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Billet de blog 6 mai 2014

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Les maudits

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La langue a ses premiers de la classe, des mots qu’elle met en avant, comme des ustensiles de cuisine rutilants, et puis les derniers, les cancres, qui collent au fond de la classe comme la lie de vin colle au cul de la bouteille, les maudits, confinés au zones inférieures, aux zones infernales. Il y a ainsi des mots qui voyagent en première classe et des mots de seconde zone, qui vont dans des wagons à bestiaux.  C’est le cas de la plupart des mots qui ont trait à la sexualité ou à l’activité sexuelle, souvent remisés dans des compartiments linguistiques peu reluisants, qui fleurent bon la soue avec ses relents de purin.

Prenons l’exemple de masturbation, qui vient de manustupration, du latin manus stupratio, soit« l’action de se souiller à la main » (stupratio a donné les mots stupre et turpitude). Le mot, qui porte sa propre condamnation  morale, stigmatise la pratique. Un peu comme son  distingué homologue onanisme, du personnage biblique Onan, adepte du coitus interruptus, une pratique évidemment condamnée par l’Église  (la sexualité n’étant acceptable aux yeux de l’institution catholique que dans la mesure où elle aboutissait à la procréation.).

Poursuivons avec le mot sodomisation, qui porte la condamnation de la ville de Sodome dans l’Ancien Testament, une ville anéantie par YWHW (avec la ville de Gomorrhe) pour les péchés de ses habitants. Observons tout de même qu’il n’est nullement fait mention dans les écritures de la pratique de la sodomie à Sodome. Ce qui n’empêcha pas l’épisode de Sodome et Gomorrhe d’être perçu comme la réponse du Tout-Puissant pour châtier des pratiques sexuelles contraires à la nature, et qui justifia (à partir de l’empereur Justinien, en 543) la féroce répression contre l’homosexualité.

Au vu de l’étymologie de ces deux mots, il conviendrait de parler d’auto-sexualité au lieu de masturbation et d’enculade au lieu de sodomie. Certes, auto-sexualité, rétorquera-t-on, fait bien clinique, et enculade, bien familier. C’est possible. En outre, (s’) auto-sexualiser aura du mal à remplacer le verbe (se) masturber. Mais cela vaut mieux que masturbation et sodomie, des mots chargés de culpabilité marqués du sceau de la condamnation par une institution religieuse qui n’a pas eu peur de couvrir au cours du XXe siècle les agissements de milliers de prêtres pédophiles à travers le monde où elle étend son influence. Et encore, on n’a connaissance que de la part émergée de l’iceberg concernant le nombre réel de ces tristes affaires.  

Pédophile : voilà le cas d’un mot inverti, au sens d’un mot contre-nature. Comment en effet oser dire qu’ils « aiment les enfants » (c’est le sens littéral de pédophile, du grec paidos, « enfant » du grec philein « aimer ») ces  individus qui ont à leur égard une pulsion non pas d’amour mais de pure consommation, qui aboutit à la destruction de l’être consommé ? Le français devrait parler de pédocide au lieu de pédophile. Mais voilà, le français se mord la langue, jusqu’au sens parfois. Pédophile est un faux premier de la classe et un véritable vaurien. C’est un mot pervers au sens étymologique du latin pervertere, qui « renverse et retourne », une perversion du sens. Pédophile, voilà un mot éminemment ecclésiastique.    

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