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Billet de blog 13 octobre 2014

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Zemmour and co : les néo-cons’ français et la tyrannie du «politiquement incorrect»

Autour du livre qui vient de paraître aux éditions Textuel : Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard : une interview parue dans Libération, un entretien vidéo, des « bonnes feuilles »…

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Illustration 1

I – « Ces néoconservateurs sont orientés par leur ego et leurs obsessions »

Interview de Philippe Corcuff par Anastasia Vécrin, Libération, samedi 11 et dimanche 12 octobre 2014

Nationalisme, xénophobie, homophobie, Philippe Corcuff, maître de conférences en sciences politiques à l’IEP de Lyon, lève le couvercle de ce qu’il appelle les «marmites peu ragoûtantes d’une mangeaille idéologique néoconservatrice». Dans son livre Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard (éd. Textuel, 2014), il dresse un panorama des figures de cette mouvance néoconservatrice et démonte les pièges idéologiques alimentés par les Zemmour et autre Soral.

Le succès de Zemmour en librairie est-il un symptôme de la droitisation de la société ?

J’y vois plutôt une machinerie éditoriale qui fonctionne. Le problème, c’est qu’elle sert de plus en plus de boussole. Certes, il y a des aspirations conservatrices dans une partie de la société mais, à mon avis, ce succès ne signifie pas que la société se droitise. Ce chiffre est relativement faible par rapport aux 66 millions de Français. Ce que j’observe, c’est plutôt une extrême-droitisation politique et idéologique d’une partie de nos élites. Et Eric Zemmour, mais il n’est pas le seul, alimente un terreau culturel néoconservateur qui favorise le FN.

Ce qui réunit les diverses figures de cette mouvance néoconservatrice (Zemmour, Alain Soral, Elisabeth Lévy…), n’est-ce pas le goût du politiquement incorrect ?

Ce sont tous des «non-conformistes» à la manière des années 30, orientés par leur ego et leurs obsessions. Alain Soral est animé par un antisémitisme obsessionnel. Il ne faut pas négliger sa visibilité : ses vidéos sur Internet sont très regardées. Zemmour est plutôt connu pour ses dérapages islamophobes et négrophobes. Rappelons que Soral comme Zemmour ont été condamnés par la justice pour leurs propos racistes. Elisabeth Lévy reprend des thèmes identitaristes flirtant avec la xénophobie en jouant avec la transgression. C’est considérer que l’antiracisme classique serait «politiquement correct» et que l’esprit critique réclamerait de s’y opposer a priori. Ils sont plutôt des marionnettes de fantasmes et de préjugés qui se répondent les uns aux autres et qui constituent un brouillard rendant invisible une bonne part de ce qui se passe dans la société française - notamment des aspirations émancipatrices et démocratiques. Le danger, c’est que nous sommes en train d’intégrer cette tambouille idéologique, même à gauche.

Ces «néoconservateurs» n’expriment-ils pas un malaise réel de la population française ?

Ils ne sont pas en contact avec la réalité de la société, leurs écrits sont un bricolage de lieux communs. Dans mon livre, j’analyse une chronique de Zemmour, parue dans le Figaro, le 5 décembre 2013. Il décrit la désespérance sexuelle de «jeunes prolétaires blancs» qui ne peuvent rivaliser avec la virilité de leurs «concurrents noirs ou arabes». Sa théorie, c’est que les femmes blanches, et particulièrement les blondes (sic), sont séduites par les Noirs ou les Arabes et que les «petits Blancs» se retrouvent sans compagne. Quiconque se baladant dans nos rues peut observer que c’est n’importe quoi, et pourtant Zemmour le fait exister comme une réalité à travers les médias. D’ailleurs, la plupart de ces bricoleurs n’utilisent aucun moyen d’enquête sociologique ou journalistique pour étayer leurs théories, mis à part Christophe Guilluy qui travaille sur des cartes, des formes macroscopiques qui donnent une vision globalisante et sommaire des territoires. L’idéologie néoconservatrice crée une série de catégories qui occulte le fait que le peuple est composite et évolutif.

