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Billet de blog 26 mars 2015

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La défiance monte : au lieu des repas de substitution, elle exige des partis de substitution

Il est aujourd'hui courant de croiser un journal titrant sur la crise qui affecte la « démocratie » française : une « crise de confiance ». Le premier tour des municipales est passé. La sanction des médias est sans appel : vote FN, vote de défiance. Les Balkany, Cahuzac, Copé et autres Morelle ont usé l'image d'une classe politique qui s'alterne au pouvoir pour y mener les mêmes politiques néo-libérales.

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Il est aujourd'hui courant de croiser un journal titrant sur la crise qui affecte la « démocratie » française : une « crise de confiance ». Le premier tour des municipales est passé. La sanction des médias est sans appel : vote FN, vote de défiance. Les Balkany, Cahuzac, Copé et autres Morelle ont usé l'image d'une classe politique qui s'alterne au pouvoir pour y mener les mêmes politiques néo-libérales.

Certains pointent que les partis de gouvernement seraient incapables de se remettre en question, ce qui se traduirait invariablement dans l'abstention des électeurs et le succès programmé du FN dans les sondages. Mais pour contrer la défiance, la réponse envisagée par les politiques au pouvoir, secondés par une « société civile » fourre-tout, est la suivante : le « principe de transparence ».

Épisode 2 : À quoi pensent nos dirigeants quand ils parlent de défiance et de transparence ?

VOUS ÊTES DÉFIANTS ? MÉPRISEZ-VOUS !

La « montée de la défiance » fait qu'enfin les politiques, les experts, les journalistes nous parlent de nous, de nos sentiments. Mais en réalité à qui s'adressent-ils à coup de « 65 % des Français sont ceci, pensent cela » ? À qui s'adressent-ils avec de grandes généralités qui désignent tout le monde et personne ? Et quels sont les effets de ces débats sur notre perception de nous-mêmes ?

Les racines du mal. L'opinion publique des sondages Ipsos Tns Sofres, celle des analyses de Brice Teinturier : c'est dans l'air de tous les Yves Calvaire de la télé, elle n'existe pas. Ce n'est que la somme des on-dit qui intéresse avant tout le pouvoir, car elle colle à un point de vue de gouvernants sur une masse de gouvernés. Définitivement, nos élites aiment la France, pas les Français. Ils nous invitent nous aussi à aimer la France, autrement dit à avoir confiance dans notre pays, son régime, ses institutions et les dirigeants qui le représentent. Et les Français ? Un peuple sanguin, des gouvernés rétifs qui n'ont jamais été assez modernes. Nous nous aimons en tant que peuple à la hauteur de l'amour que nous témoignent nos gouvernants, c'est-à-dire comme des merdes. Et encore être pris pour une merde, c'est une forme de considération.

« Les Français ceci, les Français cela » : ces formules ressassées, entendues tous les jours, à qui s'adressent-elles ? Elles ne s'adressent pas à des citoyens respectables dont la voix hors de l'urne compte aussi. En réalité, nos élites ne s'adressent pas vraiment à nous, ils nous considérent comme objet de discussion et ne dialoguent qu'avec de dociles partenaires sociaux. Ils nous invitent à comprendre et à adopter uniquement ce point de vue de gouvernants sur nous-mêmes. Ils créent ainsi un monde à leur image dans lequel il nous devient impossible de trouver notre reflet. On y devient schizo et à force on finit par parler nous aussi de nous-mêmes à la troisième personne.

Ce On qui englobe toujours tout le monde excepté soi. On finit nous aussi par dire que les gens sont cons, et tout particulièrement les Français, vis-à-vis des Allemands qu'on nous sert rigoureux, des Américains dynamiques, des Chinois bosseurs etc. On se répète alors qu'on est un pays de râleurs, de fainéants, qu'on est des réacs hostiles à la réforme, qu'on a mauvaise réputation à l'étranger, qu'on a une mauvaise estime de nous (!), pas assez de respect pour nos voisins, nos vieux, qu'on a trop de défiance envers tout et n'importe quoi, qu'on fantasme. Les techniques de gouvernement et de communication font qu'on s'élimine de l'équation en tant que force politique. Le On annule le Nous, une autre manière de policer.

