Calmez-vous, chers collègues ! Je blague ! Cette définition de Figaro s’applique à l’état militaire et non aux enseignants !
A l’heure où toute l’éducation nationale, de la maternelle à l’université, se dresse contre les suppressions de postes, de classes et de moyens, comment ne pas s’interroger sur « le plus noble des affreux métiers » où l’on peine désormais à recruter ?
J’ai sous les yeux un article paru il y a quelques années (avant la fin des IUFM et la « mastérisation ») dans un magazine professionnel, sans doute à l’usage exclusif des pédagos ; il a pour titre « Formation des enseignants : mise au point » ; il est illustré d’une photo. On y voit douze personnages vociférant devant une pancarte émanant d’un ou plusieurs IUFM (Institut de formation des maîtres pour les oublieux) ; cet acronyme encadre le slogan suivant, en capitales pour la première ligne, « ENSEIGNER, UN METIER QUI S’APPREND » et, pour la seconde, en écriture anglaise malhabile « Pour un service public de la formation ». Je ne sais pas trop si l’on a voulu par là reproduire la graphie maladroite d’un élève de CM1 ou s’il s’agit de l’écriture normale des étudiants de Master 2 privés de leur clavier,
Premier constat, et non le moindre, sur les douze personnages de la photo, les deux tiers (8 car, à la différence de l’un de nos ministres de l’éducation nationale, que je ne nommerai pas car tout le monde se souvient que c’était Monsieur Darcos, je sais encore faire une règle de trois) sont des filles, ce qui est un indicateur fort sur l’évolution de la profession, surtout dans le primaire et le secondaire, la vague de féminisation atteignant désormais l’université.
Seconde remarque. Les IUFM ont été des innovations récentes (1990) que fugaces. Ces temples de la pédagogie n’ont duré en effet qu’une vingtaine d’années ; c’est fort peu pour une réforme présentée comme si importante et même comme révolutionnaire puisqu’elle concernait à la fois le primaire et le secondaire. Auparavant, la formation des instituteurs se faisait dans les écoles normales alors que les professeurs du secondaire, certifiés ou agrégés, n’avaient aucune formation réelle, les « Centres Pédagogiques Régionaux » (CPR) n’étant qu’une vaste farce sur laquelle je vais revenir.
Cette création des IUFM s’est inscrite, en fait, dans l’apparition progressive dans notre pays des « sciences de l’éducation » qui nous sont venues d’Amérique du Nord. On a d’ailleurs finalement retenu, pour leur sanction académique, la dénomination de « licence de sciences de l’éducation », dénomination québécoise, jugée sans doute plus noble dans sa pluralité, que « licence de pédagogie » qui avait pourtant alors les faveurs du ministère. Cette nouvelle filière universitaire un fois instituée, il a bien fallu ouvrir des activités et des emplois pour ces licenciés (et bientôt docteurs) en sciences de l’éducation.
L’exemple, funestement prototypique, de cette évolution, est Monsieur Philippe Meirieu. Ancien instituteur, il a, non sans adresse, surfé durant toute sa carrière, sur cette vague politico-pédagogique. En 1983, il soutient, de justesse car ce titre disparaît l’année suivante, un doctorat d’Etat avec le sujet suivant « Apprendre à apprendre » ; il est toutefois inexplicablement discret sur ce travail, peut-être parce qu’il en déclinera inlassablement, dans la suite, le titre : « Apprendre à apprendre à apprendre», « Apprendre à apprendre à …etc. ». L’un des artisans majeurs de la loi d’orientation de L. Jospin qui, en 1989, crée les IUFM, il est, une dizaine d’années durant, le gourou de la rue de Grenelle. Il a fini sa carrière comme directeur de l’IUFM de Lyon, avant de se replier sur l’université de Lyon 2 pour jeter enfin le masque de la pédagogie afin d’entrer ouvertement en politique sous l’étiquette de l’écologie en 2009.
Dans ce contexte, à la fin des années 80, la « pédagogie », même si on lui a préféré « sciences de l’éducation », devient le maître-mot des filières universitaires ainsi dénommées comme des IUFM eux-mêmes qui en sont la résultante avant qu’on passe aux « mastaires ». On avait là enfin l’application ouverte du vieux principe de base « Ce qu’on sait faire on le fait, ce qu’on ne sait pas faire, on l’enseigne ! ».
