème, esquivé par Cambadélis. Tout se passe comme si le cycle de la rénovation  ouvert par Martine Aubry et Arnaud Montebourg en 2009 était clos, alors qu'il a produit les Primaires, la limitation du cumul des mandats, de nouveaux statuts articulés à la vie politique réelle et quelques autres chantiers restés ouverts. Les Primaires ? Elles ont été écartées des municipales et Cambadélis annonce (Dans Libé de ce samedi) qu'il n'y est pas à ce jour favorable pour 2017 (Italia e lontana !): "D'abord on ne sait pas ce que fera le président de la République. Ensuite on brouillerait notre effort d'assainissement  (sic) et de reconstruction de notre industrie (re-sic) au profit de jeux politiques purement spéculatifs. On créerait de la division, de la tension. Il y en a assez comme çà". Ce qui fut un moment rare, efficace et démocratique d'ouverture horizontale du parti à la société, mais aussi un gage de victoire pour la présidentielle, est donc passé par profits et pertes. Le secrétariat national à la rénovation a d'ailleurs disparu au profit de la "formation des militants" avec un plan qui ressemnle furieusement à celui qui fonctionnait il y a déjà dix ans. "La reparlementarisation de la V° République n'est pas soutenable"  a précisé M. Valls devant le Conseil National du PS, oubliant le reste de l'Europe où cette parlementarisation est synonyme de délibération, de responsabilité des gouvernants, bref de vie démocratique. Si l'on ajoute à cela la proposition faite à l'ensemble de la gauche d'un "espace de confrontation avec des groupes de travail et une université permanente" , le système d'un parti qui débat de tout sauf de la politique gouvernementale est en place. Guy Mollet avait érigé cela en modèle à l'époque de la domination du PCF avec lequel la SFIO débattait de la "dialectique de la nature chez Plékhanov" (si,si!) pendant qu'il gouvernait comme on sait.

L'annonce de la mort possible du PS et de la gauche est donc chargée d'une dramatisation suspecte. Surchargée de raccourcis, elle tend à remobiliser ce qui reste de militants socialistes et à rallier les formations de gauche à une coalition forcée de rejet du Front National. Il n'est pas certain que les uns et les autres soient dupes.

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