La société est devenue la sombre banalité d’une radicalité. La déperdition du souci démocratique, les dénis d’existence induisent des sentences sans appel du pouvoir des experts et de la technocratie. Il n’y a plus de débats, il y a des rapports, suivis de malheurs. Quelque chose qui ressemble à un massacre institutionnel se déroule en silence, au quotidien qu’une folie a nommé indicateur de performance et objectifs. Il n’y a rien à dire et tout à subir, les nouveaux pouvoirs ne discutent pas, ils appliquent. Le contradicteur est devenu un ennemi à abattre, un obstacle dépassé à l’évident progrès. Premier constat donc : sous l’apparence du spécialiste, se tapit une violence immense des pouvoirs et leur capacité de nuisance trouve peu de contre feu à leur progression. La violence des pouvoirs appelle la violence sociétale. La violence de l’exploitation économique fait des petits affamés dans l’exploitation écologique.
La radicalité (que le dictionnaire renvoie à fondamental et à racinaire) se présente comme un affrontement (sans conflit, pas de radicalité) dans un moment historique ou les bruits de fondamentalisme et de racine résonnent négativement. La profondeur est d’emblée suspecte, elle ralentit le sprint dans le mur, elle nargue nos illimités. L’autre caractéristique de la radicalité est qu’elle apparait comme le combat d’identités relativement impalpables, institutionnelles, matérialisées à un moment par une compagnie de CRS en face de gens en chair et en os. Les armées en présence sont bien une armée d’occupation et une armée de résistance.
À un moment ou beaucoup d’espaces traditionnels perdent leur combativité, sont épuisés et fragilisés, vaincus, la montée de ces nouvelles résistances constitue un vrai appel d’air. Notre Dame des Landes, le tunnel TGV entre la France et l’Italie, le barrage de Siens, le concret d’une terre, d’un territoire et d’écosystèmes.
Ce n’était pas ma culture à priori. Je regardais de façon un peu dégoutée les adorateurs de Dame Nature en étant un peu persuadé que leur amour des petits oiseaux était proportionnel à leur détestation de l’humain. Je véhiculai l’ironie d’une idéalisation bucolique, utopique. Je m’étais trompé.
Sans en faire un nouveau lieu d’idéalisation, ces combats sont essentiels. Ils sont porteurs d’un projet à forte composante collective et solidaire. Venir avec force, s’opposer à la spoliation du bien commun, interroger la pertinence des choix de rentabilité, contester l’agriculture intensive, le transport aérien, imaginer un futur vivable pour nos enfants sont autant d’expression d’un désir démocratique, d’un monde où le temps et la parole possèdent quelques vertus. Les opposants nous rappellent qu’il serait utile que l’on s’occupe ensemble de nos affaires. Il y aura un temps après notre temps.
Je salue la positivité, l’énergie d’un mouvement qui va dans le sens de l’humain. Je suis particulièrement admiratif de cette capacité des protagonistes à rejoindre un mouvement plus vaste qu’eux, bonifiant la volonté d’ensemble. Je suis impressionné par l’idée qu’ils se constituent en habitants de terres dont ils ne sont pas forcément natifs, mais, s’imposant le droit du sol, ils deviennent la terre commune. J’aime cette vitalité de la jeunesse qu’on retrouve active sur ce front, résolue, évidente.
Malheur ; trop grand malheur ; par ce désir de vivre, un homme trop jeune vient d’être fauché. Il n’était pas là pour mourir et il est mort. La hargne des pouvoirs est mauvaise. Qu’y avait-il à ce point d’important pour l’ordre de faire usage de la force sur ce bout de terre, à ce moment-là ? Ce barrage est déjà un cimetière.