Le dessin d’une petite fille afghane de quelque cinq, six ans … qui explique que son papa est mort.
Raus ! Raus … ! Und schnell … ! Rroms, Afghans … Et autres, autres indésirables … Raus, Raus … und Schnell !
Des mots, des mots lus, à la réalité. Des mots rapportés, à la réalité vécue.
Dans des temps anciens où la torture était de bon aloi et son spectacle public une réjouissance appréciée et très populaire, à un point tel que c’était fête, grande fête, et même, pour peu que le bourreau, ou, à défaut, le boucher, qui le remplaçait au pied levé, sache y faire, et, que le supplicié, y mettant du sien, sut faire montre d’une granderésistance forcement très apprécié, et que, donc, le supplice, à l’époque très précisémentcodifié, fut amené à durer, c’était suprême délectation que d’y assister, et qu’on y conviait femmes et enfants et l’on y amenait victuailles et boissons, en quantité, parmi les supplices qui emportaient l’assentiment général, bien évidemment parmi les plus épouvantables et douloureux, parmi les plus prisés par les fins connaisseurs en grand nombre, ceux de la Roue et de l’écartèlement.
Des mots rapportés, des mots et images rapportées, quel qu'en soit le support, à la réalité vécue, il y a cet écart, cet impossible enjambement, cet écartèlement, cette brutalité et cette violence inouïes qui fait immédiatement basculer celui ou celle, qui, du statut de témoin ou de badaud du spectacle de la vie des autres, définis et présentés exactement comme tels, comme autres, " ce qu’il arrive aux autres ", ce qu’ils subissent et comment, ce et comment ils vivent, bref, ce qu’il arrive aux autres parce qu’ils sont des autres, et que ces autres sont autres, autres que nous, moi toi, et, qu’au grand jamais, nous, moi, toi ne voudrions pour tout l’or du monde, et il y en a, de l’or, dans le monde, ce que nous, moi, toi ne voudrions jamais vivre, jamais être.
Être et vivre autre. Terreur panique jusqu’à la dégoutation de l’être. Terreur panique savamment distillée, brutalement assénée.
C’est cette terreur, cette appréhension de l’horreur qui a un nom, simple et tout à fait commun, ce dessillement soudain qui se fait dans la stridence d’un grincement de locomotive qui freine soudain, dans le déchirement de l’air quand un volet de fer soit se relève, ce dessillement a pour nom, réalité. Et ce dessillement se fait devant l’horreur de l’abime qui soudain, l’abime, à nos pieds, qui nous contemplent, nous contemplent tous, tous, nous, toi, moi.
Ce dessillement s’appelle réalité. Et sa caractéristique première est d’être insupportable. Après, en présence de l’insupportable, de l’insupportable vécu et ressenti, ainsi tutoyé par l’abject, point d’autre volonté que celle de la lumière capable d’en dévorer l’ombre funeste.
D’où le recours à tous les succédanés possibles, y compris religieux, qu’offrent les formidables avancées continuelles des us et techniques que le progrès qui ne veut pas forcement que le bien de l’homme met à sa disposition.
Quant à celui, si nombreux, de par toutes les villes et au travers des campagnes de toute l'étendue de l’Europe, du nord au sud et d’est en ouest, qui, avant d’un jour, jour qui projette déjà l’ombre qui « précède les longues files sombres de l'infanterie, où les pointes des baïonnettes étincellent » de son grand pas hivernal, qui, donc, avant d'un jour marcher au pas, au son des fifres et du tambour, minore encore la portée et la réalité intangibles du dessillement, de son éclat tragique, de sa sombre déflagration, il est de ceux, prêtre de sa cause et traitre à sa patrie humaine, qui y trouve, toujours, quelque intérêt.
Le visage hideux de la Belgique … De la Belgique … Les yeux se dessillent là où ils voient. Et il est des voyants, des voyants pour voir loin, loin depuis l'amont à très profond en aval. Et pour s'en inquiéter.
Là …Ici … Ailleurs … Partout. L’Europe, une pouponnière d’étoiles noires comme des brillants aux éclats funestes qui partout se mettent à s’illuminer, à scintiller, et la nôtre-molle de démocratie européenne, trahie par ses clercs, plus préoccupée d’offrir une oreille favorable aux mille et uns petits et très grands lobbies qui lui battent continuellement les flancs que de respecter les engagements qui prévalurent à sa création, et la nôtre-molle de démocratie européenne, naine inerte, de s’affaisser. De s’effondrer sur elle-même.
