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Billet de blog 2 septembre 2010

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Le choix du maintien (lettre ouverte à François DE WENDEL)

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Monsieur,

Vous avez récemment réagi à l'un de mes billets publié sur mon blog hébergé par Mediapart. Ce billet intitulé "Heavy MITTAL contre un nain politique : l'Europe" avait pour objet d'exposer mon point de vue en faveur de l'impérieuse nécessité de construire une Europe des citoyens politiquement forte, pour les protéger des pratiques de l'oligarque indien de la sidérurgie.

Il m'est apparu important de situer le détournement d'objet et les prises d'aubaine de MITTAL opérés sur les quotas de CO2 en Europe de nos jours dans un contexte plus large au plan historique relatif à l’économie du charbon et de l’acier.

- 1) l'Economie du charbon et de l'acier représente (ou représentait tout au moins à l'époque) un secteur stratégique pour les Etats, notamment directement impliquée dans l'industrie de l'armement. Je rappelle donc dans ce billet, que les quatorze mineurs déportés dans les camps, dénoncés aux nazis par leur Directeur en 1944, ont extrait du minerai employé à la fabrication de l'acier dans cette région limitrophe, dont on peut imaginer qu'il n'a pas servi qu’à fabriquer des produits manufacturés à usage civil en Allemagne...

- 2) Car Hitler n'aurait pu dérouler son plan de conquête et de maintien de l'espace vital sans préparer une campagne de réarmement massive. Sur ce point, je vous invite à visionner une des conférences de Madame LACROIX-RIZ ci-dessus. Par la même occasion, je ne peux que recommander la lecture du livre de Madame Annie LACROIX-RIZ, historienne, professeur d'histoire contemporaine à l'Université Paris VII intitulé "Le choix de la défaite".

Ce livre a fait l'objet de sept années de travail, sous la forme de recherches parmi des archives déclassifiées en 1999, soit soixante ans après le début de la seconde guerre mondiale. Il a le mérite au travers de plus de 3500 notes étayées par des documents officiels, d'éclairer d'un jour nouveau l'histoire des années trente dont François DE WENDEL, Président du comité des Forges et régent de la Banque de France a été un acteur non négligeable... (Je veux bien vous l'offrir si vous aviez l'obligeance de me communiquer votre adresse). Quand bien même l'auteure de cette "somme" ne cache pas ses convictions politiques, qui conditionneraient une interprétation certes orientée mais pour autant assumée des faits qu'elle relate à des fins politiques, nul ne peut dans le même temps contester la solidité des sources sur lesquelles elle s'appuie, garante de la qualité et de la précision de son travail. Les faits sont les faits.

- 3) Enfin si le commerce du charbon et de l'acier entre la France et l'Allemagne a largement contribué à amener la guerre en Europe, leur commerce avait aussi favorisé la paix dans la même Europe, par la création de la C.E.C.A aux visées pacificatrices en 1950. La C.E.C.A de Monnet et Schuman sous l'impulsion des américains était historiquement postérieure au cartel international de l'acier (ISC) qui devrait évoquer quelque chose à votre mémoire familiale, et dont l’objectif poursuivi était d’ordre commercial et privé, à contrario de l’objectif politique public de la C.E.C.A.

Vous rappelez fort utilement j'en conviens, que "les intérêts de Wendel reçurent un traitement spécial entre juillet 1940 et Août 1944."*

Il est de mon devoir ici sur ce blog d'être rigoureusement honnête au plan intellectuel, respectueux des faits dont j'ai pris connaissance y compris postérieurement à votre réaction. Il convient de ne pas simplifier ni réécrire l'histoire, surtout lorsqu'elle s'est déroulée dans un contexte aussi sensible. Aussi donc je ne conteste pas que "Roechling vint personnellement à la résidence d'Humbert de WENDEL avec une escorte militaire et lui ordonna de quitter la Lorraine dans les quarante-huit heures. Au contraire de ceux des autres firmes françaises, les directeurs de la maison de Wendel étaient complètement coupés de tous contacts avec leurs usines."* Toutefois les nuances et une relative bienveillance avec lesquelles s'exprimera Humbert DE WENDEL à la libération s'agissant de Roechling me laissent interrogateur... ("Hermann Roechling pouvait avoir été un homme de la Reichswehr (sic) il n'avait pas été "un homme de la Gestapo"*).

