Manuel Valls avait fait fort: l'apologie du présidentialisme et de la Ve République, ni plus, ni moins. C'était l'essence de son rapport commandé par Martine Aubry pour le Forum des idées sur les institutions que le PS réunit ce mercredi 2 février à Paris. Le Bureau national du 25 janvier lui a demandé de revoir sa copie. Il en reste un texte plein de "coupés-collés" qui ne fait que confirmer l'absence de position de principe sur le régime bonapartiste qui détruit lentement mais sûrement la démocratie dans ce pays.
Les amendements de la semaine écoulée ont écarté les affirmations susceptibles de déclencher une vraie bagarre dans le PS à la simple vue des positions adoptées par le sujet dans les textes de motions du dernier congrès du parti. Ainsi le souhait de "ne pas reprendre la longue marche vers la VI° République" a été effacé; ainsi que "le constat aujourd'hui très largement partagé chez les constitutionnalistes" que la V° République est décidément indépassable. Il faut dire que Valls n'avait pas pris beaucoup de risques vis-à-vis de la "communauté" de" ces derniers: la Convention pour la 6° République (C6R) n'a même pas été entendue.
Mais l'essentiel demeure. Et c'est (alors que le Projet socialiste de 2006 ainsi que le rapport Bel en 2007 annonçaient une "République parlementaire") une récusation caricaturale du parlementarisme. Tout y est: le retour au régime d'assemblée donc à la IV° République; la réduction "du Président de la République à des fonctions protocolaires"; le "Premier ministre subordonné à l'Assemblée Nationale"; "l'ascension du pouvoir exécutif donnée irrésistible commune aux régimes occidentaux". Rien sur le fait que sept de ces pays (de la Pologne au Portugal) qui avaient copié la V° République ont depuis évolué vers un régime primo-ministériel où une majorité de députés redevables de leurs mandats devant leurs électeurs peuvent exercer leur pouvoir législatif et de contrôle vis-à-vis de leur chef du gouvernement.. Rien sur l'organisation de l'irresponsabilité qui est au principe du système français. Rien sur le contrat de législature qui fonderait un accord programmatique entre cette majorité et l'exécutif. La démocratie participative est toujours une "illusion" qui ne tient évidemment pas devant "la technicisation et l'accélération des décisions" (vieille lune des néo-socialistes des années Trente).
Ce diagnostic est accablant. Il est noyé dans un catalogue de mesures bien fait pour décourager les électeurs qui voudraient poser "la question institutionnelle: elle ne sera pas au coeur de la prochaine campagne présidentielle" . Les 48 mesures affichées sont donc là pour noyer la question; les paresseux pourront se contenter de 10 "propositions phares" (en 1971 le Programme commun en affichait 18): depuis les inusables promesses sur la suppression de l'article 16 ou le droit de vote pour les étrangers (en France depuis 5 ans et pour les élections locales) jusqu'à la limitation du gouvernement à quinze ministres ou le renforcement de la parité dans les élections en passant par la fausse bonne idée du vote obligatoire.
Par contre la transformation des pratiques du présidentialisme n'est pas posée: Quelle responsabilité du Président de la République ? Quelle répartition des pouvoirs entre le Président et le Premier Ministre ? Quid de la révocation de ce dernier par le Chef de l'Etat? Quelle redéfinition des pouvoirs de nomination de celui-ci ? Quelle évolution du droit discrétionnaire de dissolution ? Quels moyens de contrôle des parlementaires sur les administrations ministérielles ? Quelle participation des citoyens sur l'élaboration et le suivi des politiques publiques ?
Comment oser prétendre que "le rétablissement d'un régime parlementaire impliquerait la suppression automatique de l'élection du Président de la République au suffrage universel" ? L'Autriche, l'Irlande, l'Islande, la Norvège, le Portugal pratiquent ce type d'élection et le parlementarisme. Ce n'est pas par ce qu'il est élu au suffrage universel que le Président joue en France un rôle majeur, c'est par ce qu'il joue ce rôle qu'on l'élit ainsi et qu'on ratifie la tradition bonapartiste. C'est donc ce rôle qu'il faut revoir. Et c'est par ce que cela est devenu évident, depuis le 21 avril 2002 au moins, que l'idée d'une indispensable réforme des institutions de la V° République s'est installée dans le débat public. Elle ne porte plus seulement sur leur toilettage comme les commissions Vedel puis Balladur l'ont proposé. Elle concerne la nature d'un régime considéré comme responsable d'un grave dérèglement des rapports entre gouvernants et gouvernés . C'est pour cela que la question constitutionnelle s'est politisée sans que le PS y soit pour grand chose. Si Arnaud Montebourg a été pionnier en la matière, aujourd'hui l'engagement pour une VI° République va de François Bayrou et Dominique Strauss-Khan à Olivier Besancenot. Dés lors les débats pourraient s'orienter vers les possibles transformations du système: régime présidentiel ou régime parlementaire primo-ministériel. Les candidats aux présidentielles pourraient lancer une série de propositions suffisamment explicites pour l'opinion les engageant clairement en faveur de telle ou telle perspective politiquement cohérente avec la « révolution démocratique ». C'est ce que ne veut pas le rapport Valls. Il oublie cette vérité essentielle, énoncée par Pierre Mendes-France: la question institutionnelle est partie de la question sociale. Le PS l'admettra-t-il un jour ? Avec ce texte, il persévère dans une défense calamiteuse de la V° République.