Les évacuations se poursuivent, ici et là, souvent dans une violence inutile et, donc, programmée et voulue, dans l’irrespect des textes …
" L’expulsion des près de 400 ressortissants afghans qui occupaient depuis une vingtaine de jours un bâtiment désaffecté de la rue du Trône, à Ixelles, est illégale, estime le président de la Ligue des droits de l’Homme, Me Alexis Deswaef.
« L’huissier de justice a procédé à l’expulsion des occupants afghans du bâtiment au nom du Samu social alors que ce dernier n’a plus aucun droit sur le bâtiment » conclut dès lors Alexis Deswaef, pour qui la décision d’expulsion a été basée sur une ordonnance caduque. Selon le président de la Ligue des droits de l’Homme, l’évacuation est donc illégale.
Et quant aux solutions un temps annoncées, et proposés, toujours en amont des « coups de force et opérations d’évacuation », par les autorités, elles se réduisent finalement et régulièrement à une peau de chagrin, une fois atteints les objectifs premiers voulus par ces responsables élus.
Le bourgmestre de Saint-Josse-ten-Noode, Emir Kir (PS) a annulé la réunion prévue jeudi 21 à 19 heures à la maison communale avec les occupants-expulsés du Gesù, pris en charge dans le cadre du plan hivernal, et, donc, légalement en attente de relogement. Me Beauthier, l'avocat des anciens occupants du couvent du Gesù, s'en est ému. M. Selin Salün, porte-parole au cabinet du bourgmestre a confirmé cette annulation.
Des populations entières, quelles que soient leurs origines, dont la caractéristique, la qualité commune, unique et suffisante est d’être « indésirable » quand bien-même ce serait des européens de droit, des populations entières, passent d’une pauvreté extrême à un désarroi total, à l’extrême désarroi sans plus aucune perspective d’aucune sorte.
C’est la pauvreté dernière, la solution finale de la pauvreté. Que l’Europe met peu à peu en place.
Et c’est terrible.
Photographies de Salim Hellalet
Après leur expulsion des locaux inoccupés d’une école de la rue de la Poste, des Afghans sont arrivés samedi à l'église du Béguinage - Bruxelles -
Salim Hellalet
Belgique. Une enseignante, qui aide les Afghans sans droit de séjour, " effrayée " par ce qu’elle a vu.
" Du chaos, de la terreur et de la violence généralisée qui sévissent en Afghanistan, Tessa de Briey, professeur de français, maman de quatre grands enfants en connaissait, jusqu’en septembre, surtout ce qu’en rapportaient les médias.
Peu après la rentrée scolaire, une amie lui propose d’animer un atelier créatif, rue du Trône, à Ixelles, où des familles afghanes qui ont fui leur pays en guerre ont trouvé un fragile refuge. Elle y entend les témoignages, parfois terribles, de victimes d’un conflit qui s’éternise depuis trente ans.
"J’ai gardé le dessin d’une petite fille de 5 ou 6 ans qui nous a expliqué que son papa était mort."
Au-delà de cette confrontation avec la réalité afghane, elle découvre, " hélas ! " , au contact de ces familles sans droit de séjour mais inéloignables " le visage hideux de la Belgique " .
" J’y suis allée et j’ai été sidérée de voir tous ces enfants, non scolarisés, alors que tous parlent français ou néerlandais. Ils étaient ravis de chanter des petites chansons d’école. "
Le lendemain, c’était l’expulsion de la rue du Trône.
" J’ai été interdite d’accès au bâtiment. Je voulais récupérer le matériel pour le donner aux enfants."
Malgré son insistance, cela a été impossible.
Raconter des histoires
Le lundi suivant, 30 septembre, l’enseignante se rend à l’église Sainte-Croix avec l’intention de lire des histoires aux enfants.
"On ne pouvait faire entrer ni eau ni nourriture. Une amie qui était à l’intérieur m’a dit qu’un policier leur avait dit de boire l’eau des bénitiers."
A l’extérieur, les forces de l’ordre lui répliquent que les enfants peuvent sortir et qu’elle peut leur raconter des livres sur la place.
"Je savais que, comme moi, ces enfants ne pourraient plus revenir dans l’église près de leurs parents. Je leur ai dit, très calmement, que ce n’était pas possible d’accepter cela, que ma grand-mère, mon arrière-grand-mère et mon grand-oncle n’avaient pas fait de la résistance en 1940-1945 pour voir cette Belgique-là."
