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Billet de blog 17 septembre 2012

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Sabra et Chatila, il y a trente ans (2)

Sabra et Chatila, peuplés de 90.000 civils, ont subi, depuis l’invasion israélienne du Liban des bombardements répétés. Du 1 au 12 août, l’aviation israélienne largue des bombes à fragmentation. 20% des maisons sont totalement détruites et 70% sont très largement endommagées. Les deux hôpitaux  ont été visés: l’hôpital Gaza, à la lisière Nord de Sabra et l’hôpital Akka à la lisière Sud de Chatila. Ces hôpitaux fonctionnent davantage comme des centres d’urgence. Dans le personnel, outre des Palestiniens et des médecins de pays du Proche-Orient et du Moyen-Orient, on trouve des chirurgiens, des médecins, des infirmier(e)s et des travailleurs sociaux d’Allemagne, de Finlande, de France, de Grande-Bretagne, d’Irlande, de Norvège, des Pays-Bas, de Suède, de Suisse et des USA.La première partie de mon rappel des faits se termine le 14 septembre 1982 lorsque le chef des Phalanges chrétiennes libanaises, Béshir Gemayel, est tué dans un attentat et que Sharon invite les Phalangistes à pénétrer dans Beyrouth ouest où se trouvent les camps.Voici maintenant le récit de la première journée des massacres, le mercredi 15 septembre.

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Sabra et Chatila, peuplés de 90.000 civils, ont subi, depuis l’invasion israélienne du Liban des bombardements répétés. Du 1 au 12 août, l’aviation israélienne largue des bombes à fragmentation. 20% des maisons sont totalement détruites et 70% sont très largement endommagées. Les deux hôpitaux  ont été visés: l’hôpital Gaza, à la lisière Nord de Sabra et l’hôpital Akka à la lisière Sud de Chatila. Ces hôpitaux fonctionnent davantage comme des centres d’urgence. Dans le personnel, outre des Palestiniens et des médecins de pays du Proche-Orient et du Moyen-Orient, on trouve des chirurgiens, des médecins, des infirmier(e)s et des travailleurs sociaux d’Allemagne, de Finlande, de France, de Grande-Bretagne, d’Irlande, de Norvège, des Pays-Bas, de Suède, de Suisse et des USA.

La première partie de mon rappel des faits se termine le 14 septembre 1982 lorsque le chef des Phalanges chrétiennes libanaises, Béshir Gemayel, est tué dans un attentat et que Sharon invite les Phalangistes à pénétrer dans Beyrouth ouest où se trouvent les camps.

Voici maintenant le récit de la première journée des massacres, le mercredi 15 septembre.

peu après zéro heure : le Premier Ministre israélien, Menachem Begin et le Ministre de la Défense, Ariel Sharon, décident de faire entrer l’armée israélienne dans Beyrouth ouest. Cette opération est baptisée « Cerveau de fer» [Moah Barzel, en hébreu]. Les ordres numérotés 1 à 5 fournissant les instructions pour l’opération sont diffusés entre 00 :20 le 15 septembre et 03 :00, le 16 septembre. Ils précisent que « seules les Forces de Défense Israéliennes (FDI) exercent une autorité  sur les forces en présence dans la zone. » L’opération est officiellement motivée par « le souci d’éviter des effusions de sang et de maintenir l’ordre ».

3H30 : à Beyrouth, Eytan, chef d’état-major des  FDI et Drori (commandant de la région militaire nord des FDI) fixent avec Fadi Frem, qui a remplacé Béchir Gemayel comme Commandant en Chef des Phalangistes et Elie Hobeika, chef du service de renseignements des Phalangistes, les modalités de l’opération de « nettoyage des camps » par les Phalangistes. Ceux-ci demandent 24 H pour se préparer. Un mémorandum établit que les Phalangistes vont agir seuls sous le commandement, c’est-à-dire sous la responsabilité et le contrôle, du Commandement Nord et de la 96e Division des FDI, commandée par Amos Yaron. Il spécifie que le contrôle porte sur la présentation et l’approbation des plans d’opération, sur les lignes de communication, sur les écoutes téléphoniques et sur la supervision des activités sur le terrain. Eytan demande qu’un officier de liaison phalangiste soit présent au poste de commandement avancé du brigadier-général Amos Yaron. Celui-ci est installé près de l’ambassade du Koweït, au sommet d’un bâtiment de 7 étages qui surplombe les camps de Sabra et Chatila.

