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Billet de blog 25 mars 2010

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EADS blackboulé aux Etats-Unis: et la défense européenne dans tout ça?

Ceux qui pensaient qu'EADS, même en s'alliant à Northrop-Grumman, même en installant une chaîne d'assemblage aux Etats-Unis, allait souffler à Boeing le contrat des avions ravitailleurs de l'US Air Force, sont les mêmes qui espèrent toujours que les compagnies aériennes japonaises deviendront clientes d'Airbus. L'espoir fait vivre.

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Ceux qui pensaient qu'EADS, même en s'alliant à Northrop-Grumman, même en installant une chaîne d'assemblage aux Etats-Unis, allait souffler à Boeing le contrat des avions ravitailleurs de l'US Air Force, sont les mêmes qui espèrent toujours que les compagnies aériennes japonaises deviendront clientes d'Airbus. L'espoir fait vivre.

Si la part de marché de l'avionneur européen dans l'Empire du Soleil Levant est voisine de zéro (contre bon an, mal an 50% du marché mondial des appareils de plus de 100 places), c'est que les décisions d'achat de JAL et ANA ont été dictées par des considérations politiques et fortement influencées par l'omni-présence, dans les milieux aéronautiques nippons, des «old boys» des «Forces aériennes d'auto-défense» conditionnés par leur formation aux Etats-Unis et la dépendance japonaise à l'égard des Etats-Unis en matière de défense. Sans compter bien sûr le fait que l'ancienne puissante occupante, qui a interdit au Japon de reconstituer une industrie aéronautique digne de nom, a néanmoins permis aux anciens fabricants du chasseur «Zero» (peut-être le meilleur appareil de la Seconde Guerre Mondiale) de devenir des sous-traitants de Boeing.
Vis-à-vis de l'Europe, la puissance impériale américaine a conservé une attitude qui n'est différente que dans le degré et qui considère, au fond, que la Guerre Froide n'est toujours pas terminée, 20 ans après la chute du Mur de Berlin et l'effondrement du bloc soviétique. Certes, Washington n'a pas pu empêcher l'émergence d'une industrie européenne de la défense mais n'a reculé devant aucun effort pour lui rogner les ailes. En utilisant les pressions politiques ou le dumping permis par les très grandes séries écoulées aux Etats-Unis même par les fournisseurs de l'US Army ou de l'US Air Force. Pourquoi les pays européens se donneraient-ils la peine de développer (avec des bonheurs assez mitigés) des avions de combat «made in Europe» puisqu'ils peuvent acheter pas cher des F-16 américains? Et bien sûr, en faisant jouer à plein le réflexe «Buy America» pour ses propres achats.
Surtout, la survivance et même la projection hors de son aire d'origine de l'OTAN (jusqu'en Afghanistan), une structure pourtant anachronique, a tué dans l'œuf toutes les tentatives de mettre sur pied une politique européenne de défense digne de ce nom et capable d'apporter à ses industriels un marché intérieur aussi protégé que celui des Etats-Unis. Il faut dire à la décharge de Washington que des gouvernements européens velléitaires y ont mis du leur.
Dans ce contexte, le succès provisoire remporté par EADS lors d'un précédent appel d'offre pour le même contrat de ravitailleurs relevait de l'accident de parcours, du à une configuration politico-judiciaire tout à fait exceptionnelle. La révélation d'une affaire de corruption au Pentagone dans laquelle Boeing a été pris la main dans le sac. Un scandale «sexuel» (aux normes américaines) au sommet qui avait un peu plus déstabilisé le géant de Chicago. Et l'activisme anti-Boeing du sénateur John McCain, décidé à faire échouer un projet de location qui aurait assuré à Boeing une rente extravagante (pour un appareil, le 767, en fin de carrière) au frais du contribuable américain.
Boeing s'étant tiré de ces ennuis avec un petit coup de règle sur les doigts, l'étoile de McCain, battu par Obama à la présidentielle de 2008, ayant pâli, tout est rentré dans l'ordre: un nouvel appel d'offre taillé sur mesure pour le constructeur américain, dans lequel EADS et son partenaire américain ont refusé à juste titre de servir de lièvre. Cocus, oui, mais pas contents ! En situation de monopole, Boeing va pouvoir dicter ses conditions et surtout faire déraper les coûts sur la très longue durée du programme, une spécialité des fournisseurs des armées. Que certains au Pentagone puissent le regretter n'y change rien.
Dans un monde idéal, les marchés publics d'équipements de défense seraient soumis aux règles ordinaires de la concurrence. Mais justement, ces règles s'appliquent encore difficilement aux marchés publics internationaux civils, sauf à l'intérieur de l'espace européen où la Commission veille au grain, et la tentative de l'UE de faire de la transparence dans leur attribution un enjeu de la négociation du cycle de Doha de l'OMC (c'était l'une des quatre «questions de Singapour») a échoué. Il n'y a pas que dans les pays émergents ou en développement que les politiciens refusent de se priver d'un des principaux canaux de circulation de la corruption. Pardon, aux Etats-Unis, il faut dire «lobbying»....

Publié initialement sur Orange.fr le 17 mars 2010