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Billet de blog 23 août 2015

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Mustafa ou l’impossible protection d’un jeune réfugié… Quand la France enferme un mineur afghan en centre de rétention

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Mustafa est arrivé en janvier 2010 à Paris. Mineur. Après un parcours du combattant pour accéder à une prise en charge par les services de l’Aide Sociale à l’Enfance dans le cadre de la protection de l’enfance comme la loi le prévoit pour n’importe quel enfant, Mustafa a pu, brièvement, accéder au droit commun.

Sa vie d’enfant abandonné dans un orphelinat de Téhéran, le voyage par voie terrestre, en camion, les morts sur les chemins migratoires vers l’Europe, les multiples traumatismes subis dès le plus jeune âge…tous ces éléments de son histoire personnelle ont concouru à faire de Mustafa un adolescent perdu, fragile, peu enclin à placer sa confiance en des adultes qui l’ont si souvent trahi.

Entre janvier 2010 et août 2011, Mustafa aura passé plus de 500 jours à l’hôtel, seul.  A 16 ans, après la violence de son voyage, après les coups de la police grecque, après plusieurs mois sur les routes puis à la rue à son arrivée en France, Mustafa se retrouvaient la nuit seul, dans un hôtel borgne d’un quartier populaire de Paris, où la plupart des adultes ne mettrait pas les pieds. Un enfant, seul à l’hôtel, un adolescent fragile, taciturne et mélancolique, qui aurait eu besoin si ce n’est d’affection, de soin et d’attention.

En février 2011, une OPP[1] oblige l’ASE à prendre en charge le jeune homme. On l’envoie dans un lieu de vie en Normandie. Le placement échoue. Mais l’échec n’est-il pas partie intégrante de notre travail d’éducateurs ? Pour Mustafa cependant, la sanction est immédiate : retour à l’hôtel, dans cette prison ouverte où son psychisme s’enferme. La suite pour lui ? A l’instar de beaucoup de mineurs isolés étrangers arrivés après l’âge de 16 ans et pris en charge par l’ASE de Paris, moisir à l’hôtel ; de longues journées à ne rien faire pour préparer leur avenir, attendre inéluctablement que le sablier les rapprochant de leur majorité s’écoule pour que l’ASE puisse, en toute légalité (mais non dans le respect des principes de la CIDE[2]), les renvoyer à la rue, à la clandestinité, à une vie de galère et, au bout du parcours parfois, à l’expulsion vers leur pays d’origine.

Cette inexorable mécanique a été enrayée un soir de juillet 2011 où Mustafa, peut être sous emprise d’alcool ou de stupéfiants, s’en est pris à une jeune femme. Après deux jours de garde à vue, il est déferré et incarcéré à Fleury-Mérogis. Pendant sa garde à vue, un examen de maturation osseuse (EMO[3]) a conclu que Mustafa était d’un âge supérieur à 18 ans. Il est alors placé à Fleury-Mérogis.

Après 5 mois d’enfermement où, de nouveau, le jeune homme a été exposé à des mauvais traitements de la part des adultes codétenus, à tel point que le personnel pénitentiaire l’a mis à l’isolement « pour sa propre sécurité », les efforts conjugués de travailleurs sociaux et de l’avocate demandée auprès de l’antenne des Mineurs du barreau de Paris, ont permis que Mustafa soit mis en liberté conditionnelle.

Au sortir de Fleury-Mérogis, la santé mentale de Mustafa ne s’est pas améliorée, bien au contraire. Les travailleurs sociaux qui ont été le voir en détention ont constaté une nette régression du jeune homme ; ce n’est pas tant la barrière de la langue – Mustafa a acquis un niveau de français  élémentaire suffisant – mais la difficulté même de communiquer ; perdu, le regard vide, semblant en grande difficulté pour comprendre ce que nous lui disions, et dans l’incapacité de trouver les mots pour s’exprimer.

Le couple qui accueille Mustafa à sa sortie de prison se retrouve vite dépassé par la lourdeur de la tâche qui les attend ; outre le contrôle judiciaire et l’injonction de soin auquel est astreint Mustafa, il faut s’occuper de son statut administratif et entreprendre les démarches pour une demande d’asile. De plus, le jeune homme a besoin d’un cadre, d’activités et d’occupations pour rythmer ses journées, ce dont A. & H. qui travaillent tous les deux ne seront pas capables. Pour compliquer la situation, le couple déménage en province, ce qui rend le suivi de Mustafa impossible.

Au bout de quelques semaines, Mustafa repart, seul, sur Paris. Depuis janvier 2012, nous n’avions pas de nouvelles jusqu’à ce que Mustafa débarque un matin de juin à l’ADMIE[4]. Hagard, Mustafa avait du mal à exprimer une quelconque demande. Il est vite reparti, sans que les travailleurs sociaux ne sachent où il allait et comment il vivait. Fin juin, il revient nous voir. Propos incohérents, grande fatigue, sous emprise d’alcool ou de drogues ; l’état de Mustafa est tel qu’il est conduit au C.P.O.A. de l’hôpital Sainte-Anne pour y être examiné. Peu à peu, les effets des substances absorbées s’estompant, Mustafa parvient à nous expliquer qu’il est à la rue depuis des semaines, qu’il ne vit plus chez A. & H., qu’il n’a pas d’argent ni endroit pour dormir. Les médecins n’estiment pas qu’il soit nécessaire d’hospitaliser Mustafa mais acceptent, par soucis humanitaire, de le garder pour le week-end afin qu’il se repose.