5 H : la 96e Division des FDI pénètre dans Beyrouth Ouest par le Sud, en longeant les camps de Sabra et Chatila sur leur droite et leur gauche. L’autre division des FDI, commandée par Mordechai, pénètre Beyrouth par le secteur Est de la ville et se dirige vers la mer à travers les quartiers résidentiels de Hamra et de Mazraa. Ce faisant, Israël viole le cessez-le-feu du 13 août et le plan Habib auxquels Begin et Sharon ont souscrit. Des chasseurs-bombardiers effectuent des passages à basse altitude. Les FDI ne rencontrent qu’une faible résistance de la part des milices musulmanes et progressistes libanaises (Mourabitoun) et contrôlent rapidement quatre carrefours essentiels pour l’encerclement des camps de Sabra et Chatila : le rond-point de l’aéroport, le carrefour de l’ambassade du Koweït (à 200 m de l’entrée de Chatila), le rond-point Cola et le rond-point Chatila. Aucune résistance organisée n’est perceptible depuis les camps de réfugiés de Sabra et Chatila survolés à basse altitude par des avions de chasse israéliens. Seuls quelques jeunes hommes isolés font feu avec des armes légères sur les FDI. Les 2.000 « terroristes » supposés présents et équipés d’armes lourdes ne se manifestent nulle part…

8 H : Sharon arrive à l’aéroport de Beyrouth. Sur la route vers le rond-point de l’ambassade du Koweït, il est reconnu par des passants palestiniens et libanais.

9 H : sur le toit du poste de commandement avancé israélien, Sharon tient réunion avec Eytan, Levi, Yaron, Saguy (directeur du renseignement militaire, l’AMAN) et Avi Dudai, son secrétaire personnel. L’ordre de faire entrer les Phalangistes dans les camps est confirmé[1]. Sharon téléphone à Begin et lui annonce « nos forces avancent vers leurs objectifs ; je peux les voir de mes propres yeux; le porte parole des FDI déclare : «il n’y a pas de résistance». Des chars israéliens tirent néanmoins sur les camps. Sharon, accompagné de Saguy, Navot (le numéro 2 du Mossad) et d’un représentant du Shin Beth (le FBI israélien), se rend ensuite au QG des Phalangistes, dans le quartier Karantineh. Il y rencontre, encore sous le choc de la mort de Béshir Gemayel, Fadi Frem,, qui lui a succédé, Elie Hobeika en charge de l’opération dans les camps, et Karim Pakradouni, porte-parole des Phalangistes. Ce dernier rapporte que Sharon les a harangués en disant : « Pourquoi pleurer comme des femmes ? Vous devriez vous venger comme des hommes. » Les chefs phalangistes se déclarent prêtes à réaliser ce qui avait été convenu avec Béshir Gemayel. Sharon confirme ce qui a été décidé un peu plus tôt avec Eytan et insiste sur la nécessité d’une action immédiate aux côtés des FDI. Parlant des « terroristes », Sharon déclare : « je ne veux pas qu’il en reste un seul ». Il conseille à ses interlocuteurs de prendre le contrôle de l’Armée libanaise.

11H : Sharon se rend à Bikfaya, toujours accompagné des mêmes personnes. En bras de chemise, il présente ses condoléances à Pierre et Amin Gemayel (le père et un frère du défunt) au moment où des F16 israéliens survolent le village. Il aurait, lors de cette rencontre, exprimé sa compréhension pour le désir de vengeance qui animerait les Phalangistes. Il demande que ce qui avait été convenu avec Béshir Gemayel soit maintenu, en particulier le rôle des Phalangistes à l’occasion de l’entrée des FDI dans Beyrouth ouest. Amin Gemayel confirme qu’il connaît les dispositions arrêtées avec son frère, le 12 septembre. Sharon insiste sur la nécessité d’une action immédiate afin « d’empêcher l’établissement de faits nouveaux. » Il rentre ensuite à Tel Aviv.

