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Billet de blog 2 novembre 2011

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Référendum grec: les dirigeants européens savaient

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Cela n'a pu échapper à personne: le premier ministre grec Georges Papandréou a annoncé la tenue d'un référendum dans son pays. Les Grecs « veulent-ils l'adoption du nouvel accord [du 27 octobre] ou le rejettent-ils ? Si les Grecs n'en veulent pas, il ne sera pas adopté » a-t-il déclaré lundi soir.

Le référundum aura-t-il bien lieu? Si oui, la question sera-t-elle formulée en ces termes? Quel sera le résultat?

Ces questions, et beaucoup d'autres, restent en suspens. Mais il est une interrogation à laquelle il est tout à fait possible de répondre dès aujourd'hui: les dirigeants politiques européens étaient-ils réellement surpris et "consternés" par cette annonce?

Réponse en 4 temps:

1/ Tous les dirigeants savaient que la majorité parlementaire du PASOK s'était érodée, passant de 160 députés à l'issue des élections d'octobre 2009, à 153 députés fin octobre 2011 (sur un total de 300). Les démissions de députés du PASOK jugeant que l'austérité a atteint ses limites se multiplient. La dernière en date est celle de Thomas Robopoulos, intervenue le 17 octobre 2011. Mais cela ne modifie pas le rapport de force parlementaire car les démissionaires sont remplacés. En revanche, l'exclusion de ceux qui enfreignent les consignes de vote (comme Panagiotis Kouroublis), réduisent la majorité parlementaire.
Or, face à la contestation sociale, mardi 25 octobre un communiqué du ministre grec des finances (et vice premier ministre) indiquait que tout accord devrait être approuvé par le parlement grec avec "une majorité élargie si possible". La majorité élargie requiert 180 voix, soit une trentaine venant de l'opposition! Impossible, sauf à modifier les rapports de force politiques par des élections anticipées ou un référendum. Telle est la tentative de Papandréou.

2/ Tous savaient aussi que la situation sociale de la Grèce était devenue dramatique. Déflation, coupes dans les budgets sociaux, etc. Une étude publiée par The Lancet rapporte par exemple quelques chiffres alarmants, notamment ceux du ministère grec de la santé qui font état d'une augmentation des suicides de 40% au premier semestre 2011 par rapport à la même période de l'année précédente... Une élue du PASOK reconnaissait récemment: "Il est évident que la société a atteint la limite du supportable". Alors même que les mesures mises en place par sa formation politique n'ont pas permis de sortir de la récession et aggravent la crise mondiale.

3/ Depuis juin dernier, la Grèce a connu un fort regain de mobilisation. Malgré une répression féroce, celle-ci s'est poursuivie: succès de la grève des 19-20 octobre (un demi-million de manifestants à Athènes et des cortèges imposants à Thessalonique, Patras, Larissa, en Crète, etc.), mais aussi multiplication des occupations des ministères et des bureaux... Depuis des mois, sur l'ensemble du territoire, les interventions publiques des responsables politiques de tout bord et de tous niveaux déclenchent des émeutes populaires. A tel point que les élus se cachent. Episode emblématique: le 28 octobre 2011, une manifestation a empêché la tenue d'un défilé militaire tandis que le président grec Carolos Papoulias et des officiers se faisaient insulter et cracher dessus. La veille, le sommet européen humiliait le gouvernement grec en décidant que la Troïka le contrôlerait en permanence... C'était oublier que les Etats périphériques ne sont pas des colonies et que le gouvernement grec n'est pas un simple gouvernement fantoche.

Première conclusion: la situation était politiquement intenable pour ceux qui avaient accepté d'être les artisans des terribles plans de rigueur. Pour les dirigeants européens, les seules questions étaient donc: jusqu'à quand ce gouvernement tiendra-t-il? Quelle forme prendra son départ? Mais là encore, ils disposaient de quelques indices.


4/ Mardi 20 septembre, le quotidien grec (à tonalité libérale) Kathimerini avait indiqué que Monsieur Papandréou envisageait l'organisation d'un référendum au sujet de la monnaie unique afin de restaurer son autorité et poursuivre la politique d'austérité. Cette information n'était pas réservée aux lecteurs grecs. L'AFP, Reuters et Le Monde s'en étaient fait l'écho le jour-même!
Certes, le gouvernement grec a ensuite démenti. Ce qui prouvait une seule chose: l'information était soit erronée soit... prématurée.

Deuxième conclusion: à ce stade (septembre) c'était probablement pour le gouvernement un scénario plausible. Mais pas encore certain. Rappelons que le 23 septembre ce même gouvernement a démenti des articles de presse selon lesquels un des scénarios envisagés par Monsieur Papandréou pour sortir de la crise de la dette était un défaut ordonné avec une décote de 50 % pour les détenteurs de titres de dette souveraine. C'est ce scénario qui sera révélé un mois plus tard lors du sommet européen. Mais entre septembre et octobre, les rapports sociaux et politiques ont évolué davantage que prévu, précipitant le premier scénario.

Troisième conclusion: en jouant la consternation, les dirigeants européens cherchent seulement à se dédouaner de leurs responsabilités et à faire porter le chapeau au gouvernement grec.

PL, 02/11/11

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