Ce dimanche 28 juin se tient à Moscou la première conférence de L’Association des Historiens Indépendants. Ce groupe de chercheurs qui s’opposent à l’utilisation de la connaissance historique à des fins politiques existe depuis le printemps 2014 mais se réunit pour la première fois afin d’organiser son fonctionnement.
Selon Nikita Sokolov, ancien rédacteur en chef du journal Otetshestvennie Zapiski (Mémoires Patriotiques) l’organisation de cette conférence a été retardée par « une masse de raisons techniques » concernant l’enregistrement officiel de l’association. « Il n’y avait aucun obstacle de principe » selon Sokolov. La première conférence sera essentiellement une réunion de travail. Les participants décideront des orientations principales du travail de l’association, éliront son bureau et donneront le feu vert pour le lancement du site officiel de l’organisation. Pour l’instant l’association publie ses travaux sur le site du Comité des Initiatives Civiques de l’ex-ministre des finances Alexeï Koudrine. « Cela ne veut pas dire que nous existons en tant que projet du Comité » souligne Sokolov. Sur le site du comité il est précisé que l’association est financée par la compagnie « Nickel de Norilsk ». La compagnie est effectivement le sponsor de l’association, précise Sokolov, mais seulement en ce qui concerne la création de son site.
L’association, dont la création a été annoncée le 1er mars 2014, se présente comme un groupe de chercheurs fondé sur des principes démocratiques et indépendant de la conjoncture politique. En particulier le manifeste de l’association lui fixe pour but de lutter contre la falsification des documents et des faits historiques, contre les tentatives de limiter la liberté de la recherche scientifiques et de l’enseignement universitaire, et de favoriser le libre accès aux archives. Les chercheurs justifient leur action en rappelant que le milieu professionnel de la recherche « qui avait déjà été ruiné à l’époque soviétique pour des raisons idéologiques », recommence à se dégrader, ce dont témoignent les multiples scandales autours des thèses bidons et « les tentatives de remplacer le jugement des experts par des décisions bureaucratiques ».
Les tendances observées dans la société et qui avaient poussé les historiens à créer cette nouvelle organisation se sont beaucoup aggravées l’année passée, ajoute Sokolov. Un des membres du bureau de l’association, enseignant de l’Université de Volgograd, Ivan Kourilla précise : « En Russie est apparue une nouvelle politique historique avec ses propres lois mémorielles (en Mai 2014 le Président Vladimir Poutine a signé la loi qui introduit la responsabilité pénale pour la diffusion d’informations notoirement fausses sur l’action de l’URSS lors de la Seconde Guerre Mondiale), il est devenu encore plus difficile de travailler pour les historiens, les archives sont toujours à moitié ouvertes, et les étagères des magasins croulent sous le poids d’ouvrages pseudo-historiques ».
C’est pour cette raison que, selon Sokolov, les idées de l’association ont gagné « des historiens et des académiciens respectés qui jusqu’à maintenant envisageaient avec scepticisme la nécessité de fonder une nouvelle association professionnelle ». Aujourd’hui 110 personnes participent aux travaux de l’association […].
En une année d’existence l’association a pris plusieurs fois position contre des décisions des pouvoirs publics, en particulier en défendant le professeur du MGIMO Andreï Zubov, licencié pour avoir critiqué le cours pris par le pouvoir russe à l’égard de l’Ukraine, et le membre de l’Académie des Sciences Youri Pivovarov accusé de négligence à l’occasion de l’incendie de la bibliothèque de L’Institut des Sciences Sociales qu’il dirigeait.
Kourilla ne pense pas qu’on puisse tenir l’association pour un mouvement d’opposition : « Oui, bien sûr, nous considérons que les lois mémorielles sont nuisibles », mais je ferais une distinction entre les auteurs de la loi et les personnes qui persécutent Zoubov d’un côté, et les pouvoirs publics de l’autre. Défendre des normes professionnelles, des rapports honnêtes à l’histoire, l’accès aux archives et la liberté de la création scientifique, cela ne veut pas dire âtre dans l’opposition. Si quelqu’un voulait faire des valeurs professionnelles de l’association des valeurs de l’opposition, cela sonnerait plutôt bizarrement ».
rbc.ru, 22 juin 2015, article de la rédaction.
« Le scandale des thèses bidon » fait référence aux milliers de thèses constituées essentiellement de plagiats de thèses étrangères ou entièrement rédigées par des nègres et qui permettent aux hommes politiques russes de se targuer d’une formation universitaire imaginaire. C’est en particulier le cas de la thèse d’économie du président Poutine, constituée à 80% de la citation intégrale d’une thèse américaine… Les grades de docteurs sont attribués à tour de bras par des jurys universitaires complaisants ou corrompus.
Un des exemples marquants de la « tendance observée dans la société » est l’interdiction d’antenne de la chaîne d’opposition Dozhdj.TV : elle avait simplement lors d’un débat d’historiens à l’occasion des 70 ans de la fin du Blocus de Leningrad osé poser la question de savoir si la reddition de la ville n’aurait pas été moins coûteuse en vies humaines que sa défense opiniâtre. Aussitôt les partis proches du pouvoir avaient instrumentalisé l’indignation de quelques anciens combattants pour organiser une campagne extrêmement violente contre la chaîne et obtenir son interdiction. Elle n’est plus visible que sur le site tvrain.ru
Dans le même ordre d’idée un journaliste et ancien dissident, lui-même ancien combattant, avait regretté que parmi ces derniers soient aussi honorés d’anciens « gardiens de camp » : aussitôt les organisations de jeunesse poutiniennes avaient pendant plusieurs semaines fait le piquet en face de son appartement en l’invitant à faire sa valise pour Berlin ou Washington.
Enfin, à l’occasion des dernières commémorations des 70 ans de la victoire le président Poutine a changé de discours à l’égard du Pacte Ribbentrop-Molotov, vu désormais et à nouveau, comme par l’historiographie soviétique, comme une ruse géniale de Staline et sa réponse à la trahison des démocraties. Aussitôt la presse officielle et les intellectuels organiques ont repris à leur compte ce revirement de la conscience historique officielle.