Nous avons appris par son avocate que Mustafa était convoqué pour une audience pénale le jeudi suivant ; il était impératif qu’il se présente, et la perspective de le voir repartir à la rue nous faisait craindre qu’il ne vienne pas. Sortant le lundi, rendez-vous est pris avec le psychologue de Médecins Sans Frontières qui le suivait et accepte de le voir dès le lendemain. Il est placé à l’hôtel une nuit, tout près des locaux de MSF. Le jeudi, il est accompagné au tribunal par un travailleur social. A la demande de l’avocate, l’audience est reportée et renvoyée à février 2013…Profitant d’être au palais de justice, Mustafa accompagné de l’avocate se rend chez le contrôleur judiciaire afin de reprendre le suivi abandonné depuis janvier.

Depuis, aucune solution alternative  à la rue n’a pu se mettre en place pour Mustafa. Il s’est présenté quelques fois à MSF, d’autres auprès de l’ADMIE, mais il est dans l’incapacité totale, comme le précise le psychologue, de se saisir du dispositif d’hébergement d’urgence. Comme il semble peu en capacité de faire des démarches de manière autonome, de demander clairement à l’ASE qui détient toujours des affaires lui appartenant de les lui rendre, de respecter les horaires et dates de rendez-vous pourtant essentiels pour mettre en place des solutions.

Mercredi 18 juillet, Mustafa est contrôlé à Chatelet par des policiers en charge de traquer les sans-papiers et d’augmenter des statistiques dont le ministre de l’intérieur pourra se flatter. Sans titre de séjour, il est conduit au Centre de Rétention Administratif de Vincennes. La demande de remise en liberté formulé par l’ASSFAM[5] auprès du juge des libertés et de la détention a été refusée. A l’audience, même l’interprète farsi ne pouvait suivre Mustafa dont les propos étaient complètement incohérents. Pour le moment, Mustafa reste retenu au CRA. Il entame son 8eme jour de privation de liberté.

Quand la France prend un malin plaisir à retenir en rétention un afghan, tout en le sachant pertinemment non expulsable, n’y a-t-il pas là une bonne dose de sadisme ? Et quand ce même afghan est mentalement diminué, incapable de répondre aux questions des juges, n’est-elle pas en infraction avecla Convention Européennedes Droits de l’Homme et loin de toute notion de traitement digne et humain ?

La place de Mustafa n’est ni en rétention, ni à la rue, mais dans une structure adaptée où il pourra enfin se sentir en sécurité et bénéficier des soins indispensables pour surmonter les conséquences multiples expériences traumatiques vécues.

Renaud Mandel
Travailleur social
admie@free.fr

 24 juillert 2011


[1] Ordonnance Provisoire de Placement prononcé par le juge des enfants en application de l’article L. 375 du code civil

[2] Convention internationale des Droits de l’Enfant. Ratifiée par la France en 1990, ce texte stipule entre autre obligation en son article 29 : 1. Les États parties conviennent que l'éducation de l'enfant doit viser à :
a) Favoriser l'épanouissement de la personnalité de l'enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ;
b) Inculquer à l'enfant le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et des principes consacrés dans la Charte des Nations Unies ;
c) Inculquer à l'enfant le respect de ses parents, de son identité, de sa langue et de ses valeurs culturelles, ainsi que le respect des valeurs nationales du pays dans lequel il vit, du pays duquel il peut être originaire et des civilisations différentes de la sienne ;
d) Préparer l'enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d'égalité entre les sexes et d'amitié entre tous les peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux, et avec les personnes d'origine autochtone ;
e) Inculquer à l'enfant le respect du milieu naturel.

[3] L’examen de maturation osseuse : Dans un avis rendu public, lundi 11 juillet, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) émet les plus grandes réserves à l'égard des examens radiographiques (osseux et dentaires) utilisés pour déterminer l'âge d'enfants et d'adolescents à des fins juridiques. Saisi le 25 novembre 2004 par la défenseure des enfants, Claire Brisset, le CCNE s'est penché sur ces tests qui sont aujourd'hui de plus en plus systématiquement demandés par la police aux frontières (PAF) et par les parquets pour établir l'âge des jeunes étrangers. L'enjeu est important : à plus de 18 ans, ils peuvent être renvoyés dans leur pays ; s'ils sont mineurs, la France leur doit une protection. Or les techniques médicales utilisées actuellement sont "inadaptées", juge le CCNE.  Cette technique recèle "un risque d'erreur majeur" à l'égard d'enfants originaires d'Afrique et d'Asie, dont le développement osseux peut être très différent de celui des populations de référence, et peut être affecté par des pathologies inconnues de ces dernières. Le comité rappelle qu'il s'agit là d'une technique "purement médicale" conçue pour évaluer les perspectives de croissance d'un mineur, et non déterminer son âge. [source : L'examen osseux est "inadapté" pour établir l'âge des jeunes étrangers LE MONDE | 13.07.05]

[4] Association pour la Défense des Mineurs Isolés Etrangers

[5] Association Service Social Familial Migrants ; fondée au début des années 50, l’ASSFAM œuvre à faciliter l’acquisition par les migrants d’une réelle autonomie, leur accès au droit et leur participation à la vie sociale : accueil des familles migrantes, accompagnement, aide juridique…Depuis 2009 et l’éclatement de ces activités jusqu’ici assurées par la CIMADE, l’ASSFAM est habilitée à intervenir dans les centres de rétention administrative.

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