En signant son papier "Pierre chauffeur de VTC à Paris, 3460 euros / mois. Un monde de requins", Anaïs Lauvergeon journaliste pour Rue 89 a eu un mérite :
Celui de vouloir exposer concrètement la réalité économique et sociale d'un chauffeur VTC à Paris.
C'est donc avec beaucoup de curiosité que j'ai cherché à comprendre et analyser les chiffres rapportés dans son interview de "Pierre" qui se verserait un salaire de 3460 euros par mois en tant que chauffeur "partenaire" d'une compagnie célèbre par sa flotte uniforme de 508 Peugeot hybride.
Diantre, fichtre, bigre ! Voila un chauffeur heureux qui gagne plutôt bien sa vie ! Cela mérite une analyse plus poussée.
Entrons donc dans les détails des chiffres rapportés :
Commençons par analyser la productivité de Pierre, à savoir le ratio de son travail effectif en charge (avec un client) sur l'ensemble de son amplitude horaire quotidienne.
On apprend d'après ses déclarations, qu'il réaliserait entre 15 et 17 courses par jour, disons donc 16 sur une amplitude productive de 12 heures en charge sur 15 heures de travail entre 5 heures et 20 heures chaque jour, 6 jours sur 7 par semaine. Bravo ! Quel score inouï. On notera au passage une concurrence déloyale vis à vis des taxis parisiens, qui sont tenus de travailler au maximum 11 heures par jour, dans un souci de sécurité routière, en allumant leur horodateur contrôlé par les Boers sur la plage arrière de leur véhicule.
Une productivité kilométrique hors du commun !
A ce rythme là, il ne doit pas s'arrêter souvent... Si je calcule bien cela fait 80% de kilomètres en charge sur le total parcouru. Soit 20% de plus qu'un taxi parisien. Trop fort pour quelqu'un qui ne fait pas de maraude, mais de la réservation préalable. Visiblement le repositionnement à vide entre deux courses est optimisé au cordeau. l'enchaînement des courses repose sur un système capable d'anticiper l'horaire d'arrivée du chauffeur à destination pour pouvoir assurer la prochaine réservation particulièrement performant... Admettons. Mais tout de même :
Pas le temps de laver la voiture entre deux courses, juste le temps de sortir deux bouteilles d'eau du coffre pour le prochain client...
Mais en tout cas pas de retour au siège de l'entreprise pour la prochaine réservation ça ne fait aucun doute...
Une recette moyenne à la course douteuse.
Si Pierre dépense 400 euros par mois de gazole comme il l'indique, avec un moteur qui consomme en ville 6 litres au 100 à 1,34 euro le diesel, ça nous fait 300 litres, pour 5000 kilomètres par mois. Cela nous donne 1150 km par semaine environ, soit 200 kms par jour à raison de 6 jours d'activité.
On obtient une vitesse moyenne de 13, 33 km/h sur une amplitiude quotidienne de 15 heures, avec une recette moyenne à la course de... 13,40 euros qui tombe toutes les 55 minutes.
Je n'y crois pas un seul instant. Pourquoi ?
Lorsque Pierre monte à Roissy CDG depuis Paris, il facture 45 euros (prix forfaitaire annoncé sur le site de son partenaire fournisseur de courses). A moins de rester constamment à Paris intra-muros ou en proche banlieue, notre ami Pierre devra charger au moins une heure maxi après la dépose de son client à Roissy s'il veut tenir sa productivité miraculeuse de retour sur Paris...
A défaut, une autre méthode s'imposera : racoler un client, et dissimuler la recette... Cela permettra de revenir plus vite sur Paris, et surtout de ne pas déclarer le chiffre d'affaires au fournisseur de courses partenaire, comme au fisc. La plateforme distribuant les courses fermera les yeux, car elle préfère disposer de véhicules et de chauffeurs prêts à servir sa clientèle à Paris et en proche banlieue au plus près, le plus rapidement possible.
Une assurance transport de passager oubliée...
J'observe également que l'assurance tous risques déclarée (55 euros / mois) ne correspond pas à l'assurance de transport de passager à titre onéreux dans le cadre d'une activité professionnelle de transport... Une lacune, un oubli sans doute... Quid si notre ami Pierre s'endort au volant et provoque un accident après quelque mois d'une telle cadence quotidienne ? Si vous voyez une 508 zigaguer à Paris en fin de journée, éloignez vous, c'est Pierre qui s'endort au volant, faute de Guronzan !
Une situation précaire.
Notre ami Pierre travaille sous le régime de l'auto-entrepreneur. Il n'est donc pas salarié, paye les 26% du RSI, mais est éxonéré de TVA en application de l'article 293B du code général des impôts. Il devra cependant changer de régime fiscal dès qu'il aura atteint le plafond des trente deux mil neuf cents euros annuels de chiffres d'affaires. A ce rythme là, le plafond sera atteint en six mois. Qu'adviendra-t-il ? Il devra augmenter encore davantage sa productivité et/ou son amplitude de travail pour maintenir son niveau de vie du fait de l'augmentation des charges.
Mais mieux encore, le voila lié par un lien de subordination subtil qui ne dit pas son nom. En effet, en acceptant une réduction importante du montant de la location du véhicule contre un nombre de courses minimum substanciel réalisées chaque semaine, notre ami Pierre consent de fait à ne travailler que pour un donneur d'ordres... unique.
Je cite :
"Son loyer de voiture est régressif. C’est-à-dire que s’il effectue moins de 51 courses par semaine, il doit payer 480 euros TTC (réparations) par semaine. En revanche, s’il carbure à 73 courses, son loyer voiture n’est qu’à 60 euros TTC. Pierre a choisi la deuxième solution. N’ayant personne sur son dos, il est tout de même dépendant de ces quotas."
Il serait intéressant de savoir ce qu'en pense les nombreux chauffeurs signataires d'un tel contrat.
Combien ont poursuivi l'activité ? Sous quel régime fiscal ? Quels revenus en tirent-t-ils aujourd'hui pour quelle amplitude de travail ? Et au fait...
Le Code du Travail, qu'en dit-il ?
Enfin j'ai gardé le meilleur pour la fin :
Comme Pierre a démarré son activité d'auto-entrepreneur chauffeur VTC en Juin 2013, il a dû dépasser au terme des sept mois d'activité le plafond des trente deux mil neuf cents euros de chiffre d'affaires. Pourquoi n'a-t-il pas changé de régime fiscal au jour de son interview (18 Février 2014) ?
De deux choses l'une :
Soit Pierre dissimule des recettes...
Soit Pierre nous raconte une jolie petite histoire dans un but bien précis...