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Billet de blog 5 septembre 2013

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Structures de santé autogérées à Athènes

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 Ce texte a été rédigé par Nadège en Juillet 2013, son titre original est : « Compte-rendu de rencontres et de discussions avec des structures de santé autogérées d'Athènes »

« (…) Le courage, c’est d’être tous ensemble, et quel que soit le métier, un praticien et un philosophe. Le courage, c’est de comprendre sa propre vie, de la préciser, de l’approfondir, de l’établir et de la coordonner cependant à la vie générale. (...) »

Jean Jaurès Discours à la jeunesse. 1903

En guise d'intro

Si l'indépendance du pays a été arrachée à l'Empire ottoman après une guerre qui a duré de 1821 à 1830, la Grèce du XX° siècle est également traversée par une large tradition de résistance, pour l'indépendance bien sûr mais aussi contre le fascisme. Celui-ci se matérialise dès 1929 par des groupes qui s'illustrent particulièrement en attaquant les grévistes, les militants communistes et les quartiers juifs, dans un contexte où le gouvernement de Vénizélos envoie les opposants politiques dans des camps d'exil. Metaxas, désigné comme 1° Ministre par le roi pour écraser les luttes sociales, instaure en 1936 un régime fasciste. Puis les années 40 sont marquées par l'occupation italienne (1940), allemande (1941) et britannique (1944). Cette dernière débouche sur une 1° guerre civile qui sera suivie d'une seconde en 1949, laquel aura lieu entre les restes de l'armée de libération et l'armée régulière soutenue par les Etats-Unis au nom de la stratégie du « containment » de l'influence communiste. De 1967 à 1974, la Grèce connaît la dictature des Colonels suite à un coup d'État, ce qui va entraîner la répression féroce de toute opposition surtout progressiste ; cependant c'est tout au long des décennies qui mènent à la période actuelle, que des épisodes de répressions violentes vont viser les forces de gauche.

C'est à partir de 2008 que les conséquences de l'éclatement de la bulle constituée par les spéculations en cascade sur les produits financiers dérivés (« crise des subprimes » de 2007), vont se faire sentir en Europe. En effet, l'argent consenti par les États aux banques pour renflouer les pertes alors subies, va déséquilibrer encore d'avantage leurs budgets et les contraindre, selon les règles de l'Union européenne, a emprunter à prix d'or auprès d'autres banques privées (voire des mêmes...). La Grèce va faire partie des pays où le poids de la dette, encore accentué par des emprunts toujours plus coûteux depuis son déclassement par les agences de notation, va engendrer une situation sanitaire et sociale catastrophique. Mais l'esprit de résistance est toujours présent...

Les visites dans ses différents lieux militants ont eu pour motivation un apport sur l'activité pratique des pharmacies et dispensaires autogérés, structures globalement soutenues par les Collectifs France-Grèce solidarité pour la santé, présents dans plusieurs villes de France.

La taille des comptes rendus diffère selon la durée des rencontres qu'ont pu me consacrer les différents acteurs qui ont bien voulu prendre sur leur temps, malgré un rythme d'activité visiblement intense.

Réseau de solidarité sociale et de soutien psychologique « Synparxi » (« coexistence »)

« Ici, on soigne le lien social » (Mickaëla)

Je me suis rendue au local appartenant au réseau. La visite s'est déroulée en 2 parties. J'ai d'abord effectué la visite de la structure et abordé les questions globales concernant le réseau et ses activités avec Mickaëla, travailleuse sociale, puis Xénia, psychologue et psychanalyste, m'a entre autre donné des précisions sur ateliers thérapeutiques. Toutes les deux ont bien insisté sur l'aspect égalitaire et participatif de la structure.

Le centre se situe dans une grande artère de la ville, à l'étage dans un immeuble d'habitation. Ils se composent d'une grande salle de réunion, d'une petite cuisine, d'un couloir, d'une pièce d'activité, d'une pièce destinée aux consultations donnant sur un balcon, d'une salle de bain et d'une plus petite salle de réunion.