Au lieu d'être fiers de notre défiance, de la diriger pour faire pression sur nos gouvernants, elle est détournée pour provoquer notre frustration. Il nous devient impossible de nous appréhender nous-mêmes, collectivement, hors de l'image que nous imposent nos élites, hors individus isolés, hors individus consommateurs, hors individus défiants, complotistes, racistes, réactionnaires et infantiles. Ceux qui s'en sortent sont les quelques héros du quotidien qui servent les faits-divers comme exception qui confirme la règle de notre médiocrité ordinaire. Si jamais on nous dit que nous sommes tout de même un grand peuple, c'est soit dans le vide, soit pour glisser le bon bulletin dans l'enveloppe, soit pour partir en guerre. Pas parce que notre défiance est une première forme de résistance qui peut garantir la démocratie.

Les dirigeants, quant à eux, font leur auto-critique mais par le détour d'une critique du « système » dans lequel ils ne s'incluent jamais comme groupe social avec ses intérêts propres mais comme des individus parfois exceptionnels, souvent normaux et rarement fautifs. Ainsi la situation actuelle n'est la faute à personne dans leurs rangs, la faute à tout le monde dans les nôtres, les causes flottent, la culpabilité plombe et la résignation à cet état de fait est la seule issue proposée. Show must go on. Dans tous les cas, médias, intellectuels experts et politiques, nous expliquent que c'est plus compliqué et que nous ne pouvons pas comprendre. À tel point que nous sommes nombreux à répéter ce genre de conneries dans nos discussions entre amis. « Les politiques ne sont pas ''tous pourris'', c'est inexact. En revanche, oui, ''les gens sont cons''. »


LA TRANSPARENCE : UN DÉBAT BIDON

La transparence comme remède à la défiance, était à l'origine une revendication du peuple au  17ème siècle en Suède et durant la Révolution Française. Remise au goût du jour en 2010 par Wikileaks, elle est depuis devenu « principe » des élites dirigeantes. Quelles sont les conséquences de ce revirement ? Écoutons ce qu'en disent les grands partis politiques.

Attention : éléments de langage. Selon les libéraux (PS, Libération, Le Monde), la montée de la défiance, c'est la faute à un peuple enfant qui « fantasme » sans informations objectives, sans « transparence » éthique et déontologique contrôlée. La « contre-démocratie », « l'âge de la défiance » du peuple qu'identifient leurs intellectuels et leurs think tank, sont un problème, jamais l'esquisse d'une solution ; tandis que la corruption des élites, nous expliquent-ils, n'est jamais l'affaire que de quelques uns, elle a d'ailleurs toujours existé tout au long de l'histoire de la République, c'est une banalité, un détail. Aujourd'hui, les libéraux nous disent qu'il faut faire confiance, les paupières lourdes après le joli conte du mouton noir. Jérôme Cahuzac, François Thévenoud, Aquilino Morelle ne sont que les derniers cas particuliers, les bavures, les exceptions qui confirment la règle d'exemplarité d'une présidence normale. « Électeurs ayez confiance ».

HATVP ou la boutade. « Comme tout un chacun », les élus aussi, « nous avons tous des liens d'intérêts » sinon nous serions « sans intérêt » (!). C'est ce que nous explique Jean-Louis Nadal (L'Express.fr 24/07/2014), président tagada de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP), qui tagada, de son aveu, s'autorise souvent ce jeu de mots. Tsoin-tsoin. Le job de cet ancien procureur n'est pas seulement de contrôler nos élus et, le cas échéant, de leur adresser des « appréciations » avant de saisir, si besoin, les autorités fiscales ou judiciaires compétentes, qui entameront des « négociations » avec les intéressés avant d'envisager, oh là là, tout redressement. Le job de cet ancien procureur est surtout de rassurer par voie de presse les citoyens en leur racontant la jolie histoire d'une commune humanité, d'individus avec les mêmes faiblesses. « Dans le fond, on est tous les mêmes », riches, pauvres, dominés, dominants, Gad Elmaleh remplissait des Zenith avec la même fable tandis qu'il transférait ses comptes en Suisse (Swissleaks). Au moins faisait-il (encore) rire. Nous reviendrons sur cette Haute Autorité et son président, en attendant : qu'en pense-t-on dans l'opposition ?

Attention : éléments de langage. Selon les conservateurs (UMP, Le Figaro, Valeurs Actuelles), la montée de la défiance, ce n'est pas la faute à quelques menus défauts du régime politique. C'est  la faute à un idéal démocratique qui régnerait déjà sans partage dans la société et dans ses mœurs. La faute est à la « surenchère voyeuriste », au « totalitarisme » de la télé-réalité qui met en scène la sacro-sainte intimité de la vie privée, et plus profondément aux désirs d'un public corrompu. La crise de confiance n'est pas une crise politique mais une crise morale, une crise de civilisation. Et c'est la faute à la « transparence » justement, pas la transparence politique mais la transparence sociétale, déjà présente et qui s'étendrait partout en pervertissant le bon peuple avec sa « pornographie ». Il faut poser de saines limites pour éviter que l'infection s'étende.