Dans les Inrocks (1), Finkielkraut vous reproche de ne pas voir l’expansion d’un antisémitisme musulman…

Une grande partie de mon livre est basée sur une critique de l’antisémitisme, notamment de Soral, et sur l’idée qu’il faut réunifier l’antiracisme en prenant en compte à la fois l’antisémitisme et l’islamophobie. Alain Finkielkraut, dont j’ai antérieurement apprécié une série de textes, est dans une dérive identitariste et essentialiste. Aujourd’hui, l’islamophobie structure la société française, les inégalités qui la traversent dans le logement, l’accès à l’emploi, l’école. Alors que ce n’est plus le cas de l’antisémitisme, dont la force structurante s’est opérée de la fin du XIXsiècle à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cela ne veut pas dire qu’il n’existe plus, mais il a plusieurs composantes : des catholiques intégristes, l’extrême droite païenne ou une fraction musulmane, mais pas «les musulmans» en général. Alain Finkielkraut ne voit, dans sa logique essentialiste, que la part qui vient des musulmans.

Vous mettez aussi en cause des gens de gauche - Emmanuel Todd, Jean-Claude Michéa ou Frédéric Lordon -, qui alimenteraient ce climat…

Je ne les considère pas comme des néoconservateurs mais comme des désarmeurs imprudents de la gauche. Todd et Lordon, par exemple, proposent des solutions uniquement nationales à la situation économique et ils participent ainsi à la diabolisation de l’Europe et du monde. L’éthique de la responsabilité chez Max Weber consiste à tenir compte du contexte dans lequel on parle : selon le contexte, nos paroles n’ont pas nécessairement l’effet de notre intention initiale. Dans un contexte où un nationalisme xénophobe se développe, les défenseurs d’une nation non ouverte à des coopérations internationales, même s’il s’agit d’une nation républicaine, contribuent à un repli national néfaste.

Comment expliquez-vous cette incapacité à gauche à contrer cette montée néoconservatrice ?

Les gauches sont désarmées pour réagir au néoconservatisme. Celle de gouvernement, social-libérale, a perdu nombre de ses repères. Elle se réfère à la justice sociale mais, en même temps, elle suit des politiques néolibérales. Les partenaires principaux ne sont plus les syndicats mais le Medef et les milieux d’affaires. Ça tourneboule la gauche car c’est l’inverse de ses repères historiques. Quant aux gauches critiques, elles sont tentées par la nostalgie de modèles antérieurs, elle n’essaie pas assez de se confronter à la société d’aujourd’hui.

Et puis les faux rebelles sont en train de voler la critique sociale aux gauches, sans qu’elles s’en aperçoivent, au profit d’une logique conservatrice et non plus émancipatrice. Une des pistes pour éviter le risque postfasciste consiste à réintégrer le «sociétal» dans une question sociale trop délaissée : les dominations de classe, mais aussi de genre, raciale ou hétérosexiste, doivent être prises en compte pour sortir du clivage national/racial porté par le FN.

Note :

(1) « Un air de déjà vu », interview de Philippe Corcuff par Anne Laffeter, ainsi que les réactions d'Alain Finkielkraut et de Laurent Bouvet, Les Inrockuptibles, n°984, semaine du 8 au 14 octobre 2014.

II – Entretien vidéo avec Thierry Le Roy (28 septembre 2014, Vaucluse), Tseweb.tv, 29 septembre 2014

Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard - Philippe Corcuff © Télé Sud Est

Durée : 8 mn 48

III – Sur la tyrannie du « politiquement incorrect » : « bonnes feuilles » de Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard

A lire sur le site libertaire Grand Angle, 7 octobre 2014  <cliquer sur>

IV – Sommaire détaillé de Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard

Paris, Éditions Textuel, collection « Petite encyclopédie critique », 1er octobre 2014, 144 pages, 13,90 euros

Introduction : Air du temps néoconservateur et risques « postfascistes »

En France aujourd’hui, ça schlingue comme dans un polar !