*(source : De la coopération à l'intégration : La Ruhr et l'industrie lourde française pendant la guerre, par John Gillingham).

Cette précision historique faite, corroborant pour partie les propos de votre droit de réponse, il convient à présent de dissiper un malentendu :

Relisez calmement mes propos : Je n'ai jamais écrit que "De Wendel" avait donné les mineurs d'Audun le Tiche aux nazis. Que je sache ils n'étaient pas "les patrons" de la société des Mines des Terres Rouges. En revanche il me paraît difficilement contestable d'affirmer que le minerai extrait ou l'acier des usines De WENDEL n'aient jamais fait l'objet de commerce avec l'Allemagne hitlérienne au moins pendant les années du IIIe Reich antérieures à 1940. Il y a là une nuance à laquelle je tiens.

Par ailleurs, les travaux de Madame LACROIX-RIZ établissent clairement que la Banque de France dont François de WENDEL était un des régents à l'époque, avait empêché l'Espagne républicaine de récupérer l'or qu'elle avait confié à cette même banque de France et qui lui fit cruellement défaut en vue de son armement face à la montée de Franco. Car plus grave, il semblerait donc que cet or ait bénéficié au final à Franco, afin qu'il puisse régler la note au IIIe Reich de son équipement militaire. Le rôle de la Banque de France (dont je rappelle qu'elle n'était pas nationalisée à l'époque) dans l'étranglement de l'Espagne républicaine semble patent. Quel est donc votre sentiment à ce sujet ?

Il est également prouvé par les archives citées par Madame LACROIX-RIZ que la Banque de France n’hésitait pas à faire pression sur le pouvoir politique en place dès lors qu’il s’émouvait des bruits de bottes allemands. L’Allemagne était un gros débiteur, elle devait rembourser les dettes privées des emprunts Dawse et Young, il n’était pas question de fâcher le pouvoir allemand en place, au risque de compromettre le remboursement de ses dettes. Là encore je serais curieux de connaître votre sentiment sur le rôle de la Banque de France vis à vis de l’Etat français…

J’ajoute que le Comité des Forges dont je le rappelle François DE WENDEL était le Président a, toujours d'après les travaux de Madame Annie LACROIX-RIZ, lancé une campagne de soutien à HITLER dès 1933, par l'intermédiaire du journal "LE TEMPS" (dont le Comité des Forges était l’actionnaire au tiers).

Pour finir, il est établi que le Comité des Forges a soutenu financièrement les ligues fascistes d'extrême droite, débouchant notamment sur les mouvements du 6 Février 1934.

Pour ma part à la lecture et à l’écoute de ces témoignages, il ne fait aucun doute que François DE WENDEL avait des "sympathies" pour un régime politique autoritaire semblable au moins pour partie à celui en place alors en Allemagne, allant jusqu’à remettre en question les institutions parlementaires de la troisième République.

De là à dire ou écrire qu’il était pro-hitlérien, il y a un pas que je ne franchirais pas.

Venons-en donc à l'essentiel de mon billet précédent :

Républicain convaincu, combattant le fascisme davantage encore lorsqu’il bénéficie d’importants soutiens financiers, je suis attristé de constater qu'aujourd'hui hélas l'autonomie du pouvoir politique est contestée par la puissance du pouvoir économique ceci s’inscrivant dans un mouvement semblant s’amplifier d’année en année.

Qu’il s’agisse des pouvoirs confiés à la BCE qui a mon sens sans contrôle des peuples européens les dépossèdent de leur souveraineté, qu’il s’agisse de MITTAL jouant sur les quotas de CO2 pour organiser un chantage à l’emploi dans son propre groupe en Europe, ou encore de la crise financière que nous devons aux banquiers, mais que les citoyens contribuables payent, du recul social orchestré ici ou là comme une fatalité incontournable eu égard à l’endettement public, le livre d’Annie LACROIX-RIZ publié récemment ne peut que nous interpeller.

Je vous propose d'écouter ci-après la conférence du 5 Juin 2010 donnée à Paris, où Madame LACROIX-RIZ nomme François DE WENDEL tout en donnant son point de vue à son sujet à la lumière de ses recherches.


"1940 : le choix de la défaite"

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