Nicolas Sarkozy avait alors raison de dénoncer le principe de transparence en l'accusant d'instaurer un climat « inquisitorial » digne de la police Est-Allemande Stasi. Il avait raison de rappeler qu'il est, en tant qu'ex-plus haut dirigeant du pays, « un citoyen comme les autres » qui « ne demande aucun privilège » tandis que chancelle le cordon de sécurité de ses lieutenants. Et il avait raison, mercredi 2 juillet 2014, le lendemain d'une garde à vue nocturne, pénible et humiliante pour lui, de convoquer tout naturellement Jean-Pierre Elkabbach et Gilles Bouleau pour l'interviewer en duplex sur Europe 1 et TF1 afin qu'il se défende. « Que puis-je faire, si ce n’est prendre les Français à témoin ? Je vous le dis bien dans les yeux : je n’ai rien à me reprocher ! Vous m’entendez ? Rien ! ». Joli numéro ! Le deux poids, deux mesures de la Justice marche sur la tête, avec un écho de Cahuzac et ses « yeux dans les yeux » sur les lèvres. Où est l'obscénité ? « L'alternance est en marche » clame-t-il après le premier tour des départementales.

« Liberté, égalité, fraternité » : il faut saluer tout cela, selon les conservateurs, en faire les valeurs supérieures de notre civilisation occidentale, la justification de nos guerres et de nos pillages, mais quant à les appliquer avec transparence, pop pop. Aujourd'hui, les conservateurs nous disent qu'il faut faire confiance les yeux pudiquement fermés. Si jamais on instaure le « principe de transparence », selon eux, on revient carrément au « peuple-juge » de la Révolution française, on a vite fait de repasser à la « surveillance » populaire (pas celle de l'État autorisée par le terrorisme) et on déborde fissa vers les traumatismes de la Terreur : suspicion et guillotine à tout-va. Ils ont raison en un sens. D'une transparence soft, érotique, revendiquée par les suédois, à la « surveillance » exigée par les révolutionnaires français, jugée hardcore et pornographique, on passe un cap. Pourquoi verser dans des pratiques aussi extrêmes ?

Parce que les conservateurs d'aujourd'hui oublient de mentionner qu'au 18ème siècle, des penseurs subversifs jusqu'aux penseurs BCBG type Montesquieu, on croyait à la perversité. Mais pas celle peuple ! On croyait que l'exercice du pouvoir corrompt, qu'il pousse naturellement à l'abus et qu'il fallait se garder d'un retour des noces de l'opacité et de l'arbitraire royal. On croyait que l'affaire n'était pas réglée dès lors qu'on proclame la République à grand coup de discours démago. La Démocratie, on la voulait toute nue, en pleines Lumières. À cette époque, l'indiscipline des Français s'appelait esprit de liberté et elle forçait l'admiration des intellectuels Allemands qui trouvaient les leurs encore trop soumis à leur hiérarchie. Finalement, dans tous ces débats libéraux contre conservateurs, qui finit par avoir raison ? Sûrement pas nous, les citoyens.

Les partis de gouvernement ne manifestent que leur mépris pour le peuple et leur hostilité à la démocratie qu'ils prétendent défendre. Devant ce mépris édulcoré mais affiché, notre contribution à la réflexion sur « L'avenir des institutions » est de commencer par dire : la « défiance » envers les élites n'est pas la pathologie de la démocratie. Les « modérés » se rejoignent, ils confondent sciemment le peuple comme émetteur de défiance et l'extrême-droite qui manipule cette défiance à son profit et à l'ambition de ses candidats formatés et téléportés aux commandes. Ce n'est pas des repas de substitution qu'on voudrait mais des partis de substitution, sans porcs s'il vous plaît.

Les gouvernants ont toujours mis autre chose derrière les grands mots, rien de bien neuf ; les gouvernés, eux, ont toujours voulu que les grands mots ressemblent à la réalité. Démocratie, Peuple, République, Défiance, Transparence, ne sont pas des vains mots qui devraient susciter une confiance ou une haine aveugle. Ce sont des choses, des actions, des revendications qu'il faut nous approprier et ne pas laisser à d'autres. Sinon elles y perdent leur virginité et gagnent un souverain dédain pour les citoyens défiants qui les exigeaient et qu'elles devaient servir.


Au prochain épisode…
La transparence fut exigée par le peuple.
Que devient-elle concrètement quand elle est appliquée directement par les dirigeants ?
De la poudre de perlimpinpin ?

Lire l'épisode 1

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