Une galaxie affinitaire face à l’actualité néoconservatrice

De l’analogie avec les années 30

Encadré 1 : La comparaison analogique comme outil d’analyse

Trames idéologiques et individus

Plan du livre

Encadré 2 : L’essentialisme comme rail savant et ordinaire peu visible

Partie I : Les années 30 reviennent ?

1 - Bourdieu et l’humeur idéologique « révolutionnaire conservatrice » de l’Allemagne de Weimar

2 - Coups de sonde dans quelques travaux historiques sur les années 30 en France

Noiriel et le « national-sécuritaire », d’hier à aujourd’hui

Loubet del Bayle et « les non-conformistes des années 30 »

Laborie et l’opinion publique troublée d’avant Vichy

Burrin et les processus de fascisation de Déat et Doriot

Encadré 3 : Théories du complot et tuyauterie conspirationniste

Partie II : Terreau idéologique pour un « postfascisme » : un néoconservatisme xénophobe, sexiste, homophobe et nationaliste

1 - Un pôle aux tendances antisémites : Alain Soral

Un antisémitisme obsessionnel

Les multiples complots du « Système »

Antiféminisme et homophobie

Un Peuple national et social contre les bobos sociétaux et antiracistes

Raisonnements et argumentations branlants

Tensions dans les thèses soraliennes

Encadré 4 : Islamophobie et antisémitisme : l’impasse Soral

2 - Un pôle aux dérapages islamophobes et négrophobes : Éric Zemmour

Le complot des femmes blondes, des Noirs et des Arabes contre les « petits Blancs »

Du complot Taubira au complot homosexuel

3 - Schémas néoconservateurs transversaux

Partie III : Tyrannie du « politiquement incorrect » et extension des domaines de la confusion

1 - Jeux troubles avec « l’affaire Dieudonné » : le cas d’Élisabeth Lévy

Perles rhétoriques de l’anti-« pensée unique »

Une ambiguïté ludique et glauque

Abus de tabous ou effondrement des tabous ?

2 - Alain Finkielkraut ou l’engrenage identitaire

Finkielkraut contrasté

De la doxa néoconservatrice à la célébration essentialiste de l’identité nationale

Finky contre Finky ?

3 - Séductions de la transgression : Daniel Schneidermann face au rire de Dieudonné

Partie IV : Des gauches intellectuellement tourneboulées

1 - Brouillages à gauche : Laurent Bouvet et Jean-Claude Michéa

Dans la galaxie du PS : Bouvet et les équivoques de « l’insécurité culturelle »

Socialisme populaire et ambiguïtés conservatrices chez Michéa

2 - La nation transformée en fétiche : quand des figures « critiques » paralysent les résistances internationalistes

Démondialisation : du Made in chauvin montebourgeois au brave soldat Todd

Lordon : un fast thinker aux glissades germanophobes

Ruffin ou le rebelle sous protectionnisme

Le marxisme national-magique de Durand, Keucheyan et Kouvelakis

Nation et internationalisme…dans une conjoncture périlleuse

Partie V : Dynamique socio-politique d’un « postfascisme » : le Front national, de Jean-Marie à Marine

1 - Mise en perspective historique et sociologique du FN de Marine Le Pen : en partant de Bourdieu

Un éclairage historique

Le moment « sarkozyste » et le relookage mariniste du FN

Encadré 5 : Luttes des classements et clivages sociaux pertinents dans la sociologie de Bourdieu

2 - Quels chemins pour combattre le FN ? Solutions erronées et pistes alternatives

Des réponses erronées à gauche

Pistes autour d’une question sociale élargie et pluralisée

Se coltiner les menaces du présent en se dotant de repères dans le passé et dans l’avenir

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