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Billet de blog 22 juin 2009

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L'extension du domaine du Café du Commerce

Le sens accordé aux fameuses “discussions de café du commerce” prête précisément à discussion, et à ce titre mérite assurément d'être confronté au sens commun. Elles sont considérées par les intellectuels comme le degré zéro de l'expression politique, le sommet de la banalité “beaufique”.

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Le sens accordé aux fameuses “discussions de café du commerce” prête précisément à discussion, et à ce titre mérite assurément d'être confronté au sens commun. Elles sont considérées par les intellectuels comme le degré zéro de l'expression politique, le sommet de la banalité “beaufique”. Jean-Marie Gourio les a sublimées dans ses Brèves de comptoir (extraits ICI). D'autres y voient la quintessence d'un bon sens populaire exprimé dans des situations de convivialité euphorique qui garantissent sa libre expression en même temps que son authenticité. A l'examen elles me semblent avoir envahi tous les médias. A ce titre elles méritent assurément d'être confrontées au sens commun …

A tout seigneur, tout honneur …

Quand le Président de la République déclare dans son discours sur l'Hôpital ” Parce que la population, qui vieillit, vieillit de plus en plus vieux” il couronne en quelque sorte le Café du Commerce en le portant au sommet de l'Etat. Au point qu'il semble même plagier l'auteur de cette brève : “Avec la science tu meurs de plus en plus vieux mais tu nais pas de plus en plus jeune, c'est pour ça qu'on a de plus en plus de vieux et de moins en moins de jeunes…”*, un discours par ailleurs nettement plus élaboré … Du Président au pilier de bar se déploie la figure dominante du café du Commerce, devenu aujourd'hui la Maison Commune dans laquelle s'exprime la réflexion politique … La société civile dans son intégralité y est conviée … elle y prend peu à peu ses habitudes … Avec l'assurance que donne la simplicité de l'expression, son évidence immédiate tellement il est clair que les vieux devenant de plus en plus vieux ils deviennent de plus en plus malades et donc qu'on ne va plus pouvoir les soigner comme avant, quand ils mourraient plus jeunes … Simplisme et fausses évidences : c'est bref et c'est au comptoir …

Les médias offrent la tournée …

Les médias assurent le service à toute heure. Les radios rivalisent à coups de talk-shows. Pas d'émission qui ne donne la parole au citoyen lambda lequel puise immanquablement sa réflexion dans le grand stock commun des idées reçues. A chaque instant les fonctionnaires –qui sont toujours en grève et qui de toute façon ne font rien- sont de la revue, tandis que les chefs d'entreprise – qui ne comptent pas leurs heures et s'épuisent à payer les charges excessives qui les font vivre- leur font pièce aussitôt. Les problèmes de société (délinquance, sécurité, prisons, voile, burka, etc, etc …) donnent lieu toujours au même déballage de certitudes sur le mode “yaka focon “. On en retrouve des répliques parfaites dans les courriers des lecteurs de la presse écrite, dans toutes les émissions où “ça se discute” dans lesquelles le moindre fait divers est dépouillé de toute portée sociale, psychologisé et emporté dans un flot d'émotions sollicitées soigneusement entretenues. Chaque auditeur, chaque lecteur, chaque téléspectateur y trouve peu ou prou une variante individuelle de sa propre appropriation du stock. L'effet de légitimation est parfait ; il bétonne toutes les certitudes. Les médias lui renvoient une image qui lui convient : c'est la sienne … Elle le fascine … Il existe dans le reflet de sa propre existence et le voilà expert, dissertant sur tout … En fait on arrive au substrat même du sens commun, à son noyau dur trempé dans le puits de la Vérité absolue, celle qui ne sera jamais soumise à examen … Et si en plus, c'est le Président qui le dit …
Le cimetière de la pensée critique
Dans cette généralisation absolue du débat de café le politiquement incorrect joue le rôle de vaccine sociale. Guignols, Guillon, Roumanoff, Canteloup, Bonnaud et les autres par l'excès de caricature décrédibilisent la critique équilibrée. Procurant un plaisir immédiat, ils constituent autant d'exutoires. Donnant des images symétriques aussi simplistes que celles qu'ils dénoncent ils entravent objectivement la diffusion d'approches alternatives qui formalisent un tant soit peu la complexité.
Bien sûr il y a des îlots de résistance. On entend ici ou là quelques experts. Mais ce sont le plus souvent de bons clients pour les médias qui portent d'émission en émission des propos récurrents prélevés dans le noyau dur et magnifiés par des chiffres qui font savant. Leur prototype c'est l'économiste Jacques Marseille (Figaro, C dans l'air) et Jean-Marc Sylvestre (France Inter, LCI) n'est pas mal non plus. Les vrais penseurs critiques sont ailleurs, dans des revues, des entreprises éditoriales confidentielles, des émissions tardives où on leur permet enfin les indispensables “tunnels”, cette hantise des animateurs de prime time. On les découvre uniquement a posteriori comme par exemple Paul Jorion, l'un des rares économistes à avoir anticipé la crise actuelle (voir la video France Info ICI). De quoi lessiver dans nos esprits tout ce que nous savons de Marseille …
Finalement, dans les médias, la pensée critique est comme un glaçon dans le désert : “Un glaçon, tu l'amènes dans le désert, y reconnaît rien.”**

*L'intégrale des brèves de comptoir 1992-1993, p.348, J'ai Lu/Humour, n°5908.

**L'intégrale des brèves de comptoir 1992-1993, p.102, J'ai Lu/Humour, n°590

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