La décision de la chambre criminelle n'a aucun intérêt. Jérôme Kerviel reste condamné malgré une dénaturation des faits qui fait échec à la loi et que la Cour de cassation aurait du relever. La condamnation définitive au pénal entraîne ipso facto sa seule responsabilité civile, le renvoi ne porte que sur une mauvaise appréciation des dommages et intérêts qui, selon la Cour, n'a pas tenu compte des fautes de la banque. Surprenant que la même chambre qui relève des fautes dans le domaine civile n'en tire pas toutes les conclusions qui s'imposaient en droit pénal. Il reste cependant un recours aux avocats de Jérôme Kerviel que personne n'évoque : le recours dans l'intérêt de la loi. Cet oubli fort dommageable pour le condamné conduit à s'interroger sur l'effectivité et l'efficacité des droits de la défense devant la cour de cassation comme en témoigne au même moment l'affaire Azibert-Herzog-Sarkozy.Le Point rapporte que Thierry Herzog écrit un courrier au procureur de Paris pour faire valoir sa bonne foi dans l'affaire que Médiapart a révélé, où les magistrats - un procureur est aussi un magistrat - sont agrémentés de qualificatifs peu élogieux par l'avocat et son client, lui-même avocat.
Ce courrier de Thierry Herzog présente des incohérences.
Contrairement à ce qui est raconté, il est vraiment très rare que des avocats entretiennent des relations personnelles avec des magistrats au point d'aller manger ensemble au restaurant pour discuter des dossiers en cours. Un magistrat a l'obligation dans ce cas de se déporter du dossier. Il commet sinon une faute grave et perpétue la caricature de Gustave Doré.
Les magistrats, qu'ils soient du parquet ou du siège, sont soumis à une obligation d 'impartialité, inscrite dans leur déontologie professionnelle, le code de procédure pénale et le droit international public. Cette seule observation suffit à expliquer qu'il y a déjà une incohérence de taille dans le propos qui vise à vouloir expliquer que "cela se fait". Pourquoi ne pas envisager non plus de rêgler les dossier à la belotte ?
Donc, non, cela ne doit pas se faire, et si cela se fait, c'est contraire au droit, contraire à la loi et la déontologie des professions du droit.
Parce que c'est non seulement attentatoire à l'obligation d'impartialité des magistrats, sur laquelle repose la légitimité des décisions qu'ils rendent, mais que cela fait échec aux principes d'égalité devant la loi et à la sécurité juridique, au droit d'avoir accès à un tribunal impartial et indépendant.
Le discours qui vise à prendre la défense de Thierry Herzog porte donc aussi la suspicion sur la profession d'avocat et son mode de fonctionnement, dont le résultat du discours conduit à comprendre que le rêole de l'avocat pourrait être celui de contrarier cette égalité de droit des justiciables et l'indépendance et l'impartialité des tribunaux.
Banaliser l'affaire revient à expliquer à l'opinion que selon l'avocat, et son carnet d'adresses, le dossier sera réglé sur un coin de table de restaurant ou pas. Les prévenus en comparution immédiate et leurs avocats habitués aux sandwichs apprécieront. Cela revient à dire qu'on ne fait plus appel à un spécialiste du droit mais à un réseau.
De plus les relations des avocats avec le ministère public, à moins de solliciter des rendez-vous au palais de justice, se font par écrit et passent généralement par le secrétariat du parquet. Un Code Dalloz n'est pas un guide Michelin. Et la confusion que génère l'affaire n'est pas de nature à renforcer la crédibilité d'un ordre des avocats plus prompt à sanctionner perpétuellement une consoeur modeste que de rappeler à la mesure un confrère.

Comment Thierry Herzog explique-t-il être allé solliciter un parquetier auprès d'une chambre civile de la Cour de cassation pour une affaire pendante devant la Chambre criminelle ? Si cela se faisait comme il le prétend, la logique aurait du le conduire à solliciter tout de suite le bon interlocuteur.
Enfin, Thierry Herzog met en cause Patrice Spinosi pour s'expliquer. Cela manque singulièrement d'élégance d'entraîner ainsi un confrère dans un dossier. Les parties ne reçoivent pas les conclusions du conseiller rapporteur dans le déroulement d'une procédure en cassation. Ce n'est pas automatique parce que le rapport du conseiller rapporteur et les conclusions du parquet sont informels. Ces documents peuvent être demandés. Il suffit donc de vérifier si le dossier contient une demande de Patrice Spinosi.
On ne peut donc pas prendre l'opinion pour une imbécile, sachant qu'elle est aussi composée de juristes, de magistrats et d'avocats qui doivent à leurs concitoyens donner l'image d'une institution transparente. Monsieur Mollins nommé par Monsieur Sarkozy se retrouve dorénavant dans une situation bien inconfortable.
