La Cour européenne des droits de l'homme interdit le cumul de peines adminsitratives et pénales pour les mêmes faits. Les contribuables, les fonctionnaires, les commerçants, les automobilistes (points retirés du permis) et toutes les personnes se voyant infliger une sanction administrative et une sanction pénale pour des faits identiques sont concernés par cette décision.
COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME
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10.2.2009
Communiqué du Greffier
ARRÊT DE GRANDE CHAMBRE
SERGUEÏ ZOLOTOUKHINE c. RUSSIE
La Cour européenne des droits de l’homme a prononcé aujourd’hui en audience publique son arrêt de Grande Chambre1 dans l’affaire Sergueï Zolotoukhine c. Russie (requête no 14939/03).
La Cour conclut, à l’unanimité, à la violation de l’article 4 du Protocole no 7 (droit à ne pas être jugé ou puni deux fois) de la Convention européenne des droits de l’homme.
En application de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la Cour alloue au requérant 1 500 euros (EUR) pour dommage moral, ainsi que 9 000 EUR pour frais et dépens. (L’arrêt existe en français et en anglais.)
1. Principaux faits
Sergueï Aleksandrovich Zolotoukhine est un ressortissant russe né en 1966 et résidant à Voronej (Russie).
L’affaire porte sur les procédures administrative et pénale dont M. Zolotoukhine fit l’objet en 2002 pour des atteintes à l’ordre public.
Le 4 janvier 2002, le requérant fut arrêté pour avoir amené son amie dans un quartier militaire sans autorisation et fut conduit au poste de police du district Lénine de Voronej. D’après le rapport de police, l’intéressé, qui se trouvait en état d’ébriété, était insolent, usait de termes obscènes et avait tenté de fuir. Le même jour, le tribunal du district Gribanovski le reconnut coupable d’« actes perturbateurs mineurs » en vertu de l’article 158 du code des infractions administratives et lui infligea une peine de trois jours de détention.
Par la suite, une procédure pénale fut engagée contre le requérant, sur le fondement de l’article 213 § 2 b) du code pénal, pour actes perturbateurs commis avant l’établissement du rapport de police et, sur le fondement des articles 318 et 319 du code pénal, pour insultes et menaces pendant et après l’établissement du rapport. L’intéressé fut placé en détention provisoire le 24 janvier 2002. Le 2 décembre 2002, le même tribunal de district reconnut le requérant coupable des infractions réprimées par l’article 319 du code pénal. Toutefois, il le relaxa des accusations portées en vertu de l’article 213, estimant que la culpabilité n’avait pas été prouvée selon le critère requis dans le cadre d’une procédure pénale.
2. Procédure et composition de la Cour
La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 22 avril 2003 et déclarée en partie recevable le 8 septembre 2005.
Par un arrêt de chambre du 7 juin 2007, la Cour conclut, à l’unanimité, à la violation de l’article 4 du Protocole no 7.
Le 5 septembre 2007, le Gouvernement a demandé le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre conformément à l’article 432 de la Convention (renvoi devant la Grande Chambre). Le 12 novembre 2007, le collège de la Grande Chambre a accepté ladite demande.
Le Président de la Cour a accordé à l’ Institut de Formation en Droits de l’Homme du Barreau de Paris le droit d’intervenir dans la procédure devant la chambre en qualité de tiers intervenants, en application de l’article 36 § 2 (tierce intervention) de la Convention et de l’article 44 § 2 du règlement de la Cour.
Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 26 mars 2008.
L’arrêt a été rendu par la Grande Chambre de 17 juges, composée en l’occurrence de :
Jean-Paul Costa (France), président,
Nicolas Bratza (Royaume-Uni),
Françoise Tulkens (Belgique),
Josep Casadevall (Andorre),
Corneliu Bîrsan (Roumanie),
Karel Jungwiert (République Tchèque),
Anatoly Kovler (Russie)
Elisabeth Steiner (Autriche),
Stanislav Pavlovschi (Moldova),
Egbert Myjer (Pays-Bas),
Dragoljub Popović (Serbie),
Isabelle Berro-Lefèvre (Monaco),
Päivi Hirvelä (Finlande),
Giorgio Malinverni (Suisse),
Luis López Guerra (Espagne),
Mirjana Lazarova Trajkovska (« l’ex-République yougoslave de Macédoine »),
Ledi Bianku (Albanie), juges,
ainsi que de Michael O’Boyle, greffier adjoint.