11H30 : à Tel-Aviv, Begin et Shamir, ministre des Affaires étrangères, reçoivent Morris Draper, l’adjoint de Philip Habib, et lui annoncent l’entrée des troupes israéliennes dans Beyrouth ouest pour une opération préventive limitée. Il s’agit d’empêcher le désir de revanche des Phalangistes après l’assassinat de leur chef et la nécessité, à cette fin, de prendre le contrôle des endroits les plus stratégiques de la ville. Cette présentation incite les diplomates américains à conseiller aux autorités libanaises de ne pas impliquer l’Armée libanaise dans les opérations des FDI.

12 H : le premier blessé palestinien  est amené à l’hôpital Gaza. C’est un civil. Il ne cessera plus d’en arriver jusqu’au samedi matin. 80% seront des femmes et des enfants, presque tous sont blessés soit par une arme blanche, soit par une arme à feu ; très peu par des shrapnels

14 H : à Tel-Aviv, Sharon, à propos de la mort de Béshir Gemayel, diffuse un communiqué repris par Marcus Eliason, le correspondant d’Associated Press : « Le Ministre de la Défense Ariel Sharon, dans un communiqué, a lié l’assassinat à l’OLP, disant : «  il symbolise la criminalité terroriste dont les mains des organisations terroristes de l’OLP et de leurs supporters menacent tous les gens de paix. » A Beyrouth, Yaron s’efforce d’obtenir la participation de l’Armée libanaise dans la prise de contrôle des camps de Beyrouth Ouest. Celle-ci refuse. L’entrée des FDI dans Beyrouth ouest rend impossible la poursuite de son déploiement. Les chars israéliens encerclent Sabra et Chatila et pointent leur canon vers les camps. La Cité sportive, qui borde les camps à l’ouest, est également investie et encerclée. Les points de passage sont contrôlés. Dans la ville, les milices musulmanes et de gauche sont désarmées les unes après les autres, sauf les Phalangistes, ce qui déstabilise totalement l’équilibre traditionnel des forces libanaises et constitue une violation du plan Habib. Une ambulance qui se dirige vers l’hôpital Gaza venant du Nord, essuie le feu des soldats israéliens.

17 H : des obus sont tirés sur les camps par les chars israéliens. Ce bombardement dure environ une heure. Des snipers israéliens lui succèdent. Les habitants des camps se sont enfermés chez eux ou dans des abris. 25 blessés sont amenés à l’hôpital Gaza. Personne ne peut entrer ou sortir des camps.

18 H : un groupe d’hommes armés, dont l’identité est inconnue à ce jour, opère à partir de ce moment dans les camps et élimine un certain nombre de personnes. Sa présence est confirmée par de nombreux témoins. Des membres libanais du personnel des hôpitaux Gaza et Akka signalent la présence de miliciens de Saad Haddad (le commandant d’une « armée du Liban sud » (ALS) totalement au service d’Israël)  dans le sud de Chatila pendant la nuit de mercredi à jeudi.

dans la soirée : environ 300 personnes se réfugient à l’hôpital Akka ;

20 H : Drori demande au Colonel Michel Aoun, qui commande les unités de l’Armée libanaise à Beyrouth, d’intervenir auprès du Premier ministre du Liban pour que l’Armée libanaise participe à l’opération dans les camps. M. Shafik al-Wazzan, Premier ministre, refuse. Il ne veut pas que le gouvernement libanais et l’Armée libanaise soient «utilisés comme instruments de la politique d’Israël». L’Armée libanaise vient à peine de se reconstituer. Elle ne peut perdre la confiance des musulmans en se compromettant avec l’envahisseur. Drori rencontre une nouvelle fois les chefs phalangistes pour les informer que l’Armée libanaise ne participera pas au « nettoyage » des camps et pour s’assurer que les Phalangistes opèreront bien dès le lendemain. Il souligne l’importance d’une attitude disciplinée ne mettant pas en péril la sécurité des populations civiles des camps.

24 H : des fusées éclairantes sont tirées sporadiquement au dessus des camps par l’armée israélienne. Des tirs sporadiques sont entendus dans les camps. Peu à peu arrivent des blessés dans les deux hôpitaux qui bordent les camps Akka et Gaza.

(à suivre) 


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