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Billet de blog 8 mai 2011

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Severiano Ballesteros (1957-2011) : la mort d’un grand Européen

Severiano («Seve») Ballesteros, le plus grand champion de l'histoire du golf européen, s'est éteint dans la nuit de vendredi à samedi, au trop jeune âge de 54 ans, dans la maison qui surplombe la plage de Pedrena (nord-ouest de l'Espagne) où cet autodidacte génial avait frappé ses premiers coups en usant des pierres en guise de balles.

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Severiano («Seve») Ballesteros, le plus grand champion de l'histoire du golf européen, s'est éteint dans la nuit de vendredi à samedi, au trop jeune âge de 54 ans, dans la maison qui surplombe la plage de Pedrena (nord-ouest de l'Espagne) où cet autodidacte génial avait frappé ses premiers coups en usant des pierres en guise de balles. Le compétiteur de légende venait de perdre un dernier combat contre un cancer révélé en 2008 par une tumeur au cerveau. Les drapeaux devraient être mis en berne à Bruxelles car bien peu d'hommes, dans leur discipline respective, auront été aussi passionnément européen et auront autant fait pour donner à l'Europe une identité. Mais aussi à St Andrews, la «Mecque du golf», sa seconde patrie.

De toutes les disciplines sportives, le golf est la seule où une équipe, une année sur deux, porte les couleurs de l'Union européenne, où le drapeau bleu frappé des douze étoiles jaunes flotte au côté des bannières nationales, où «L'hymne à la joie» est joué devant des dizaines de milliers de spectateurs qui encouragent leurs champions au cri de «Europe, Europe» . Et si la Ryder Cup, le match biennal entre l'Amérique et l'Europe, est devenue le troisième évènement sportif le plus regardé dans le monde (après la Coupe du Monde de football et les Jeux Olympiques d'été), c'est en grande partie à Seve Ballesteros qu'elle le doit.

Si l'idée d'élargir aux joueurs du continent une sélection du Royaume-Uni et d'Irlande réduite depuis des décennies à faire de la figuration face aux armadas des Etats-Unis est venue de l'Américain Jack Nicklaus, le joueur le plus titré de l'histoire du golf (18 «majeurs»), ce sont la passion et le charisme de Ballesteros qui ont donné chair et sang à cette aventure. Passé professionnel à 16 ans après avoir porté les sacs comme "caddie" au golf de Pedrena voisin de la ferme familiale, Severiano, vite rebaptisé «Seve» par un public britannique qui le pleure aujourd'hui comme l'un des siens, a d'abord démontré aux Européens qu'il était possible de s'imposer dans le saint des saints du golf américain, en gagnant le «Masters» d'Augusta en 1980, âgé de 23 ans. Il remportait ainsi le second de ses cinq titres du «Grand Chelem», un an après sa victoire à l'Open britannique.

Son exemple allait inspirer une génération en or, celle des Sandy Lyle (écossais), Bernhard Langer (allemand), Nick Faldo (anglais), Ian Woosnam (gallois), qui eux aussi s'imposeront dans les «majeurs» et formeront l'ossature de l'équipe de Ryder Cup qui contestera la suprématie américaine. Au point que depuis la victoire de 1985, la balance des succès pèse nettement en faveur du Vieux Continent. Avec son jeune voisin du pays basque José-Maria Olazabal («Ollie»), il formera la plus formidable pair de l'histoire de cette compétition née en 1927 (la moitié des 24 matchs, sur trois jours, se jouent en double). Au total, Ballesteros aura fait partie de l'équipe gagnante six fois, la dernière comme capitaine de la formation européenne à Valderrama (Espagne) alors que la Ryder Cup se disputait pour la première fois sur le continent.

Mais on peut dire qu'il largement inspiré la dernière victoire, en octobre dernier au pays de Galles, où une magnifique photo de Seve (avec Olazabal lors d'une précédente épreuve) trônait dans le vestiaire des Européens, auxquels, trop affaibli pour venir sur place, il s'était adressé par téléphone à la veille de la compétition. «Nous voulions tous gagner aussi pour Seve Ballesteros», commentera l'Irlandais Graeme McDowell, auteur du point décisif.

De l'avalanche des hommages qui ont submergé la planète du golf depuis l'annonce de la mort du champion espagnol, venus notamment de ses adversaires (et amis) américains, émerge avant tout le souvenir de l'incroyable créativité de l'ancien cadet une canne à la main, de ce génie pour se placer dans des situations impossibles (le premier adversaire du joueur est le terrain lui-même) et s'en sortir avec brio. Le coup sans doute le plus mémorable de l'histoire du jeu remonte à la Ryder Cup de 1983, aux Etats-Unis, quand Seve arrachera un match nul contre Fuzzy Zoeller en utilisant un bois n°3, canne réservée en principe à l'utilisation sur l'herbe rase du «fairway», afin de projetter sa balle petite balle blanche à quelque 220 mètres jusqu'au «green» à partir d'un «bunker» (obstacle de sable). Comme l'a dit samedi une autre légende du golf, le Sud-Africain Gary Player, «Seve était certainement homme à se mettre en difficulté, mais pour lui, la difficulté n'existait pas».

Il n'hésita d'ailleurs pas à affronter le conservatisme des autorités du golf, sur les deux rives de l'Atlantique, afin d'obtenir l'ouverture réciproque des circuits européen et américain, à cette époque encore très cloisonnés, aux joueurs les plus talentueux venus du monde entier. A ce titre, il aura été un pionnier de la globalisation de ce sport, pour le meilleur: actuellement, les circuits américains masculin (et surtout féminin), sont dominés par des joueurs et joueuses étrangers, sans que cela suscite de réactions protectionnistes ou xénophobes, ni l'idée d'imposer des «quotas» (prenez note, M. Laurent Blanc !). Et le circuit européen est la «maison commune» de joueurs venus des cinq continents.

Compétiteur d'une intensité rare, Severiano Ballesteros, était aussi un «gentleman» dans un sport où le respect de «l'étiquette», les consignes très strictes de comportement sur le terrain, comptent plus que le résultat, où la considération pour l'adversaire est absolue, où on attend des joueurs qu'ils dénoncent leurs propres fautes, même involontaires (imaginons cela au football !) et où l'arbitre se manifeste rarement, essentiellement quand il faut interpréter des règles de jeu assez complexes.

A une Europe en crise, sans ambition ni vision, le parcours du golfeur espagnol laisse deux messages. Divisés, nous échouerons ; unis, nous gagnerons. Et les seules batailles que l'on est certain de perdre sont celles que l'on engage pas.