La cohérence intellectuelle est plutôt malmenée par le débat sur les retraites, leur financement et leur avenir. Il confirme que parmi tous les stéréotypes appliqués aux Français, l'esprit cartésien est le moins justifié. Démonstration.
Observons d'abord cet attachement quasi fétichiste au «droit» au départ en retraite à 60 ans, une mesure pourtant récente prise il y a trente ans à rebours de l'évolution démographique, alors même qu'il s'agit d'une fiction: la cessation d'activité se produit avant 60 ans, parfois bien avant, la France ayant le taux d'emploi des «seniors» le plus bas d'Europe; par contre, la liquidation des droits à retraite intervient sensiblement plus tard, plus de 61 ans. Entre ces deux dates, souvent le chômage indemnisé, plus ou moins généreusement, assortie d'une dispense de recherche d'emploi pour les plus de 57 ans et demi, jusqu'à l'obtention d'une retraite à taux plein, fut-ce à 65 ans révolus (pour les cadres).
Pendant que la France «débat» des retraites depuis une bonne vingtaine d'années, les pays d'Europe du Nord ou l'Allemagne ont pris à bras le corps la question de l'emploi des seniors et affichent des améliorations significatives. Ce qui évidemment modifie l'équation économique et sociale de la retraite. Mais nous n'en sommes pas à une incohérence près, au pays du «traitement social» du chômage, qui n'est ni un traitement, ni social.
Autre curiosité: de mémoire d'homme, et notamment de syndicaliste, la retraite, comme d'autres prestations sociales, est un salaire différé, et à ce titre financé par des cotisations, patronales et salariales. Sauf évidemment dans le cas de l'Etat-patron, qui n'a pas provisionné sa part des engagements liés aux retraites des fonctionnaires et les finance par le budget, c'est à dire par l'impôt. Il y en a pour quelque 800 milliards d'euros, qui pour des «raisons» statistiques ne sont pourtant pas comptabilisés dans la dette publique. Une fiction de plus.
Or, si l'on a bien compris, la solution «de gauche» au déficit des régimes de retraite, c'est le recours à l'impôt, à des ressources «nouvelles» en sus de la CSG et la CRDS, cet impôt «temporaire» fait pour durer une éternité, un peu comme les préfabriqués scolaires du baby boom des années 50 et 60. Mais en passant de la cotisation à l'impôt, on glisse du même coup de la répartition à la redistribution. Au nom de la défense du régime par répartition ! Logique, non ?
La démographie aidant (évidemment, c'est le contraire, elle n'aide pas du tout), la part des retraites financée par les cotisations des actifs ne cessera de baisser au profit du financement par l'impôt d'aujourd'hui ou par la dette, c'est-à-dire l'impôt de demain. Ce processus de «fonctionnarisation» des retraités du secteur privé est déjà en bonne voie puisqu'une retraite sur dix n'est déjà plus financée par les cotisations des actifs mais couverte par l'endettement.
Depuis quelque vingt ans que les experts expertisent, que les rapporteurs rapportent et que les réformateurs «réforment» (comme dans le cas des régimes spéciaux qui coûtent plus cher après la «réforme» qu'avant), les futurs retraités qui le peuvent, même modestes, agissent. En s'efforçant, avant l'arrivée des vieux jours, de mettre au-dessus de leur tête un toit qui leur appartienne et en accumulant dans l'assurance-vie, «le placement préféré des Français», plus de 1.500 milliards d'euros, soit à peu près l'équivalent de 75% du PIB du pays. Ils y ont trouvé le substitut à ces fonds de pension qui leur sont interdits, contrairement aux fonctionnaires qui y ont eux accès grâce à la miraculeuse Préfond. Cohérence, quand tu nous tient ! Mieux, ils y sont encouragés par des incitations fiscales (c'est-à-dire par l'impôt...qui n'est pas payé), ce qui permet en retour aux gestionnaires de ces fonds de les placer en obligations que l'Etat émet pour financer un budget en déficit chronique. Tout cela est d'une logique imparable.
Que cette tuyauterie financière ne conduise pas nécessairement à une allocation optimale des ressources et pèse négativement sur la croissance potentielle du pays, et donc sur la capacité de financement de la protection sociale en général et des retraites en particulier, est un détail, une incohérence de plus.
Conclusion: la question du financement des retraites est sérieuse, mais le débat français ne l'est pas. Il y a par conséquent fort peu de chances que la «réforme» qui en découlera aille plus loin que la pose d'une nième rustine sur une bouée qui prend l'eau. Il est conseillé d'apprendre à nager.
Publié initialement sur Orange.fr le 21 avril 2010