Il a été créé en octobre 2010 par 12 membres fondateurs, tous des thérapeutes (psychologues et psychanalystes). En novembre 2011, le statut juridique de société à but non lucratif est approuvé par la préfecture. En mai 2011 se forme un groupe de communication 8 personnes est formé, il se donne pour mission d'assurer le secrétariat téléphonique du réseau de 9h à 14h et de 16h à 21h, travail qui se poursuit toujours aujourd'hui. Après beaucoup de débats notamment en terme de prise de risque financier, la décision a été prise de louer un local (avant chaque membre du réseau consulté dans son propre cabinet) ; c'est ce qui a permis une forte expansion (passage de 15 à 41 membres puis à environ 90 aujourd'hui) et l'arrivée dans l'organisation du réseau de non thérapeutes.

 Synparxi ne reçoit volontairement aucune subvention et n'est pas sponsorisé. Les adhérents versent une cotisation (facultative et variable selon le revenu du mois) d'environ 10 euros par mois mais font aussi des dons ponctuels. Des artistes et des commerçants ont donné tout ce qui constitue le mobilier et la décoration des lieux.

Les activités se déroulent selon deux axes : le soutien psychologique d'une part et les activités culturelles et artistiques d'autre part.

Le travail de soutien psychologique s'adresse à un public se sentant en état de fragilités ; les personnes ayant des pathologies mentales avérées sont réorientées vers une prise en charge médicale.  Ce travail se déroule selon plusieurs formes :

 Entretien individuel

 Temps de parole en groupe (depuis mars 2013)

 Ateliers thérapeutiques : * danse une fois par semaine

Psychodrame (expression par la mise en scène physique du ressenti psychique du participant)  une fois par mois et sur 2 jours

Jeu de rôles (jeu d'acteur visant à incarner plusieurs personnages successifs) une fois par semaine

 * travail sur les rêves (contenu, angoisse générée, ...) 1h30 par semaine

Le nombre de séances indiqué est de 20 séances, aussi pour le soutien individuel que pour les activités en groupe. Il est possible de passer d'un soutien individuel à des séances de groupe à la demande. Une réunion de supervision (équivalent d'un staff), avec la participation de tous les thérapeutes se déroule tous les 15 jours. En cas de nécessité des supervisions individuelles (d'un thérapeute à un autre) peuvent être mises en place.

 Le groupe des professionnels de santé comprend : des psychanalystes, des psychologues (diplômés ou en cours de formation), des personnes qui sont les deux et des conseillers de santé (personnels non soignants mais formés en santé publique et en prévention). Par ailleurs, un groupe est en lien avec le Centre Social Médical dans le quartier de Kaniggos à côté : il comporte 3 médecins (psychiatre, pneumologue, cardiologue), 2 psychologues et 2 personnes  chargées des médicaments.

Diverses écoles psychothérapeutiques, qui pour certaines dans le contexte habituel, communiquent peu entre elles, se trouvent ici représentées : celle de Carl Rogers, de Lacan, de la psycho dynamique (dans le sens de l'étude des réactions aux stimuli), des approches synthétiques et majoritairement l'approches systémiques (incluant les relations à l'entourage proche). En aucun cas, les personnes suivies ne sont considérées comme des patients. La mise à distance thérapeutique est une réalité pendant le temps des soins, mais dès la séance terminée, tout le monde redevient un adhérent du réseau à part entière et à égalité. Cette stricte égalité dans la prise de décision, matérialisée par des votes en assemblées générales concernant l'ensemble des choix.

C'est ainsi que parallèlement au premier axe d'activités, d'autres ateliers à visée créative et culturelle, se sont progressivement mis en place, à la demande d'adhérents, qu'ils soient thérapeutes ou non et après approbation du groupe. Ces activités sont organisées par un animateur qui peut être aidé par un des thérapeutes participants. Pour les six premiers  mois de 2013, il  y a eu :

 Atelier de travail sur la voix et la respiration : 12 personnes, 3 heures par semaine -atelier de théâtre, 12 personnes dont plus de 50% sont en soutien psychologique, 3 heures par semaine    Atelier de création: animé par des créateurs-artistes extérieurs en alternance, 10 personnes (dont 7 en soutien psychologique) 3 heures par semaine.

