La morale laïque, dernière trouvaille socialiste, fait des émules. C’est pour moi à rebours de tout ce qu’on est en droit d’attendre d’une gauche au pouvoir.
La morale, une soumission
La morale¹ est une absurdité de l’histoire, un moyen de soumettre les hommes à des règles non écrites. C’est inacceptable pour tout républicain car il n’existe qu’une seule règle : la loi, qu’un seul auteur : le peuple. Celui qui se soumet à la règle commune étant celui-là même qui l’écrit, il y a alors une liberté totale. Mais lorsque la morale s’en mêle, alors les actions des hommes ont le devoir de poursuivre un but : le bien. Or chacun a sa propre définition du bien et du mal… et il ne fait nul doute qu’enseigner la morale à l’école, c’est enseigner une morale particulière. Le spectacle qui va nous être offert, pour définir ce qu’est cette morale, risque d’être croustillant. À n’en pas douter, les éminences grises en charge de la définition de ce que les citoyens devront considérer comme moral ou pas, si tant est que cette classification ait une quelconque pertinence, vont devoir se creuser la tête. Et ici les terroristes ne sont pas ceux qu’on croit, car il y a de quoi être effrayé quand on sait que des caciques, qui se prétendent de gauche, puissent encore se vendre au manichéisme le plus enfantin : il y aurait ce qui est moral, et donc bien, et le reste.
Nul doute qu’entre autre morale, respecter la loi sera définitivement dans le camp du bien ! Qui pourrait être contre ? comme républicain convaincu ? Personne ! Eh bien… on en reparlera lorsque la loi établira l’obligation de dénoncer le voisin qui abrite un juif, un rom ou un arabe… Alors finalement, respecter la loi n’est pas toujours moral, mais peut-on admettre pour autant que la morale soit au-dessus de la loi ? Ce serait nier l’état de droit. Bref : il s’agit ici de dresser les enfants, les soumettre à des règles non-écrites, comme on apprend à un chien à faire des tours.
Négation du progressisme
La morale repose sur l’idée d’un absolu, c’est-à-dire d’un ensemble de valeurs qui surpasserait toutes les autres. Outre le problème de leur définition, ces valeurs seraient intrinsèquement éternelles.
Face à ces absolus, tout esprit critique radical s’évanouit. Car comment remettre en cause ce qui, par nature, prédétermine tout le reste ? ce qui ne saurait être remis en cause par essence même ? On voudrait faire taire la critique radicale, c’est-à-dire la critique qui s’attaque aux principes, aux fondements même de ce qu’on peut appeler le « contrat social », qu’on ne s’y prendrait pas mieux. Alors quoi ? plus de remise en cause de la société actuelle ?
Mais sans remise en cause, toute capacité d’inventer de nouvelles solutions, d’imaginer d’autres principes supérieurs à la morale en vogue, disparaissent. Le progrès fait place au conservatisme. Et comme l’humanité est condamnée à gravir une pente ascendante, si elle s’arrête, elle recule. Et d’un pas la morale devient un projet réactionnaire. Tout progressisme impossible, ne reste plus qu’à tourner en rond. Excellente perspective pour nos enfants que d’apprendre une morale, s’y enchaîner, et la transmettre à leur descendance…
Drôle de projet pour une gauche dont on espérait à minima qu’elle soit progressiste.
Porte ouverte au relativisme
Mais plus encore, en construisant une morale pour le dressage de nos chers bambins, on devinera aisément que tous ne se sentiront pas obligés de s’y soumettre, une fois adulte. Ainsi est-il des hommes qu’il y en a toujours qui veulent être libres, libres de leurs propres règles de conduite ! Très vite, à une morale donnée, on pourra opposer une autre morale. Ainsi déplacé sur le plan des “valeurs”, le débat politique n’aura d’autres choix que de :
— combattre par la force les autres morales, c’est le combat qu’entend mener les socialos, opposant aux religions une morale républicaine grâce à la force de frappe que représente l’école ;
— accepter les autres morales, en règle général par le biais de la tolérance érigée en vertu, ancienne position des socialos.
Curieux paradoxe que de créer une morale, sensée défendre des valeurs absolues et universelles, et de se retrouver dans la pratique avec kyrielle de morales, toutes prétendant au titre suprême. Un sain d’esprit devrait y voir là le signe d’une tromperie ; il n’y a pas d’absolu, et donc pas de morale ; mais tout ne se vaut pas non plus. Voilà pourquoi il y a progrès, qui nie à la fois la morale universelle comme système de valeurs indépassables, et le relativisme des morales multiples. Point de dogme, point de morale là où il y a critique rationnelle, et point de progrès sans critique.
La laïcité en danger
La laïcité a été malmenée ces derniers temps, jusqu’à être son antagonisme pur : utilisée afin de prétendre empêcher l’exercice d’un culte particulier. On comprend que nos socialos soient chamboulés, mais on espérait qu’ils reprennent leur esprit.
Alors qu’est donc la laïcité ? Ce n’est pas une valeur, ni morale, ni absolue, mais un principe qui s’enracine dans l’histoire ; une société multi-cultuelle s’expose à des conflits entre les adeptes de religions différentes et la laïcité a émergé comme moyen d’apaiser ces conflits. On reconnaît ici la nécessité de la démarche rationnelle exposée précédemment : critique d’une société non sécularisée, recherches de solutions, et établissement d’un principe pour résoudre le problème. D’une part l’état ne favorise aucune religion, et n’en reconnaît donc pas ; la séparation de l’état et de l’église assure que la loi séculière s’impose à tous à égalité. D’autre part, l’état garantit la liberté de culte : cela autorise la pratique d’une religion sans craindre les intégristes des autres cultes.
À cette définition de la laïcité s’est greffée ce qu’on peut appeler une véritable religion. Celle-ci n’a pas de divinité au sens strict, mais consiste en une foi, une croyance en la primauté de la tolérance envers les autres religions, ou un refus absolu des religions selon le cas. On comprend bien qu’à cette foi laïque, il est facile de greffer une morale, comme un ensemble de valeurs dites républicaines. Il s’agit bien ici de reconstituer une religion avec son ersatz de divinité, la république, et son dogme, la morale laïque.
Cette religion devient religion d’état. Une absurdité qui renie le principe de laïcité. Par la confusion qu’entretiennent les socialos entre le principe de laïcité et la foi laïque, ils exposent le principe à sa remise en cause par le biais de la foi. Ils sont eux-mêmes les fossoyeurs de la laïcité.
Repenser l’instruction civique
L’enseignement à l’école d’une morale, laïque ou non, à prétention universelle ou non, est donc une aberration. C’est un projet réactionnaire par essence, et dangereux dans son application car la tâche de définir ce qui sera moral ou non sera soumise à toutes les pressions.
Un véritable projet progressiste, visant à l’émancipation, aurait été de mettre en place l’instruction civique au collège, afin de former le futur citoyen, et d’introduire la philosophie politique au lycée, avec une grande part accordée au débat critique des idées entre les élèves après des lectures des auteurs qui ont fondé les principes de nos sociétés actuelles : les antiques pour l’émergence des républiques et des démocraties, ceux du XVIème, pour leur pensée critique radicale, jusqu’aux lumières qui ont préparé nos sociétés modernes, et en terminant par les contemporains pour traiter des totalitarismes et s’exercer à la critique de nos institutions actuelles. Tout ceci, bien entendu, avec une contextualisation historique des auteurs, y compris de nos sociétés contemporaines.
¹ Je prends comme définition celle du petit Robert : « Ensemble des règles de conduite considérées comme bonnes de façon absolue ».