UNE VIE, EN FRANCE, AUJOURD'HUI
Monsieur le Président …
Il s’appelle Nelson. Né en Angola en 1973, un pays ravagé par des décennies de guerre civile (600 000 morts, 2 millions de déplacés). Il a 12 ans en 1985 lorsque des hommes armés font irruption dans la maison familiale, assassinent ses parents, repartent. De la fenêtre, Nelson a le temps d’apercevoir la jeep dans laquelle ils s’enfuient. Son père et sa mère gisent morts. Nelson n’a ni frère, ni sœur. Il passe de main en main. Des voisins le cachent quelque temps jusqu’à ce qu’il se retrouve dans le container à bord du grand bateau avec 4 compagnons d’infortune. Nelson ne connaît pas sa destination, ne sait pas dire pourquoi, ni comment il est arrivé là. Il y passe un mois et demi, apprend à se nourrir de sachets lyophilisés, à boire juste ce qu’il faut pour ne pas se déshydrater, à uriner et à vomir dans des sacs en plastique, à ne pas faire de bruit, à ne pas parler. Un premier compagnon meurt dans le container, puis un second. Nelson pleure, n’a plus les mots pour parler de leurs corps, du «voyage » que les survivants continuent avec les morts dans le container jusqu’à Marseille. Un mois et demi d’enfer. À l’arrivée, ses compagnons et lui tambourinent des heures sur les parois du container pour être libérés. On le cache dans une camionnette pour le faire sortir du port et l’emmener à la gare. Son passeur lui achète un billet de train pour Toulouse. On l’accompagne jusqu’au wagon et on l’y laisse seul. Nelson a 12 ans, ne parle pas français, erre dans les rues de Toulouse, approche des africains, rencontre l’un d’eux qui parle sa langue maternelle et le recueille. Nelson fait la vaisselle, le ménage, lave le linge, apprend le français. Trop jeune pour travailler. Il sort de temps en temps muni de la photocopie de la pièce d’identité de l’un ou de l’autre. Cela dure 8 ans environ. Belle enfance. Personne en France ne s’en souciera. Personne jusqu’à sa majorité.
Clandestinité, illégalité, enfant livré à des compatriotes qui à la fois le protègent et le surexploitent, Nelson commet des délits pour survivre. Qu’auriez-vous fait vous-même ? En 1992, Nelson est arrêté une première fois et condamné à 6 mois de prison. En 1994, nouvelle arrestation, lorsqu’il se rend à la poste pour ouvrir un compte en banque avec des faux papiers. Il purge 8 mois en prison. Il obtient finalement une carte d’identité et un passeport français sous un faux nom. Nelson est officiellement devenu Philippe Moser. C’est sous ce nom la qu’il travaille et paye ses impôts. C’est sous ce nom la qu’il est à nouveau arrêté en 1996, à Orléans. Sous ce nom là qu’il purge une nouvelle peine de prison, sous ce nom là et en prison qu’il passe son CAP d’électrotechnique et obtient son BEP au centre des examens de Bobigny.
Nelson rencontre Haoua, d’origine tchadienne, en 1998. Ils s’installent à Bagneux. Trois enfants naissent. Il déclare les 2 premiers sous le nom de Moser : Élisa (10 ans aujourd’hui), Sinaï (7 ans). Jade (3 ans) sera déclarée sous le vrai nom de Nelson. On se perd à écouter l’imbroglio juridique que raconte Nelson. Il s’y perd presque lui-même et finit par dire « j’étais devenu Philippe Moser, je le croyais moi-même ».
En 2007, Nelson est convoqué au commissariat du 18è arrondissement à Paris, suite à une plainte déposée par l’Assurance maladie. Nouvelle garde-à-vue. Il révèle alors sa véritable identité. Nouvelle condamnation : 1 an de prison et 3 ans d’interdiction de territoire. Nelson fait appel. Le tribunal confirme la peine d’un an de prison et porte à 5 ans l’interdiction de territoire. Nelson se pourvoit en cassation. Le jugement est confirmé à nouveau en août 2011 : 1 an de prison, 5 ans d’interdiction de territoire et le centre de reconduite à la frontière. Nelson Manuel de son vrai nom. Nelson et sa compagne Haoua titulaire d’une carte de résidente. Nelson et ses trois enfants nés en France qui opteront à leur majorité pour la nationalité qu’ils choisiront. Nelson qui a passé 27 ans en France. Nelson qui me dit « Je n’ai pas choisi tout cela. Je ne l’ai pas voulu. J’ai fait beaucoup d’efforts pour ne pas sombrer dans la délinquance. Je n’ai personne derrière moi. Je voudrais m’en sortir et épargner cela à ma famille, à mes enfants ». Finalement, en France, seule la police s’est intéressée à Nelson.
Monsieur le Président de la République, nous vous avons élu pour que ceux qui, comme Nelson, ont à vivre de telles enfances, puissent vivre et grandir en France dignement, sans avoir à subir son destin. Vous seul détenez le pouvoir d’exercer votre droit de grâce présidentielle. Vous seul êtes en mesure de nous prouver que nous ne nous sommes pas trompés.
Corinne Bonnet pour RESF