 Atelier de photo numérique, 6 personnes: 3 heures par semaine.

 Atelier de jardinage sur le toit- terrasse,  8 personnes: 2 heures toutes les deux semaines.

 « café » : débat sur actualité et/ou sujet au choix de 17.00-21.00 tous les dimanches. Un atelier écriture et poésie, et un ciné-club sont en projets pour septembre.

   Par ailleurs le réseau assure des tâches pratiques non négligeables :

-équipe de communication avec deux sous-groupes: le secrétariat (6 personnes) et les relations avec les média (3 personnes dont 2 thérapeutes). -travail d'approche en direction des SDF (« street work )»: avec 9 thérapeutes et 2 personnes en soutien psychologique) -groupe de conseil juridique (ex : cas d'expulsion du logement), de 6 membres avec comme responsable Mme Papadaki ,avocate à la Cour suprême. -groupe de soutien scolaire pour les enfants de parents chômeurs, pour tous niveaux, avec 7 enseignants.

Les collaborations qu’entretient le réseau sont multiples. Il travaille avec :

 Médecins du monde,

 Pharmaciens du monde,

 Le foyer d'accueil de SDF de la Croix-rouge,

-l'ONG Babel (assistance aux demandeurs d'asile politiques et traumatisés de guerre),

 Les services publics luttant contre les violences intra-familiales,

 Les associations de solidarité Néocosmos et Mirmingui, -le département des écoles maternelles municipales (soutien auprès des parents, enseignants, atelier conte auprès des enfants)

 Le centre de santé psychique de Péristéni

 Le centre de santé de Pétrolona

La fréquentation du réseau a explosé : sur les 197 adhérents, 67 sont venus ses six derniers mois. Mais il difficile de dire si cela est dû à une augmentation du mal-être dans la population ou une notoriété grandissante dans la ville. Le local en tant que lieu de rencontre ouvert (ex : organisation de soirées) a également un effet attractif. De l'avis de Xénia, il y a aussi un dernier paramètre : la crise et la perte d'emploi peuvent aussi souvent « servir de prétexte », c'est à dire rendre légitime, l'expression du mal-être psychique. En effet en Grèce, bien plus encore qu'en France, le recours à une psychothérapie est un tabou ; donc si une simple série de 20 séances ne peut en tenir lieu, il s'agit d'un réel premier contact. Plus généralement le fait de parler de son ressenti est mal vu : finalement, il est peut-être en train de s'opérer une libération de la parole à grande échelle.

Clinique et pharmacie sociale d'Athènes (rue Kanningos)

« Notre première préoccupation : l'indépendance » (Makis)

La rencontre n'a pas pu se dérouler dans les locaux de l'établissement, elle s'est donc déroulée dans un café et a été souvent interrompue par de multiples appels téléphoniques, concernant la multitude de détails pratiques que suscite la gestion d'une telle structure. Makis est urologue dans une petite polyclinique appartenant à un groupe de santé privé, en pleine réduction d'effectifs ; il sait déjà que son contrat va prendre fin dans trois mois. Il appartient par ailleurs à la Coordination de la branche santé et au Comité central de la coalition de partis Syriza* qui prépare activement son Congrès pour  le mois prochain.

Notons d'abord que le terme de « clinique » il peut en fait s'agir d'un établissement public ou privé ; le mot est utilisé comme équivalent avec « hôpital », pour signaler la présence d'un grand nombre de spécialités médicales et chirurgicales.