Pour éclairer ce point, sans raconter ma vie (vous m’accorderez que je donne rarement dans ce travers), je voudrais illustrer cette question de la fameuse formation des maîtres par mon cas personnel. À la différence du gourou actuel de notre école, Monsieur Alain Bentolila, j’ai autrefois passé successivement les deux concours de recrutement d’enseignants ouverts dans mon domaine (« les lettres classiques »), le CAPES d’abord, l’agrégation ensuite.
Le CAPES comportait alors une épreuve dite « théorique » (après la licence donc à bac + 3 mais en fait à bac + 4, car il fallait ensuite une année pour préparer ce concours). Si l’on y était admis, ce CAPES théorique faisait de vous un « professeur stagiaire » rémunéré et affecté, à ce titre, à un Centre Pédagogique Régional, un CPR, institution parfaitement utopique (au sens propre car, par exemple à Lyon où j’étais, ce CPR n’avait ni siège ni local) et mythique comme on va le voir.
La « formation » ne comportait, en effet, aucun véritable enseignement et consistait exclusivement en six heures de stage. Il s’agissait d’assister, chaque semaine, à quelques heures d’enseignement d’un « maître de stage », qui se bornait à faire, devant deux ou trois stagiaires planqués au fond de sa classe, son cours normal. Le drôle de la chose, dans mon cas, est que le premier semestre de mon stage s’est déroulé au Lycée Ampère qui était, par hasard, celui-là même où j’avais fait mes études ; j’y avais donc déjà fait, comme élève, sept années de stage à temps plein et je n’avais donc plus grand chose à apprendre de mes anciens maîtres ! En fin d’année de CPR, on faisait une heure de classe devant un inspecteur général, la chose étant censée être l’épreuve « pratique » du CAPES. Une fois définitivement reçu (je n’ai jamais vu quiconque échouer à cette épreuve pratique), on était nommé dans un établissement et, pour quarante ans, vogue la galère pédagogique !
Les choses étaient encore pires, si l’on peut dire pour l’agrégation, où elles prenaient vraiment l’allure d’une farce. En d’autres termes, à cette époque, pour le secondaire, s’il y avait, pour les deux concours de recrutement, des épreuves théoriques difficiles (par exemple pour l’agrégation, moins de 10% des candidats étaient reçus pour un concours à bac + 5 au moins : licence en trois ans + Diplôme d’études supérieures (DES qui deviendra ensuite la maîtrise) sanctionné par des épreuves orales et la soutenance d’un mémoire) ; s’y ajoutaient une voire deux années de préparation spécifique fort sérieuse du concours lui-même, avec des « cours d’agreg. » spéciaux, car le programme du concours était très lourd et changeait chaque année. En revanche, la formation professionnelle, une fois les concours passés, était rigoureusement NULLE et se ramenait à une quinzaine de jours de stage dont on dispensait même ceux qui, comme moi, avaient déjà le CAPES
Pour en finir avec mon cas qui n’est, en rien particulier, je ne veux en retenir que trois conclusions.
1. Pour ce qui me concerne du moins, les heures de stage ne m’ont rigoureusement rien appris. Cette année de stage fut pour moi une année de vacances payées qui m’ont permis de préparer le DES que je n’avais pas encore et qu’il me le fallait absolument pour pouvoir me présenter à l’agrégation. Mes « maîtres de stage », charmants et excellents enseignants eux-mêmes, ne m’ont en rien conseillé, puisque ces stages consistaient pour eux à faire devant nous leurs cours habituels et qu’ils ne nous ont vu enseigner, au mieux, qu’une heure ou deux.
2. Ma seule formation pédagogique est celle que j’ai reçue (et qu’ils ne cherchaient nullement à me donner) de deux de mes excellents maîtres et modèles, Pierre Savinel et Jean Pouilloux, dont je garde toujours le souvenir, aussi vivace et présent, le premier, professeur de lettres classiques en première au lycée, le second, professeur de grec à l’université.
3. À mes yeux, l’enseignement, comme la médecine, est d’abord un art, mais, dans les deux cas, il est prioritaire et indispensable, pour les exercer, de maîtriser, aussi complètement et efficacement que possible, les savoirs qu’implique et met en œuvre l’exercice de ces arts.
Les professeurs de l’époque, « non formés », étaient-ils moins bons que ceux des vingt dernières années (1990-2010) qui ont tâté des fameux IUFM et de la « pédagogie/sciences de l’éducation » et furent « mastérisés »? Je n’en suis pas certain (litote pour dire que je suis à peu près sûr du contraire !).