Dans ce billet, je n’ai pas envie de redéployer l’argumentation classique des larrons lubriques, qui, comme moi, souhaitent de toutes leur tripes et plus bas la réouverture des maisons sus-citées. Les arguments ras du zinc, tout le monde les connaît et je dois dire que je les défends volontiers: de toute manière il y en aura toujours, sécurité, hygiène, il y en a pour qui c’est un vrai métier, respect du client, contrôle, relance de la consommation, moral des français…. Ça c’est du connu et du rabâché. Non. Dans la suite, j’aimerais rappeler, au moment où l’on débat l’identité nationale, que le bordel est le coeur de notre héritage culturel. Jusqu’assez tard, le bordel a fait office de caniveau séminal dans un monde sainte-nitouche. L’agenouillée était réduite à un mal de chair nécessaire à la pureté des vrais dames. Car, tous les médecins de l’époque s’y résignent, la pression spermatique mène l’homme à des rapports trop fréquents et trop imaginatifs pour satisfaire la morale. La catin sert donc de tampon à la lubricité des rougeauds ayant fait bon mariage. Mauvais rôle. La visite médicale, la syphilis, les fresh girls, les onguents maquillant, les abus des clients et la malignité de Madame, tout cela a laissé des souvenirs trempant dans la glauquerie…. qui a séché depuis. Car à la veille de leur fermeture, les maisons closes sont bien fréquentées. On raconte même que le futur Edouard VII ne rechignait pas aux portes du bonheur. Des noms sont restés mythiques: le Sphinx, le One-two-two, le Chabanais…. Toute notre culture a pris forme aux milieux des teintures rouges et des odeurs de foufoune. Apollinaire, Maupassant, Toulouse Lautrec, Picasso… La liste pourrait se faire aussi longue que la tronche de Mr. Fillon dimanche dernier au soir. On ne compte plus les lignes, les notes et les esquisses, jetées sur des bouts de Kleenex ensemencés, par des artistes dont l’inspiration se nourrissait des seins de Florimonde et des fesses de Marinette. Qu’on songe seulement aux demoiselles d’Avignon, qui sont en réalité de la rue d’Avignon, qui fait encore aujourd’hui les délices des barcelonais et des touristes qui pensent y capturer une vue différente des charmes de la cité catalane. Depuis que les bordels ont fermé, la fête est devenue le nouveau lieu de socialisation des écrivains et des peintres branchouillards. Les odeurs de semence, les clameurs de Madame, et les ripailles des clients… fini. Place désormais aux pilules, au vomi et aux partouzes sur le skaï. Dans le même temps, l’origine sociale de nos Renaudot a grimpé en flèche. De fait, pour se la jouer Beigbeider - nez(né?) poudré, coupe de champagne et sein de Sandy -, il faut l’avoir dans la poche avant de l’avoir dans le cornet. Et pas possible d’écrire la défonce quand on ne la connaît pas, histoire de street credibility. L’écriture devient donc le passe-matin des fêtards germanopratins. Alors que dans les bordels de Montmartre, les futurs d’Orsay peignaient des catins pour ne pas payer des modèles…. La réouverture serait donc une mesure de justice sociale et de soutien à l’expression culturelle. Bref, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. La syphilis reculait, le printemps
chaque année, des profits dans les colonies…. Les français étaient heureux et le bordel y était pour quelque chose. La guerre passe et arrive dame Marthe-Richard. Elle a de gros os, elle a fait de l’avion, elle a une haute idée de la femme. La charge contre les maisons closes est injuste, on les accuse d’avoir collaboré avec l’allemand. Les bordels ferment. Tristement, les gagneuses deviennent des ambulantes dans des camionnettes, des cabanes, ou des appartements minables.Tristement les clients, se rendent au bois puisque, désormais, avant de se les vider, il faut se les geler.