L'idée de la clinique-pharmacie de Kanningos sous forme autogérée a émergé en février 2013. Elle ne fonctionne qu'avec des bénévoles qu'ils soient des soignants ou des personnes ayant d'autres compétences variées et intégrés par vote en assemblée générale. Entre les AG où sont prises toutes les décisions, un comité de 6 personnes assurent leurs mises en application. Le financement courant de la clinique-pharmacie est assuré par les dons privés et l'argent que les bénévoles y engagent. La coalition Syriza a décidé que ses députés élus doivent reverser une partie de leurs indemnités parlementaires à des structures de solidarité (ce qui n'est pas appliqué par tous...). Cependant, ni parti, ni groupe, ni syndicat, n'est admis comme co décisionnaires : l'assemblée générale est égalitaire et souveraine.

Pour le moment, l'équipe est formée d'environ 40 soignants et de 40 personnes chargées des tâches administratives. Elle assure près de 1000 consultations mensuelles mais le nombre est en considérable augmentation, cela pour tous les types de pathologies. Elle n'a pas de statut légal mais fonctionne sur le principe que « tout ce qui n'est pas interdit est autorisé » et semble être assimilée par les autorités à une association caritative.

 Le contexte de la création de la clinique est marqué par un problème majeur rencontré aujourd'hui par une population qui a 40% n'a plus de couverture de santé, qui est de trouver des lieux pour être soignée. Cette population avant la crise était surtout composée de migrants, et de gens travaillant au noir mais depuis la validation par l'État grec des impératifs fixés par le Memorandum imposé de l'Union européenne, elle englobe de plus en plus de gens. Cela touche bien sûr les chômeurs, qui se sont accrus de 28 % depuis le début de la crise, et qui en perdant leur emplois, perdent aussi la couverture santé qui y est attachée. Mais les artisans ainsi que les professionnels libéraux (tels les architectes ou les avocats) peuvent aussi se trouver en difficulté car les cotisations sociales sont à la fois très élevées et facultatives : 50 % de ces travailleurs auraient donc choisi de ne pas cotiser, or la baisse des revenus liée à la crise ne leur permet plus de palier à cela par leur fonds propres. Les salariés conservant un emploi ne sont pas pour autant épargnés car la participation aux frais de santé explose, y compris pour des opérations ou des accouchements, et même dans les établissements publics. Le fait du désengagement de l'État au profit du secteur privé accentue cette tendance, tout en mettant le secteur public encore plus en difficulté financièrement.

Le but de la clinique-pharmacie de Kanningos, n'est pas de remplacer un indispensable service public de la santé qui reste à rebâtir mais de répondre à des situations d'urgence sanitaire et sociale. Son action, comme globalement celle des autres structures de solidarité, est à la fois d'agir immédiatement en direction de ceux qui en ont besoin et en même temps de s'insérer dans un système qui trace des alternatives opposées à la recherche du profit. Ainsi à l'heure actuelle, les organisations solidaires avancent vers la construction d'un réseau à travers tout le pays, dont le comité de coordination compte pour l'instant 78 personnes (* Syriza n'a pas été la seule force politique contactée, j'ai aussi envoyé un message à la coalition d'extrême-gauche Antarsya, mais n'ai pas reçu de réponse.).

Par ailleurs, un bon maillage du territoire alentour permet que les stocks de la pharmacie soient en général plutôt remplis correctement, mais leur alimentation reste irrégulière. En fait, elle dépend des dons de citoyens, essentiellement par le biais de dépôt dans les officines du quartier ; les médicaments proviennent de changement ou d'interruption de traitements et ne s'agit donc pas de produits périmés.  

Le fait de ne plus avoir à exister comme substitution à des services publics en panne est un rêve commun à ces organisations, mais elles ont aussi la volonté de poursuivre même si la situation s'arrangeait (hypothèse pour l'heure quasi-nulle) à faire vivre la connexion démocratique créée entre elles et avec ce qui seraient des institutions publiques dignes de ce nom. À la clinique, tout le monde a bien conscience que des petites unités même reliées entre elles, n'ont pas une échelle suffisante pour acquérir certains équipements qui font défaut (ex : un scanner) ou pour disposer d'un laboratoire d'analyse par exemple. Ainsi les bilans sanguins sont envoyés soient à l'hôpital soit à des laboratoires privés. Cependant grâce à des dons, un service de soins dentaires, comprenant deux fauteuils, a pu être ouvert. L'installation dans des locaux plus adaptés, sachant que seul le squattage de locaux vides est envisageable, reste soumise au résultat des élections municipales de l'an prochain : pas la peine d'entamer un bras de fer si c'est l'expulsion assurée dans quelques mois.