Réponse du responsable policier :
" Je vais vous mettre en arrestation administrative" s'autorise et met en garde un responsable policier, qui en a le pouvoir.
Symptôme de l’attitude répressive adoptée à l’égard des actions citoyennes de soutien aux sans-papiers.
Il y a eu aussi ce cri, aux échos sinistres, " Raus ! " lancé par un des cinq policiers alignés sur le parvis de l’église à l’adresse une dame qui les photographiait.
Quand, finalement, les Afghans sont sortis de l’église, une partie d’entre eux ont été dirigés vers un local paroissial où il n’y avait rien, sinon une toilette et une cuisine.
Tessa de Briey, et, son mari se mettent dare-dare à la recherche de matelas et couvertures pour la trentaine de femmes et enfants qui, sans cela, auraient dû dormir à même le carrelage et le ventre vide.
"J’étais sidérée de voir que cela pouvait exister en Belgique, que personne ne se préoccupe d’une trentaine de personnes, dont une vingtaine de jeunes enfants, en détresse. "
Deux soirs de suite, l’enseignante et son mari ont apporté et partagé le repas du soir avec ces demandeurs d’asile afghans. L’occasion de lier des liens privilégiés.
Camion poubelle
Tessa de Briey suit ensuite ces familles, d’hébergements provisoires en expulsions : chaussée de Charleroi, rue Vandeuren, rue du Trône, bis…
" Cette fois-là, je ne me suis plus laissée faire et j’ai réussi à trouver un policier humain qui m’a laissé entrer dans le bâtiment pour récupérer les couvertures. "
Même si un employé communal, " visiblement hostile " s’arrangeait pour les jeter dans le camion poubelle dès que les sympathisants des Afghans avaient le dos tourné.
Ailleurs, et à l'encontre d'autres types de populations, Rroms en particulier, et ce dans toute l'Europe, les affaires personnelles que n'ont pas eu le temps, ni la possibilité, parant au plus pressé, de prendre avec eux les " évacués ", filent directement à la poubelle, benne à ordure, et jusqu'à leurs caravanes, quand il s'est trouvé qu'ils en aient, qu'ils retrouvèrent détruites, aplaties comme une galette, avec toute la pauvre fortune qui était la leur et qu'elles contenaient.
Des enfants et des femmes en état de choc sont arrivés de la manif aux abords de la zone neutre, qui avait donné lieu à des brutalités, poursuit Mme de Briey.
Des policiers se moquaient d’eux et ont refusé qu’une personne récupère un médicament pour son enfant cardiaque.
"J’ai alors exprimé haut et fort mon indignation devant tant d’inhumanité et un excès de zèle confinant au racisme."
Depuis quinze jours, l’enseignante se rend tous les deux jours à la rue de la Poste, où ont échoué plusieurs familles afghanes, pour des aides ponctuelles.
Au-delà de cette solidarité très concrète, l’enseignante essaie aussi de sensibiliser les citoyens.
"Ce qui m’effraie, c’est d’entendre et de voir chez nous et aujourd’hui, des comportements, des paroles qui rappellent étrangement des faits lus dans des œuvres autobiographiques ou des journaux intimes écrits dans les années trente. Même si le contexte est différent, je pense que si on n’y prend pas garde, nous nous dirigeons vers des années d’obscurantisme dont je voudrais préserver mes enfants et éventuels petits-enfants. "
Dans ce but, la citoyenne a pris contact avec des élus communaux et envoyé des e-mails au Premier Ministre, Elio Di Rupo, ainsi qu'à Mme la Ministre de l’Intérieur, Joëlle Milquet (CDH). Demeurés jusqu’ici sans réponse.
« Personne ne doit être renvoyé de force vers ce pays en guerre »
Par ailleurs, le CIRE (coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers) a demandé jeudi l’ouverture urgente « d’un dialogue sur la situation des Afghans avec la Secrétaire d’État à l’asile et la migration, Maggie De Block, afin que des solutions dignes et humaines soient trouvées ».
Selon le CIRE, « personne ne doit être renvoyé de force vers ce pays en guerre » .
Les ONG « Médecins du Monde » et « Vluchtelingenwerk Vlaanderen » exigent, quant à elles, que le gouvernement fédéral prenne ses responsabilités et trouve rapidement une solution pour les Afghans.
Ph. Salim Hellalet