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Billet de blog 26 septembre 2013

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Les Roms, de Nicolas Sarkozy à Manuel Valls

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Ce n'est pas la première fois qu'un mot sur les Roms fait le bruit qu'aucune indignation sur leur sort ne saurait susciter avec une pareille efficacité. Voici, pour me rafraîchir la mémoire, ce que j'écrivais le 16 septembre 2010 à l'occasion d'un mot de Mme Viviane Reding:

Et voilà ! Nous y sommes. Mme Viviane Reding a risqué une comparaison [de la répression des Roms] avec les crimes de la seconde guerre mondiale, et tout aussitôt la confusion règne, les accusateurs sont forcés de s’excuser, le crime change de camp et devient le « dérapage verbal » de l’accusateur ! Le réflexe est aussi automatique qu’imparable, et personne ne s’interroge. N’a-t-on pas même produit des lois pour interdire une telle comparaison ? Quand on aura importé dans notre beau pays des droits de l’homme des Abou Ghraib et des Fallouja ( et qui donc, aujourd’hui, ose accuser l’Amérique ?), l’impératif sécuritaire, la raison d’Etat auront moins de force que le devoir de mesurer son langage pour fermer la bouche à ceux que l’impudence et les insultes ordinaires – "pauv’ con", "Auvergnat"… – de nos gouvernants n’auront pas tétanisés. À ce rythme, le Président Sarkozy, qui aura réussi le tour de force de livrer à la merci de l’exécutif quasi toutes les institutions républicaines en deux fois moins de temps que la chose ne se fit dans les années trente,  laissera-t-il encore l’alternance démocratique interrompre son activisme libéralo-répressif? À force de gardes à vue dans des commissariats immondes, de fouilles au corps et de menaces policières, au rythme actuel de 900000 victimes annuelles des GAV, la fierté et la dignité morale des Français non encore atteints par le chômage ou le déclassement s’effondre aussi efficacement que par des viols en masse : le Kosovo aura servi d’exemple. Et l’on ne laisse hurler quelques journaux ou s’exciter les internautes que pour ajouter à la confusion et trouver un motif de plainte pour diffamation. Mais il y a bien longtemps qu’il aurait fallu que l’Europe s’indigne et se mobilise ! Le mot de « kärcher » (issu par antonomase de la grande industrie allemande, il faut le signaler) pour appeler à « nettoyer » les banlieues aurait dû faire plus que mettre la puce à l’oreille. C’était bien la première fois depuis la guerre 39-45 qu’un chef d’État français appelait à l’éradication prophylactique d’une catégorie de la population. Il fut un temps où l’on évoquait, en France comme en Allemagne, l’insecticide contre les réprouvés. Aujourd’hui donc, pour pointer du doigt le « problème » des Roms, Monsieur Sarkozy passe en force, persiste et signe, et Madame Reding de s’excuser. Eh oui, menace le petit Nicolas, il va falloir trouver une solution, une solution européenne, une solution définitive à ce problème, ou alors, les Roms, qui donc en veut ? Nous en avons à revendre, venez les prendre ! Et chacun, penaud, de s’excuser… Bientôt peut-être on les entendra suggérer : et si on offrait un camp à ces nomades ? 


Mais, plutôt que des "camps", un billet refusé, avec des excuses, par un "grand quotidien du soir" suggérait cette autre solution sous le titre: Question de Lina (pour répondre à ma petite-fille)

Hommes tendus, femmes en jupes longues, enfants déguenillés aux yeux de charbon ardent, mendiants volontairement estropiés et chapardeurs au coin des rues : l’Europe n’avait-elle pas déjà, dans les années trente, entrepris pour les confiner ou les évacuer une grande campagne hygiéniste ? En ce temps-là, souvent, on rencontrait des Juifs chassés de l’Est, désormais ce sont les Roms – il paraît qu’il en reste, que même ils pullulent, sous les ponts avec les rats, entre deux bretelles d’autoroute, au milieu des émanations d’essence…

Aujourd’hui c’est le gouvernement socialiste qui rase systématiquement leurs campements de fortune, sans égard pour leur ingéniosité débrouillarde dans le bricolage d’une vie communautaire traversée par les pires formes de la violence sociale. Soit, les intentions sont peut-être excellentes : comment tolérer cette misère qui ne craint pas de s’étaler en pleine ville sous nos yeux ? Moi aussi, elle me fait honte. Mais encore faut-il reloger ces gens, et ce sera nécessairement quelque part en Europe ou en France même, en un lieu où la tolérance ne serait pas meilleure qu’aujourd’hui. Quelle « solution » propose-t-on ? Les parquera-t-on en une version rafraîchie des camps de concentration ? Ou bien les forcera-t-on à la dispersion, à l’assimilation ? L’une et l’autre option n’impliqueront-elles pas le prix d’un lourd assistanat, sans compter la tentation récurrente d’économiser aux dépens des assistés (ce sont toujours les pauvres qui coûtent) ? La destruction aussi d’une culture orale millénaire qui reste la plus émouvante fleur de l’Europe et son parfum le plus authentique, aujourd’hui mêlé du remugle des crématoires ? Quelques commémorations suffisent-elles à nous exempter de cette dette passée, présente et future ?

Je voudrais faire ici une proposition : pourquoi ne pas installer les Roms là où ils méritent d’être et seront chez eux : par petites colonies de quelques dizaines d’individus, en un lieu point trop en vue dans les vastes parcs publics de nos grandes villes ? Les bourgeois viennent y flâner et s’y reposer, ils auront plaisir à assister à quelque tour de foire, à quelque acrobatie, à quelque air de violon qui fait virevolter des jupes multicolores ; détendus, ils distribueront volontiers leur menue monnaie aux artistes. Il suffirait de proposer (j’en ai à suggérer, qu’on me demande !) une architecture rustique adaptée à la vie communautaire à la fois belle, économe, écologique, universellement intégrable, et propice à quelque bout de jardinage et d’élevage collectif qui garantirait un minimum d’autonomie.  Permettre aux hommes de s’organiser eux-mêmes dans des conditions modestes, mais libres, c’est une richesse garantie. Cela coûte tellement moins cher que d’engraisser des marchands de sommeil et de mettre en place un assistanat perpétuel entrecoupé de coups de main répressifs ! Ce serait enfin un si bel investissement, et l'Europe y gagnerait tant, au lieu de détruire obstinément son héritage ! Oui, petite Lina : nos cités vont reconnaître et accueillir l’autre si intime qui nous hante à demeure et nous aliène quand nous le renions : car il recèle pour nous tous une chance de conserver honneur et liberté.


Ces deux billets ricochent aujourd'hui sur les déclarations de Manuel Valls. Comment ne pas voir qu'une population à qui l'on retire littéralement la terre de dessous les pieds – elle qui pourtant se contente des plus petites et plus ingrates surfaces provisoires – ne peut qu'être toujours plus à la charge de son environnement naturel et humain? Que sa misère accrue par la répression l'amène à exercer une violence croissante non seulement sur les sédentaires, mais aussi et surtout en son propre sein? Que le simple spectacle de cette misère diminue à mesure la tolérance et la transforme en dégoût? Nous évitons déjà de lever les yeux vers l'enfant mendiant, et l'on croira bientôt de bonne foi devoir imposer les ghettos par prophylaxie...

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