Bien qu'aucune menace ne soit encore été clairement formulée par l'extrême-droite, la vigilance règne. En effet autour et au-delà de l'Aube dorée, surtout depuis leur accession au Parlement, il se forme une « zone grise » d'interconnexions entre elle, la grande majorité des forces de police et des mouvances plus ou moins cernables qui recrutent dans les entreprises de sécurité privée (vigiles, videurs). Ce phénomène connaît une expansion inquiétante. Toujours au niveau politique, si la clinique-pharmacie en tant que telle n'affiche pas de collaboration privilégiée avec un parti ou un autre, elle s'inscrit dans une prise de position forte pour la reconstruction d'un service public de la santé en Grèce qui est dans un état de délitement. En effet les hôpitaux publics ou privés de petites tailles sont menacés de fermeture (6 sont d'ores et déjà dans le collimateur) ce qui oblige les patients à se tourner vers les établissements des grandes villes déjà surchargés et en sous-effectifs. L'avenir semble bien sombre mais la détermination est forte.

Pharmacie solidaire de Patissia (banlieue d'Athènes)

« Assurer les besoins vitaux est à l'origine de notre création. » (Maria)

Après avoir traversé un hall et une petite cour, Maria, enseignante et bénévole à la pharmacie, me fait entrer dans un tout petit local envahi de monde. Des habitants du quartier font tranquillement la queue pour récupérer leur traitement habituel ainsi que celui d'août, car dans quelques jours la pharmacie ferme pour les vacances.

   Un grand nombre de sacs remplis de médicaments sont posés sur des tables et pour quelques-uns à même le sol en attente de tri. Les bénévoles déballent les boîtes de médicaments les uns après les autres, vérifient les dates de péremption, remplissent des fiches de stock détaillées et notent sur les boîtes le nombre d'unités contenues. Puis les boîtes sont rangées dans un petit cagibi garni d'étagères qui fait office de pharmacie. Presqu'au milieu de la pièce, le pharmacien délivre la quantité exacte de traitement prescrit après avoir vérifié l'ordonnance tendue puis la tamponne.

Rapidement, car il est impossible de rester dans la pièce sans gêner le travail de quelqu'un, Maria me propose de nous installer dans une salle de réunion dans un autre coin de la cour pour pouvoir répondre à mes questions.

L'idée de cette pharmacie est née de l'envie des gens de ce quartier très populaire de ne pas se résigner devant l'aggravation de leur situation notamment due à la montée du chômage. L'existence de déjà deux autres pharmacies de ce type a fini de les décider. L'axe central était de trouver une façon de remplir les besoins vitaux, ici de santé, que l'État assure de moins en moins, sans rester passifs et surtout sans demander la charité à qui que ce soit. La tâche est ardue car un grand nombre de personnes à Patissia n'ont plus de couverture sociale ou n'ont de toute façon pas les moyens de payer les 25 % de franchise réclamés pour les soins les plus courants.

La création s'est déroulée en plusieurs temps. Pendant deux mois la réflexion a porté sur les principes fondateurs qui servent de socle commun pour l'action : gratuité pour tous, solidarité, palliation mais non substitution vis à vis du service publique, défense de l'accès aux soins, égalité entre tous les volontaires. Une brochure d'informations à l'intention des gens du quartier a été réalisée et diffusée. Une fois la mise à disposition consentie par la municipalité d'un local dans le centre culturel, celui-ci a été aménagé pour recevoir à la fois du public et du stock. Enfin, les volontaires sont partis, sur les conseils d'un avocat, à la recherche de la pièce centrale pour assurer la légalité de l'opération : le pharmacien.

