Riche des énormes réserves de change accumulées en à peine plus d'une décennie, la Chine du 21ème siècle renoue avec la pratique qui était traditionnellement celle de l'Empire du Milieu: s'entourer, non pas de colonies comme les puissances impériales occidentales, mais d'Etats clients. L'ironie est que les candidats à ce statut de dépendance ne sont pas ses voisins de l'Asie du Sud-Est, avec lesquels les frictions territoriales ne manquent pas, mais des pays développés d'Europe occidentale en difficulté financière, la Grèce d'abord et maintenant le Portugal.
Dans la foulée du passage à Lisbonne du président Hu Jintao début novembre, le ministre portugais des Finances Fernando Teixera dos Santos s'était rendu à Pékin où il avait été reçu par les plus hautes autorités financières, au ministère des Finances, à la Banque populaire de Chine (la banque centrale chinoise) et à l'autorité de gestion des réserves monétaires, qui détient les clefs des quelque 2.700 milliards de dollars en devises étrangères constituant le bas de laine du gouvernement chinois.
L'objectif affiché est d'obtenir que la Chine mette en œuvre, dés le début de 2011, sa promesse de souscrire aux émissions de la dette souveraine du Portugal. Il y a urgence parce que cette nouvelle année s'annonce périlleuse pour les pays de la zone euro en délicatesse avec leurs finances publiques. Les besoins de refinancement vont être considérables, plus de trente milliards d'euros pour Lisbonne, la concurrence sévère (notamment avec la France qui confirmera son rang de premier emprunteur de la zone euro), les taux d'intérêt très tendus (pas très loin de 7% pour le Portugal) et les agences internationales de notation sont sur le pied de guerre.
Dans ce contexte très difficile, la présence des acheteurs chinois lors des premières adjudications de 2011 apparaîtrait à l'évidence comme un signal de confiance adressé aux «marchés».
Les relations entre l'Empire du Milieu et le Portugal sont évidemment très anciennes puisqu'elles remontent aux Grandes Découvertes des 15ème et 16ème siècles, qui devaient faire temporairement du royaume lusitanien un empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais et de Lisbonne le centre d'un monde pour la première fois «globalisé». Le Portugal est resté jusqu'en 1999 dans son comptoir commercial de Macao, sans jamais entretenir avec la Chine les relations hostiles des autres puissances occidentales, à commencer par l'Angleterre installée dans le territoire voisin de Hong Kong (rétrocédé à Pékin en 1997). D'ailleurs, la visite du président chinois à Lisbonne était prévue en 2009 pour commémorer le 10ème anniversaire du retour de Macao à la «Mère Patrie». Mais elle fut reportée à cause des affrontements interethniques au Xinjiang.
Sur le plan économique, on est loin d'une telle harmonie puisque le Portugal, en raison de sa spécialisation dans des industries comme le textile et la chaussure, est de tous les pays européens celui qui a subi de la manière la plus frontale la concurrence chinoise. En d'autres termes, la Chine n'est pas tout à fait étrangère aux difficultés qui conduisent aujourd'hui le Portugal à lui tendre la sébile.
Du côté portugais, outre ce problème urgent de trésorerie, on se prend à rêver que la Chine puisse faire du Portugal une porte d'entrée vers les marchés du sud-ouest européen. En dopant notamment le développement du port de Sines, sur la cote de l'Alentejo au sud de Lisbonne. Cela reste à voir car Sines, pour reprendre le titre d'une des premières œuvres du grand romancier portugais Antonio Lobo Antunes, c'est un peu «le cul de Judas». Lisbonne, qui mise désormais une partie de son avenir économique sur les relations avec les anciennes colonies lusophones émergentes, Brésil mais aussi Angola, peut aussi espérer y coopérer avec une Chine de plus en plus présente.
Ce qui intéresse la Chine, c'est moins, contrairement à ce qui a été avancé, une diversification de réserves de change surexposées au dollar américain, les marchés de la dette publique grecque ou portugaise étant beaucoup trop réduits pour cela, que le recrutement de gouvernements «amis». Ils pourraient se révéler utiles demain si les relations avec l'Union européenne, devaient se compliquer dans un contexte où des appels à un «protectionnisme européen» se font entendre face à ce que certains qualifient de «menace chinoise». Pékin n'aura pas trop d'avocats à Bruxelles quand il s'agira de décider de procédures anti-dumping ou de régler la question toujours pendante de l'octroi par l'UE à la Chine du statut d'économie de marché (avec d'importantes implications justement dans le domaine des mesures de défense commerciale).
En tout cas, cette nouvelle relation inégale entre la Chine et le Portugal est un remarquable clin d'œil à l'Histoire. Après tout, avant même que Henri le Navigateur ne lançât les caravelles à la découverte de mondes nouveaux, la Chine avait elle aussi été attirée brièvement vers le grand large, les expéditions de l'amiral Zheng He atteignant (au moins) les cotes orientales de l'Afrique. Avant de se replier sur son empire continental et d'entrer dans une longue décadence. La roue tourne.
Publié initialement sur Orange.fr, le 29 décembre 2010
PS: depuis l'écriture de ce billet, l'ambassadeur de Chine à Madrid a confirmé l'engagement de Pékin à aider aussi l'Espagne. Avec cette remarque tout à fait pertinente: si chaque chinois achetait un litre d'huile d'olive, la totalité de la production annuelle espagnole n'y suffirait pas. Quelle bonne idée!