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Billet de blog 8 février 2012

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Mexique : dissoudre le peuple ou dissoudre les gouvernants ?

 Les habitants de Cherán, un village du centre du Mexique ont chassé les partis politiques traditionnels et le maire. Le 5 février dernier, ils ont scellé leur autonomie en inaugurant une nouvelle forme d’élection qui empêche les fraudes, si courantes au Mexique.

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Les habitants de Cherán, un village du centre du Mexique ont chassé les partis politiques traditionnels et le maire. Le 5 février dernier, ils ont scellé leur autonomie en inaugurant une nouvelle forme d’élection qui empêche les fraudes, si courantes au Mexique.

Le Mexique est meurtri par la corruption et la guerre contre le narcotrafic qui a fait 50.000 morts depuis le début de l’offensive de l’armée en 2006 (voir notre panorama ici). Mais ça et là, on observe des poches de résistance qui méritent toute notre attention. Nous avons déjà parlé ici du Mouvement pour la paix dans la justice et la dignité (emmené par le poète Javier Sicilia), qui cherche à donner une visibilité aux victimes tout en proposant des solutions concrètes pour apaiser le conflit (voir article) et là, de la résistance contre un projet minier canadien que le président mexicain a autorisé au mépris du respect de la culture locale et de l’environnement. 

Le recours à l’autonomie locale est également une autre forme de résistance lorsque les autorités qui découlent de la « démocratie représentative » sont gangrenées par un tel niveau de corruption qu’elles ne sont plus une solution mais le coeur du problème.

Le village de Cherán en est l’exemple. Accablés par la présence des bandes organisées et de braconniers qui défrichaient les arbres en toute impunité, les habitants se sont soulevés. Ou plutôt faut-il préciser : les habitantes. Car ce sont les femmes qui, un jour d'avril 2011, excédées par les centaines d’hectares défrichés alors que les ressources en eau étaient  menacées, ont arrêté les gêneurs et sonné les cloches du village pour réunir les hommes, tout en appelant à éradiquer le "mal gobierno", des mots et des gestes qui rappellent ceux du début de la guerre pour l'Indépendance mexicaine.

Les habitants sont alors entrés en révolte contre les autorités établies qui avaient failli à leur fonction : le maire et les partis politiques traditionnels ont été expulsés. En se fondant sur la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail qui permet la reconnaissance des us et coutumes juridiques, ils ont décidé d’élire eux-mêmes leurs représentants.

L’autonomisation du village n’est pas une partie de plaisir. Cherán s’est militarisé et les habitants ont été plusieurs mois retranchés derrières de barricades par peur des représailles. Les autorités municipales, régionales et fédérales, elles n’ont pas bougées. Ce qui a poussé le peuple de Cherán à élire lui-même un Conseil de village. Et point besoin d’urnes ni de campagne politique coûteuse ouvrant les vannes aux tripatouillage électoral et à la corruption. Les habitants se sont réunis sur la place du village pour élire des représentants de 4 quartiers.

Chacun des candidats s’est levé. Les habitants ont pris la parole pour donner des arguments en faveur de l’un ou de l’autre. Et on a procédé au vote : il suffisait à chaque électeur de se mettre en rang devant le candidat choisi. Le résultat, visible à l’œil nu, permettait ainsi de déclarer les vainqueurs tout en rendant impossible les achats de voix ou les bourrages d’urnes; des pratiques apparemment encore en vigueur en ces temps de campagne électorales. A Chilpancingo, dans le sud du pays, plusieurs centaines de personnes, en majorités des ruraux, sont tombées malades après avoir mangé de la nourriture avariée offerte dans le cadre d’un meeting du Parti Révolutionnaire Institutionnel, le vieux parti à la tête du Mexique pendant 71 ans (lien ici, en espagnol).

Heureusement, ça et là, au Mexique, des citoyens mettent en place une nouvelle démocratie directe et locale, inspirée des formes d'organisation politique et sociales séculaires répandues au Mexique.

A Tetela, dans le Morelos, les habitants ont, eux, chassé les policiers municipaux et mis en place leur propre système de surveillance. Voir ce reportage de François Musseau dans Libération.

Comme a Cherán, ce n’est plus le peuple, mais les autorités qui ont été dissoutes.

>Faites également un tour à Ayutla où les terres appartiennent encore à la communauté...

>Pour suivre l'actualité de Cherán, le village qui réinvente la démocratie, on peut consulter le blog des étudiants du village (en espagnol).

>A lire aussi : le carnet de voyage de Jean-Pierre Petit-Gras (blogueur sur Mediapart) à Cherán.

>Et le reportage d'Antoine Dhulster sur le site de la revue XXI, à propos de la lutte du peuple Huichol.