Actuellement, il y a une quarantaine de bénévoles dont 20 réguliers. Comme on note toutefois une forte circulation de personnes, le petit noyau d'environ 4 personnes qui permet la transmission des informations est indispensable à la continuité de l'activité. Dès le début, il a été fait un effort pour sensibiliser les utilisateurs à la notion de solidarité et ce qu'elle implique de réciprocité : le message a été très bien entendu et un bon nombre s'est inscrit pour participer à son tour. La pharmacie est ouverte les lundis et mercredi de 17h30 à 20h et le jeudi de 10h à 12h.

La gestion du stock est facilitée par la possibilité de faire des prévisions de consommation grâce aux renouvellements d'ordonnances. C'est pourquoi le stock de traitements destinés aux maladies chroniques et le petit matériel médical notamment destiné aux diabétiques, est régulier et comporte un stock de secours, mais des manques surviennent régulièrement pour les maladies aiguës (Il y a eu par exemple eu pénurie d'antibiotiques cet hiver) ou pour des articles plus spécifiques (chimiothérapie anticancéreuse, poches pour stomie digestive...).

Pour faire face à ce problème, la pharmacie de Patissia s'est mise en réseau avec des structures alentours ou avec même des particuliers. Dans certains cas elle peut par internet obtenir des médicaments rares en provenance de n'importe quel autre endroit du pays ; il y a eu un exemple récent où une famille résidant dans le Nord a envoyé les médicaments d'un membre décédé. Ce système d'échange a un inconvénient sonore ! Les appels téléphoniques incessants pour savoir si tel ou tel produit est disponible.

Les liens tissés ne se limitent pas là. La pharmacie travaille également avec un certain nombre de médecins bénévoles qui peuvent être consultés en cabinet ou à l'hôpital ; ceux sont la plupart du temps eux qui font les prescriptions suivies par le pharmacien de Patissia. Une liste de ces médecins est remise aux usagers. Il existe aussi un partenariat avec le Centre de santé mental car la structure ne délivre pas les médicaments inscrits sur liste restreinte, tels les psychotropes.

Il y a malheureusement une note sombre. En effet, si le local de la pharmacie n'a pas été quant à lui menacé par des groupes d'extrême-droite, cela a été le cas de l'association d'aide alimentaire Mirmingi située dans un proche quartier d'Athènes. Or le centre culturel dans lequel se trouve la pharmacie est lui-même englobé dans des bâtiments communs avec des établissements scolaires, de la maternelle au lycée. Ce lycée est fréquenté par des jeunes dont un nombre croissant se revendiquent de l'Aube dorée, sans toutefois sembler y être formellement encartés. Maria pense que le fait qu'il n'y ait pas de cadres de l'organisation parmi eux, ne leur permet pas d'avoir assez confiance en eux pour passer à l'attaque. Mais jusqu'à quand …

MCCH (Metropolitan Community Clinic of Helleniko)

« Ça a d'abord été une réaction politique et éthique. » (Kostas)

Contrairement à ce que laisse supposer le nom, il s'agit d'un petit dispensaire au milieu d'une zone un peu isolée dans une banlieue d'Athènes qui vient tout récemment d'être reliée au métro. Les locaux sont bondés car un public nombreux dont beaucoup d'enfants se succède sans relâche. Avant une présentation de la clinique à plusieurs voix, Eleni, membre de l'équipe de communication du MCCH me fait visiter, en essayant de ne pas trop déranger.

Le centre comporte une salle d'attente centrale avec des chaises, un banc et des bureaux où les secrétaires se chargent de l'accueil et de la prise des rendez-vous téléphoniques. De part et d'autre de la salle d'attente se trouvent des pièces aménagées en pièce de travail et de réunion mais dont l'usage est difficile car elles sont sans arrêt traversées par les personnes se rendant en consultation dans les bureaux des médecins. Il y a enfin une pièce assez grande qui sert de pharmacie et de stock de lait maternisé en poudre.

