La Cour européenne vient de rendre un arrêt qui risque de porter un nouveau coup à l'action répressive du gouvernement qui s'apprête à substituer des médecins aux forces de l'ordre en leur attribuant la mission d'interner des gens sous le seul prétexte qu'ils "nécessiteraient" des soins psychiatriques.
Roselyne Bachelot a présenté au conseil des ministres du 5 mai 2010 un projet de loi relatif "aux droits et à la protections des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques". Ce texte prévoit l'internement des personnes sans leur consentement au motif qu'ils nécessiteraient des soins psychiatriques.
L'intitulé paradoxal de la loi et de ses effets (on prétend protéger des droits qu'on bafoue) illustrent encore une fois merveilleusement l'inspiration orwellienne et l'adoption de la novlangue par le gouvernement, qui ne semble pas se soucier des principes fondamentaux du droit ni de la déontologie médicale.
Le mode de soins approprié (hospitalisation complète ou soins ambulatoires) sera défini à l'expiration d'un délai de 72 heures, soit trois jours après l'internement sans consentement en asile psychiatrique.
Leprojet prévoit que le juge des libertés et de la détention pourra être saisi ou se saisir d'office. Faut-il encore qu'il ait connaissance de la décision d'internement d'office.
Des commissions départementales de soins psychiatriques seront obligatoirement saisies pour examiner "les situations les plus sensibles", mais qui décidera qu'une situation est plus sensible qu'une autre ? Qu'est-ce qu'une situation sensible ? Un VIP ?
Le projet de loi redéfinit les conditions d'admission en soins sans consentement à la demande d'un tiers, sur décision du représentant de l'Etat, ou de l'administration pénitentiaire pour les personnes détenues atteintes de troubles mentaux. Ce dernier cas a été le motif invoqué pour expliquer le décès d'une des personnes injustement incarcérée dans l'affaire d'Outreau. François Mourmand a été plus vite oublié que le préfet Erignac.
La discussion du texte au Parlement est prévue à l'automne.
Le contournement des garanties fondamentales en matière de liberté et de droits civils et politiques comme celui du droit fondamental à la santé trouve heureusement et une nouvelle fois en la Cour européenne des droits de l'homme un recours à la dérive française. La psychiatrisation d'office va-t-elle engendrer un débat aussi passionné que celui sur la garde-à-vue ? les avocats aurait tort de négliger la première aus eul profit de la seconde, puisque celle-là pourrait présenter les mêmes abus que celle-ci.
L'arrêt Villa contre Italie illustre la cohabitation du droit pénal et de la psychiatrie.
Un individu déclaré partiellement irresponsable est condamné à une mesure de sûreté : la liberté surveillée. Cette mesure jugée nécessaire en raison de son état socialement dangereux, étant atteint d'une psychose paranoïde, fut exécutée jusqu'à ce qu'un juge estime qu'il n'était plus dangereux.
La Cour de Strasbourg a jugé que, si la liberté surveillée n'est pas une mesure privative de liberté au sens de l'article 5, paragraphe 1, de la Convention, elle est bien contraire à l'article 2 du protocole 4 qui garantit la liberté de circulation.
le fait que la liberté surveillée soit prévue par la loi, poursuive un but légitime et ménage un juste équilibre entre l'intérêt général et les droits de l'individu n'est pas suffisant.
La Cour précise qu'une mesure restreignant la liberté de circulation d'une personne « peut devenir disproportionnée et violer les droits de cette personne si elle se prolonge automatiquement pendant longtemps » (§ 47) et que « un intervalle de plus de quatre mois entre l'audience devant le juge d'application des peines et la levée effective de la liberté surveillée n'était pas justifiée et a été de nature à rendre disproportionnées les restrictions à la liberté de circulation du requérant » (§ 52).
La Cour sanctionne ainsi le caractère tardif de la transmission de la décision du juge de l'application des peines à l'issue d'une prolongation de neuf mois, sans qu'aucune mesure de contrôle n'ait été effectuée.
Cette décision de la Cour fait donc naître un doute sérieux sur la conventionnalité de la surveillance de sûreté française (dep. la L. n° 2010-242 du 10 mars 2010 ; art. 706-53-19 c. pr. pén.) permettant au juge de décider d'une mesure pour deux ans, sans contrôle, quand l'Italie a été condamnée pour une période de treize mois seulement, en insistant sur le défaut de contrôle pendant ce laps de temps. La procédure française risque donc d'être aussi sanctionnée sans parler de la surveillance judiciaire des réductions de peine s'étendant sur plusieurs années.
Les questions qui se posent donc sur les mesures de sureté existantes portent donc à s'interoger a fortiori sur un projet de loi qui contourne les garanties du justiciable en instrumentalisant la médecine et particulièrement la psychiatrie.
Le gouvernement lance un défi aux démocrates. Ils ont l'été pour se compter et réfléchir. Il est d'autant plus important de s'en inquiéter que ce projet de loi concerne une grosse partie de la population ayant déjà consommé des tranquilisants, prescription susceptible d'évoquer des antécédents psychiatriques pour justifier un internement d'office.
Etre fou est une chose, être bête en est une autre.
Les régimes qui psychiatrisent leurs populations ne sont pas restées dans l'histoire comme des modèles de démocratie.
Heureusement, qu'il y a Strasbourg. Hopla !