3. Résumé de l’arrêt3
Grief
Invoquant l’article 4 du Protocole no 7 (droit à ne pas être jugé ou puni deux fois) de la Convention européenne des droits de l’homme, M. Zolotoukhine alléguait qu’après avoir purgé une peine d’emprisonnement de trois jours pour « actes perturbateurs » à l’issue de la procédure administrative, il avait de nouveau été jugé et détenu pour la même infraction dans le cadre d’une procédure pénale.
Décision de la Cour
La Cour rappelle que l’article 4 du Protocole no 7 interdit qu’une personne soit pénalement poursuivie ou punie deux fois pour la même infraction.
Sur l’existence d’une « accusation en matière pénale » au sens de cette disposition, confirmant l’arrêt de la Chambre, la cour considère que la procédure engagée contre le requérant devant le tribunal du district Gribanovski le 4 janvier 2002, bien que qualifiée d’administrative en droit interne, doit s’analyser en une procédure pénale en raison notamment de la nature de l’infraction et de la sévérité de la peine.
Sur la question de l’identité d’infractions, la Cour relève avoir dans le passé suivi des approches différentes consistant à mettre l’accent tantôt sur l’identité des faits, indépendamment de leur qualification juridique, tantôt sur la qualification juridique, en admettant que les mêmes faits peuvent donner lieu à des infractions distinctes, tantôt sur la recherche d’éléments essentiels communs aux deux infractions. Estimant que la diversité de ces approches est source d’une insécurité juridique incompatible avec le droit fondamental garanti par l’article 4 du Protocole no 7, elle décide de préciser ce qu’il faut entendre par une « même infraction » au sens de la Convention.
Après avoir analysé la portée du droit de ne pas être jugé et puni deux fois tel qu’il est prévu par d’autres instruments internationaux, en particulier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté par les Nations Unies, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la Convention américaine des droits de l’homme, la Cour indique que l’article 4 du Protocole no 7 doit être compris comme interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde infraction pour autant que celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont « en substance » les mêmes que ceux ayant donné lieu à la première infraction. Cette garantie entre en jeu lorsque de nouvelles poursuites sont engagées et que la décision antérieure d’acquittement ou de condamnation est déjà passée en force de chose jugée.
En l’espèce, la Cour considère que les faits à l’origine des deux procédures, administrative et pénale, intentées contre le requérant, ne se distinguent que par un élément, la menace de violence à l’encontre d’un officier de police, et doivent par conséquent être considérés comme étant en substance les mêmes.
Sur le point de savoir s’il y a eu répétition des poursuites, la Cour considère, confirmant les conclusions de la Chambre, que la condamnation à trois jours de détention dans le cadre de la procédure « administrative » devait s’analyser en une décision définitive car elle n’était pas susceptible d’un recours ordinaire en droit interne. Elle souligne par ailleurs que le fait que le requérant avait été relaxé dans le cadre de la procédure pénale, d’une part, n’enlève rien à son allégation selon laquelle il avait été poursuivi deux fois pour la même infraction et, d’autre part, ne lui retire pas la qualité de victime car la relaxe n’avait pas été prononcée en raison de la violation du droit garanti par l’article 4 du Protocole no 7 mais uniquement en raison de l’insuffisance des preuves à charge.
La Cour conclut que les poursuites engagées contre le requérant en application de l’article 213 § 2 b) du code pénal concernaient essentiellement la même infraction que celle pour laquelle il avait déjà été condamné en vertu de l’article 158 du code des infractions administratives et que, par conséquent, il a été victime d’une violation de l’article 4 du Protocole no7.
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Les arrêts de la Cour sont disponibles sur son site Internet (http://www.echr.coe.int).
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La Cour européenne des droits de l’homme a été créée à Strasbourg par les Etats membres du Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des droits de l’homme de 1950.
1 Les arrêts de Grande Chambre sont définitifs (article 44 de la Convention).
2 L’article 43 de la Convention européenne des droits de l’homme prévoit que, dans un délai de trois mois à compter de la date de l’arrêt d’une chambre, toute partie à l’affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre (17 membres) de la Cour. En pareille hypothèse, un collège de cinq juges examine si l’affaire soulève une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses protocoles ou encore une question grave de caractère général. Si tel est le cas, la Grande Chambre statue par un arrêt définitif. Si tel n’est pas le cas, le collège rejette la demande et l’arrêt devient définitif. Pour le reste, les arrêts de chambre deviennent définitifs à l’expiration dudit délai de trois mois ou si les parties déclarent qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre.
3 Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.
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