Après la visite, Giorgos, un des médecins me reçoit ; Eleni et Kostas (qui va devoir interrompre la conversation plusieurs fois pour les nécessités de l'activité) nous rejoignent pour nous servir de traducteurs.

Le projet de la clinique a vu le jour en décembre 2011. À l'origine, pour la plupart des porteurs de celui-ci, il s'agit d'une réaction viscérale devant l'ampleur du désastre sanitaire dans lequel sombre le pays. Il s'agit de se dresser contre les choix de l'État en terme de politique de santé (inégalité d'accès aux soins pour les migrants et les chômeurs, actes de soin payants, fermeture d'établissements, …) et mais aussi de défendre des valeurs professionnelles. Pour Giorgos, en tant que médecin, il lui est impossible de se résigner à voir mourir des patients, d'un cancer par exemple, simplement faute de soins.

Aujourd'hui la clinique est gérée par 250 bénévoles venants de la commune et de la banlieue sud d'Athènes, dont 90 docteurs dans de multiples spécialités (cardiologie, endocrinologie, médecine générale, médecine dentaire, pédiatrie...). Elle s'adresse essentiellement à des sans-emplois ayant perdu leur couverture sociale ou des gens qui ne peuvent plus payer les frais de santé, et fonctionne sur le principe de la gratuité. La fréquentation moyenne est de 70 à 80 personnes par jour mais elle est en train de s'accroître énormément. En effet, les factures présentées par l'hôpital à leurs patients sont de plus en plus lourdes et englobent tout : hospitalisation, acte chirurgical, accouchement... De plus, une taxe sur chacun de ces soins vient s'ajouter à la note. Le problème reste que la clinique ne peut fournir que des soins primaires et seulement en ambulatoire.

Des dons en argent, en matériels ou en médicaments sont possibles, mais ils ne sont en aucun cas reçus à titre de paiement ou en contrepartie de publicité. Les subventions sont également refusées afin de garantir l'indépendance du lieu. Les décisions sont prises en assemblée générale où le vote de tous les bénévoles a un même poids.

La clinique d'Helleniko est particulièrement impliquée dans la construction du réseau entre les structures. La constitution d'un pôle de communication relève de cet objectif, ce type de groupe de travail, à part pour les plus petits centres de soin, existe généralement dans l'ensemble des cas. Pour poursuivre, au niveau de l'étude et de l'information, la collaboration existant au niveau matériel, la MCCH est même depuis il y a environ deux semaines à l'origine d'un Observatoire de la santé en Grèce. Celui-ci vise à tracer une image de l'évolution de la situation sanitaire et sociale, ainsi qu'à pointer les déficiences de l'État en la matière.

Réseau de solidarité « Mirmingi » (« la fourmi ») : quartier de Kipseli

« Ne pas se laisser démoraliser par la misère. » (Athena)

Cette visite est un agréable imprévu. C'est Maria de la pharmacie de Patissia qui m'a proposé de rencontrer quelqu'un chez un de leurs partenaires privilégiés. C'est donc Athena, actuellement sans emploi, qui m'a reçu et ouvert les lieux.

Je rentre dans une maison un peu défraîchie et au couloir étroit mais qui débouche sur une salle à manger fraîche et confortable dont une partie est aménagée en bar. À cela s'ajoute une pièce destinée à recevoir des vêtements (donnés par et pour des gens du quartier), une salle avec des sièges d'enfants et quelques jouets pour permettre aux plus jeunes de patienter pendant la distribution des colis alimentaires. Au sous-sol deux pièces aussi, une qui fait office de salle de réunion, et l'autre garnie de rayonnages vides (fermeture en préparation pour les vacances la semaine suivante) où se situe habituellement le stock de denrées non périssables, de lait maternisé en poudre et de couches. Nous nous installons dans la plus grande pièce du haut pour s'entretenir.

