Tout aura été fait pour que le débat sur la tenue de Primaires citoyennes pour les Présidentielles de 2017 soit escamoté. Elles étaient pourtant considérées jusqu'à il y a peu comme une condition du succès de 2012. Cet acquis démocratique va-t-il passer à la trappe lors du prochain congrès du Parti socialiste ?
A la lecture des motions en présence, le constat est vite fait: la motion Cambadélis-Valls (A) n'en dit pas un mot ; la motion C "Osons un nouveau pacte citoyen et républicain" (des anciens camarades de Larrouturou) se contente d'appeler à l'extension des Primaires à toutes les élections mais sans rien dire des prochaines Présidentielles ; même chose (en format réduit) pour la motion D (K. Berger) qui évoque aussi une telle extension mais seulement "pour toutes les désignations de chef de file à partir d'un certain seuil d'habitants si les sections en font la demande", donc à l’échelon local seulement.
Finalement, seule la motion "A Gauche pour gagner" (B) aborde franchement et précisément la question dans un paragraphe "Les Primaires au service du rassemblement de la Gauche »: « Tous les socialistes sont mobilisés pour la réussite de ce quinquennat. Ils le sont aussi pour une victoire à la prochaine élection présidentielle en 2017. Dans ce cadre, personne ne saurait évacuer par principe les primaires. Cette décision collective du parti devra être prise en mars 2016 par un conseil national.
Trois raisons militent en leur faveur. Les primaires ont d’abord démontré leur efficacité en 2011. Elles ont largement aidé à la victoire de François Hollande. Elles ont redonné du goût aux militants pour s’investir dans la réussite d’un débat ouvert à la société ; elles ont d’emblée pacifié la compétition entre les candidats et réglé la question du leadership ; elles ont démocratisé un scrutin jusque-là de plus en plus confisqué par les instituts de sondage et les grands médias ; elles ont politisé l’opinion avec un intérêt inégalé des Français pour le débat public ; elles ont mobilisé les électeurs (plus de trois millions) en amont de l’ouverture de la campagne officielle ; elles ont finalement donné une plus grande dynamique au vainqueur de la consultation.
Les primaires ont ensuite modernisé le Parti socialiste au point que toutes les autres formations républicaines réfléchissent ou s’emploient aujourd’hui à organiser des Primaires pour les prochaines présidentielles. Les modalités d’organisation du scrutin ont démontré une efficacité sans égal puisque aucune contestation ne l’a entaché. Nous y avons gagné un vrai savoir-faire militant. Le fait que les statuts du parti (articles 5-3-1, 2 et 3) les aient définitivement intégrées assure une pérennité à cette modernisation.
Enfin, les primaires apparaissent comme un gage de confiance dans la confrontation pluraliste et démocratique au sein du parti comme vis-à-vis de l’ensemble de la gauche. Le caractère « ouvert et populaire » de la procédure que nous avons définie dans ses principes, fait de l’invitation à toutes les formations de gauche à y participer une base essentielle de la démarche en confrontant ces dernières à leur responsabilité. A cet égard, elles sont un élément déterminant du rassemblement de la gauche. »
En réalité la gêne ressentie sur ce sujet tient une fois de plus aux ravages du présidentialisme jusque dans les rangs les plus avertis du Parti socialiste (ainsi Pascal Cherki, un des dirigeants de la motion B a-t-il exprimé ce 16 mai son scepticisme sur la procédure). Le spectre du «candidat naturel » que serait François Hollande, Président sortant en 2017, tétanise les esprits. Nombreux sont ceux qui ne l’imaginent pas exerçant sa fonction et faisant campagne. Pourtant c’est déjà ce qui se passe avec les voyages de Hollande en Province au prétexte d’une visite thématique l’après-midi et d’un meeting le soir (voir la visite dans l’Aude de ce 19 mai où il y eut même une réunion présidentielle dans la perspective du congrès du PS). On peut assez facilement imaginer que ce type de campagne serait nos seulement plus démocratique mais aussi l’occasion pour François Hollande de retrouver le chemin des militants socialistes et sympathisants de gauche. Il lui faudrait certes accepter le risque de la compétition avec des concurrents (un risque accepté par les présidents américains (Reagan contre le sortant Ford en 1976, Johnson qui se retire en 68 après avoir perdu la Primaire test du New Hampshire). Mais qui dit qu'il ne la gagnerait pas, qui pense qu'il peut gagner la présidentielle en esquivant cette épreuve ? Quant à l’ouverture des Primaires à d’autres candidats de la gauche non-socialiste, elle serait d’autant plus imaginable que le résultat de celles-ci serait lié à des accords d’investiture pour les Législatives.
C’est d’ailleurs une proposition de Terra Nova qui a publié le 25 avril une note de 34 pages : « Primaires : Et si c’était à refaire ? ». Curieuse note en réalité, d’abord de par ses signataires où l’on retrouve une des figures de la motion A, Alain Bourgounioux peu porté sur le sujet (dès que le PS s’en est saisi en 2008) ; ensuite deux mathématiciens connus pour être des militants du « vote préférentiel » et qui proposent là de remplacer le vote majoritaire à deux tours par un « jugement majoritaire » où les électeurs décerneraient des mentions (Excellent, bien, médiocre…), une méthode susceptible de susciter l’incompréhension des citoyens et une franche rigolade des observateurs ; enfin une animatrice d’un cercle de réflexion sur la justice par ailleurs spécialiste des Etats-Unis. On est assez loin de l’ouvrage d’Olivier Ferrand et Arnaud Montebourg, « Primaire : Comment sauver la Gauche. » Le Seuil, 2009. 128 pages). C’était le résultat d’un travail acharné (60 heures de réunions pendant quatre mois) de toutes les sensibilités du PS.
Ce capital a depuis été dilapidé : dans les cinq Primaires municipales acceptées à contrecœur par Solférino en 2013 ; dans le refus de la poursuite de la rénovation du PS (dont elles faisaient partie) ; aujourd’hui dans l’enterrement du débat de congrès. Il est vrai que la peur du moindre débat public a pris une tournure caricaturale, mais qui est un assez juste reflet d’un parti se repliant sur son appareil. Un parti qui ne respecte même pas ses statuts et le vote de ses adhérents. Un parti devenu une machine à perdre les élections et les électeurs. La longue marche des renoncements continue. Jusqu’à l’éclatement ?