Le suicide programmé de l'Europe
En 2005, les français se sont prononcés sur un traité constitutionnel européen. Ils ont majoritairement rejeté ce traité qui, au mépris de toute démocratie, a quand même été signé - avec la complicité de l'opposition socialiste - sous le nom de traité de Lisbonne. Les années d'application ont confirmé nos pires pressentiments.
Car le moins qu'on puisse dire, c'est que la cohésion de l'ensemble n'est pas le souci majeur des dirigeants européens : le dumping social attire les investissements vers l'Irlande ou la Grande Bretagne, les paradis fiscaux fleurissent à l'intérieur même des frontières européennes, l'élargissement, sans aucune préparation, à des pays de main d'oeuvre à bas coût met à mal le marché du travail et les systèmes sociaux les plus avancés. Partout, c'est la politique du moins-disant économique et social qui s'impose et les citoyens ont de bonnes raisons de penser que la commission et la BCE sont l'allié objectif du FMI dans les politiques de financiarisation de l'économie.
Certains pays affichent une prospérité apparente au prix d'une paupérisation croissante de la population : l'Allemagne est le précurseur de ce qui nous attend : les lois Harz ont réduit de façon drastique la protection contre le chômage, les emplois à très bas salaires se multiplient comme les pains de l'Evangile et l'Union des Syndicats Allemands (DGB) fait état de 22% de pauvres. Sous l'impulsion de l'Allemagne, cette politique d'austérité est imposée à toute l'Europe alors que des économistes de renom, dont deux prix Nobel - considèrent qu'il s'agit d'une erreur grossière... Comme celle du FMI qui a reconnu qu'il avait gravement sous-estimé les effets de l'austérité sur les recettes fiscales ! Mais change-t-on de politique pour autant ?
Pourtant, les effets de cette politique sont comme inscrits dans les étoiles, comme le montre un texte de Pierre Mendès France écrit il y a plus de cinquante ans.
Il ne faut pas nier ce que nous a apporté l'Union Européenne, car nous n'avions pas eu 70 ans de paix depuis la Pax Romana. Mais, à force de jouer contre les citoyens, c'est précisément cela qu'elle est en train de détruire, par une politique propice à la montée de l'extrème droite dans tous les pays de l'Union.
Des institutions gangrénées par les lobbies
Bruxelles est la deuxième capitale du lobbying, derrière Washington. Ce sont, en effet, 15000 lobbyistes qui gravitent dans le sillage de la Commission Européenne. Ils s'autoproclament "experts" pour "conseiller" la Commission, mais ils forment en réalité des groupes de pression liés aux intérêts des géants économiques : citons en vrac British Petroleum, Philip Morris, BASF, Pernod Ricard, etc. Le budget global du lobbying se monte à plus d'un milliard de dollars, financé par les puissances économiques de ce monde.
Leurs méthodes vont jusqu'à la corruption pure et simple : en 1999, c'est l'ensemble de la Commission Européenne qui démissionne à la suite de malversations dénoncées par la presse belge. En 2012, le commissaire à la santé, soupsonné de corruption, démissionne aussi. Cette vérole atteint aussi le parlement : le député autrichien Ernst Strasser est pris "la main dans le sac", acceptant 100000 euro par an pour proposer des amendements aux textes débattus par le parlement.
Parmi les 2000 groupes de pression que compte l'agglomération bruxelloise, un est particulièrement puissant : il s'autoproclame "table ronde des industries européennes" et s'est donné pour mission de remodeler l'Europe à son avantage. Il a, par exemple, établi un projet d'aménagement complet des voies de communication en Europe - pour un budget de 400 milliards d'euro - que la Commission a retranscrit à la virgule près sans même engager un débat, malgré l'opposition des écologistes à certains aspects du projet.
Ce sont ces groupes d'intérêt qui, par un chantage à la délocalisation, ont poussé à la signature de l'acte unique (1992) qui institue le marché unique et préconise la libéralisation des échanges et l'assouplissement des marchés du travail. Ce sont aussi eux qui réclament la concurrence fiscale entre les états et pronent la disparition des services publics. L'Europe renonce ainsi à son projet politique au profit de la "concurrence libre et non faussée" que viendra couronner le traité de Lisbonne malgré l'opposition référendaire de deux pays. Cela montre amplement à quel point ces pratiques sont un péril pour la démocratie.
Les lobbies sont présents partout, y compris dans les comités de "sages" sur lesquels la Commission s'appuie. En 2008, un groupe de réflexion de sept membres est constitué pour proposer des solutions à la crise naissante. Tous représentent des intérêts financiers et trois d'entre eux sont liés aux banques américaines Goldman Sachs et Lehman Brothers, qui font partie des responsables de la crise. Ces lobbies pratiquent allègrement ke conflit d'intérêt !
Un commissaire européen, l'estonien Siim Kallas, a voulu obliger les lobbyistes professionnels à la transparence, en créant un régistre dans lequel seraint consignés les intérêts qu'ils représentent et leurs sources de financement. Mais c'est un coup d'épée dans l'eau, l'inscription à ce régistre n'étant pas obligatoire.
La quadrature du cercle ?
Un article du Monde de 2013 (en pièce jointe) nous dit clairement qu'une véritable Union Européenne est une nécessité, car face à des géants comme l'Inde, le Brésil, la Chine, c'est la seule chance que nos pays pèsent encore quelque chose dans les affaires du 21eme siècle. Sinon, tout ce que l'histoire retiendra, c'est que l'Europe s'est suicidée en deux guerres mondiales.
Oui, mais comment faire ? Avant toute chose, il faut l'adhésion des citoyens. Les institutions européennes ne l'obtiendront que si elles arrêtent de rendre toujours des arbitrages en faveur des lobbies et des puissances d'argent, que si on ne parle plus de la Troïka qui impose une austérité néfaste pour l'économie réelle, que si elles n'expriment plus d'exigences mortifères pour les systèmes sociaux les plus avancés, que si un seul pays cesse d'imposer sa loi à tous les autres. En l'état actuel des choses, des abandons de souveraineté en faveur d'une commission européenne non élue et donc illégitime pour parler au nom des peuples seraient un remède pire que le mal !
Il faut fixer des domaines de compétence, comme au Canada ou en Suisse, pays organisés en confédération où les attributions des provinces - ou cantons - sont très larges.
Mais ne serait-ce pas la quadrature du cercle ? Car il s'agit d'unir 27 pays qui parlent presque autant de langues, certains des royaumes, d'autres des républiques, certains de structure centralisée et d'autres déjà des fédérations. L'entreprise est de toute évidence beaucoup plus difficile et risquée que de massacrer quelques milliers d'indiens pour prendre leur place, d'autant pls que sous l'influence des décideurs économico-financiers, nous avons élargi de façon irréfléchie. Nous avons donc à créer notre propre modèle, non à imiter celui des autres.
Pourtant, si nous n'y arrivons pas, c'est le retour assuré aux égoïsmes nationaux, déjà annoncé par les tendances séparatistes (Ecosse, Pays Basque, Catalogne, Flandre, Lombardie) et la montée de l'extrème droite dans tous les pays. A long terme, ce peut être le retour des guerres européennes, n'en déplaise au Comité d'Oslo avec son surréaliste prix Nobel de la Paix à l'Union Européenne (et pourquoi pas le prix Nobel de littérature à la collection Harlequin ?). Commenter de façon incantatoire les anniversaires, comme le cinquantième du traité de l'Elysée en 2013, ne suffit pas. Arrêtons de faire n'importe quoi avec l'Europe, il y va de l'avenir des européens.