Le quartier qui a toujours été une « zone sombre », presque cachée, d'Athènes, a été très durement impacté par la crise : on y compte environ 70 % de chômeurs. Ce chiffre s'explique aussi par le très fort taux d'immigrés africains qui y réside en situation régulière ou non, qui ont été parmi les premiers à perdre leurs emplois. La situation du logement est aussi alarmante : nombreux sont ceux qui s'entassent à 10 ou 15 dans quelques pièces, où parfois il n'y a plus ni eau ni électricité (et les tarifs des fluides vont encore augmenter en septembre...). Une poignée dort carrément dans la rue y compris l'hiver.

 Faire vivre la proximité est sans doute l'une des caractéristiques majeures de la Fourmi, à la fois en entretenant des liens étroits avec d'autres structures de solidarité (par exemple avec Synparxi) mais surtout en impliquant au maximum le voisinage. C'est ce qui a permis à cette initiative lancée en novembre 2012 par des habitants eux-mêmes, de prendre rapidement de l'ampleur et de la visibilité, ainsi que de pouvoir subvenir au loyer.

Aujourd'hui, 500 familles viennent chaque jour chercher un ou deux sacs de produits de longue conservation (huile, pâtes, café, farine...) ou s'approvisionner à la bourse aux vêtements. Cette tâche est assurée par 70 personnes dont 20 régulièrement, presque toutes sont également des bénéficiaires du réseau.

Mais l'activité ne s'arrête pas là, les volontaires organisent des collectes devant les supermarchés du quartier, où ils sont en généralement très bien perçu par les clients, qui savent que leur tour risque d'arriver bientôt : l'identification est immédiate. Par ailleurs, des négociations ont directement lieu avec des fabriquant de denrées alimentaires comme celles distribuées pour obtenir des pris plus favorables. Ces prix ne sont pas de simples prix de gros, un abattement supplémentaire est souvent accordé, l'entreprise apparaissant alors dans une liste de donateurs. Cependant toute diffusion publicitaire au bénéfice d'une société en particulier est refusée, et aucune ne peut se prévaloir d'un droit d'immixtion dans les prises de décisions : l'assemblée générale demeure souveraine. Une autre idée existe aussi derrière le fait de se tourner vers des unités de production, c'est celle de se passer au maximum des intermédiaires : la tenue d'un premier marché mettant directement en contact réseaux de solidarité de la ville et fabricants est d'ores et déjà programmée.

Ces AG ont lieu le premier dimanche du mois et débouche sur un moment de convivialité se traduisant par une cuisine puis un repas collectif dans le local. C'est l'occasion d'oublier les soucis quotidiens et d'avoir un vrai instant de détente. Entre les assemblées, une coordination qui se réunit toutes les semaines veille à sérier les tâches, organiser les plannings et régler divers problèmes courants de fonctionnement.

 Mirmingi n'est pas un groupe replié sur sa vie interne, elle recherche de plus en plus à s'ouvrir vers l'extérieur. Le bar avec consommations à prix réduits joue entre autre cette fonction. Des soirées sont aussi organisées dans le local (projections de films et débats) et au dehors ; récemment un récital associant des artistes a eu lieu dans un café proche.

Le réseau ne fait malheureusement pas l'unanimité. Ainsi cela lui a valu la semaine passée de recevoir vers quatre heures du matin un cocktail molotov sur sa porte d'entrée. Heureusement les pompiers, prévenus par des voisins, sont rapidement intervenus avant que le feu ne s'étende au local ou même aux bâtiments alentours. Depuis, l'attentat a été revendiqué sur leur blog par la mouvance Méandros (proche de l'Aube dorée). Si le mouvement est quasi inexistant dans le quartier, la peur parmi les habitants s'amplifie, d'autant plus que leurs statuts d'immigrants parfois clandestins les empêchent de se défendre par crainte de la police.

Toutefois comme l'attaque ne devait pas rester sans réaction, un rassemblement a eu lieu à Platia Amerikis, place où se fait la jonction entre les rues du quartier et a réuni près de 1000 personnes. Le renoncement ne semble donc pas une option envisageable pour les militants de La Fourmi.

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