Thierry Herzog fait appel à Patrice Spinosi qui est également l'avocat au conseil de Jérôme Kerviel. Ce télescopage judiciaire dépasse la coïncidence quand on relève dans les deux affaires des anomalies graves.
Ce que même Médiapart présente comme un victoire n'en est pas du tout une.
La chambre criminelle - la même que dans l'affaire Sarkozy - a clos définitivement le volet pénal de l'affaire en affirmant la seule responsabilité de Jérôme Kerviel. Les dirigeants de la banque sont donc sortis d'affaire et il n'y aura plus d'enquête judiciaire du fait de l'autorité de la chose jugée.
La cour d'appel devant laquelle est renvoyée l'affaire est donc tenue par la décision de culpabilité devenue définitive et ne peut pas revenir dessus. Elle le peut d'autant moins qu'elle n'est saisie que de l'appréciation du quantum des dommages et intérêts réclamés par ... la société générale. La mort civile de Jérôme Kerviel n'est reportée que de quelques mois et de quelques milliards, le temps qu'on l'oublie au fond de sa cellule.
Le renvoi ne portera donc que sur l'évaluation des dommages intérêts que la chambre criminelle casse étonnamment au visa d'une erreur d'appréciation en considération d'un comportement fautif - au civil seulement - de la Société générale. Il est donc étonnant que la Chambre criminelle n'ait pas tiré de cette faute toutes les conséquences qui s'imposaient logiquement sur le plan pénal.
Cette incohérence crée un doute très sérieux et confirme une dénaturation des faits que la confirmation du volet pénal vient couvrir.
la Cour de cassation n'avait en revanche aucune liberté d'action sur le plan civil.
La France aurait été condamnée à Strasbourg en voyant arriver une condamnation assortie d'un montant ridiculement excessif de dommages intérêt. Une décision de la Cour de Strasbourg aurait donc condamné la France et ce serait toute l'affaire qui aurait été rejugée. La décision de la Chambre criminelle a donc contourné ce risque et sauvé les apparences en protégeant les juges du fond qui n'ont pas bien fait leur travail (la faute civile a forcément une coloration pénale dans cette affaire, il existe donc un doute sérieux sur la peine de prison et la culpabilité). La cassation partielle est une bonne opération de communication qui calme l'opinion mais assure à la société générale son impunité.
C'est donc un jugement à la Ponce Pilate.
Je ne serai pas complet si j'oubliais de vous signaler une possibilité de reprendre tout à zéro et que les avocats de Jérôme Kerviel négligent : le recours dans l'intérêt de la loi.
La dénaturation des faits fait effectivement échec à la loi et le jugement de culpabilité est ainsi frappé d'une cause évidente de nullité que la Cour de cassation n'a pas relevé.
L'article 620 du code de procédure pénale donne le pouvoir à la garde des Sceaux de donner l'ordre au procureur général de la cour de cassation de dénoncer les actes judiciaires contraire à la loi à la chambre criminelle. Attendu que c'est cette même chambre qui s'est fourvoyée, l'affaire devrait être renvoyée devant une chambre mixte ou l'assemblée plénière, pour éviter à la Cour de cassation d'être à nouveau condamnée par la CEDH pour défaut d'impartialité.
Il y a donc une voie de recours possible pour combattre et faire échec à une injustice qui indigne l'opinion publique.
Il faudrait donc interpeler Maître Spinosi et Maître Koubi pour savoir s'ils envisagent de saisir la garde des Sceaux sur ces points.
Il n'est pas douteux que Jérôme Kerviel devrait ttouver des soutiens si l'affaire devait être rejugée.
La cassation de toute l'affaire permettrait en effet aux partis politiques soucieux de l'Etat de droit et de l'affirmation de la justice comme aux syndicats sincèrement préoccupés de la défense des droits des travailleurs de se constituer partie civile à l'affaire.
Une telle initiative ne peut qu'être de nature à remobilser l'électorat et les travailleurs et mettre un terme efficace à la montée des extrémismes que chacun s'accorde à déplorer sans prendre les responsabilités que la loi lui donne.
Voilà les leçons que donnent à tirer les affaires Sarkozy et Société générale
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Des questions ne sont pas abordées dans l'affaire de la Société générale : où sont passés tous ces sous ? N'y a-t-il pas eu détournement de fonds publics pour un financement occulte ? L'économie casino ne serait-elle pas un moyen d'abonder des caisses noires ? Ces questions peuvent expliquer la mansuétude des gouvernements à l'égard d'une dérèglementation qui favorise justement cette possibilité et dont l'affaire Cahuzac a montré clairement qu'elle se pratique du PS jusqu'au FN.