Symbolisé par le projet de métro automatique actuellement soumis à débat public, le Grand Paris se veut également un outil d’urbanisme. Créant un nouveau dispositif, le contrat de développement territorial, la loi du 3 juin 2010 va potentiellement donner une nouvelle impulsion aux politiques d’aménagement des communes concernées. Mais laissera-t-elle aux maires la latitude d’associer les citoyens au devenir de leur ville ? Les dispositions de la loi, notamment en matière de délais,rendent complexe l’adoption par les collectivités d’une attitude participative. Plusieurs scénarios plus ou moins réalistes peuvent être imaginés.
La loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris ne concerne pas que le métro automatique et ses gares, puisqu’elle institue (dans ses articles 21 et 22) un outil d’aménagement urbain inédit du point de vue de son périmètreet de ses effets : le contrat de développement territorial. Conclu entre l’Etat et une commune ou une intercommunalité, ces contrats sont d’une portée très large, mêlant les caractéristiques d’un document de planification (définition d’objectifs en matière d’urbanisme, de transports, d’équipements publics, de développement économique et commercial,…) et d’une opération d’aménagement (précision des actions répondant aux priorités définies ainsi que de leurs moyens procéduraux et financiers).
L’un des effets le plus spectaculaire de ce dispositif est sa priorité par rapport aux autres documents d’urbanisme : en cas d’incompatibilité entre un contrat de développement territorial et un PLU, un SCOT, voire le schéma directeur de la région Ile-de-France lui-même (le SDRIF), ce sont bien ces derniers documents qui devront être mis en compatibilité. Ainsi, « le projet d’urbanisme prévaut sur les documents d’urbanisme », pour reprendre les termes employés par la société du Grand Paris, de telles mesures dérogatoires du droit commun n'allant d'ailleurs pas sans critiques de la part des élus locaux.
Le contrat de développement territorial se veut donc un outil pouvant considérablement accélérer lespolitiques de développement urbain, d’autant que le calendrier restreint de sa mise en œuvre impose aux maires ou aux présidents d’intercommunalités de vite en saisir l’occasion. Ainsi, les contrats de développements territoriaux doivent être précédés d’une enquête publique ayant lieu au plus tard 18 mois après l’approbation du schéma d’ensemble du réseau de transport du Grand Paris par un décret en Conseil d’Etat (lui même prévu vers juin 2011).
Quatre scénarios pour impliquer (ou non) les citoyens
Conclus pour une durée de 15 ans, les contrats de développement territoriaux auront à n’en pas douter un impact significatif et durable sur le paysage urbain des communes concernées. Or, plusieurs municipalités franciliennes affichent une volonté d’associer les citoyens aux décisions ayant un impact sur leur vie quotidienne, par des voies diverses (conseils de quartiers, concertations spécifiques, assises de la ville, …) Dans la culture politique de plusieurs collectivités, il est en effet de moins en moins envisageable de mettre en œuvre des projets lourds sans au moins en informer très tôt le citoyen ; mais qu’en sera-t-il ici pour des procédures ajoutant un niveau supplémentaire de complexité, puisqu’il s’agirait de concilier concertation des citoyens et négociation du contrat de développement avec l’Etat. La tâche sera d’autant plus délicate que ce type de contrat ne peut qu’afficher un objectif de lutte contre l’étalement urbain, largement partagé à l’échelon régional mais se traduisant par une densification souvent honnie à l’échelon local. Essayons d’imaginer ici quelques scénarios de résolution de ce casse-tête (pour simplifier l’exercice, nous prendrons ici l’hypothèse d’un contrat concernant une commune, échelon où la « démocratie participative » est le plus souvent affichée).
1°) Le scénario utopique
Etat et commune s’entendent immédiatement sur un premier objectif : définir les modalités d’association des citoyens à la rédaction dudit contrat. L’enquête publique est abordée sous l’angle d’un « mini-débat public » : présentation de scénarios très divers et ouverture aux solutions alternatives, effort matériel et financier d’inclusion du public, animation et compte-rendu des débats équitables et transparents, réelle prise en compte des apports des discussions. Le contrat proprement dit n’est achevé que dans un second temps, suite à la discussion publique. Autant le dire tout de suite, ce scénario est très peu réaliste.
2°) Le scénario traditionnel
Etat et commune s’accordent sur le contrat de développement territorial, ensuite soumis à enquête publique standard. Eventuellement, les termes du contrat sont présentés dans le bulletin d’information municipal voire en réunion de quartier, sans que les citoyens aient davantage leur mot à dire. Ce scénario présente l’avantage de la simplicité et de la rapidité, au risque de s’exposer ultérieurement aux conflits nés d’un défaut de concertation. Une collectivité se prévalant de démocratie participative peut difficilement l’employer de bonne foi.
3°) Le scénario marketing
La commune emploie des moyens decommunication et de débat considérables pour afficher une intense association des citoyens, sans pour autant avoir l’intention de modifier la position municipale. On peut ici imaginer un « appel aux propositions citoyennes » où les citoyens donnent de multiples idées (davantage de services, davantage d’espaces verts, davantage de transports), sans que la question de l’arbitrage financier ne soit posée (puisque c’est la collectivité qui se charge de « piocher » les idées qu'elle juge les plus pertinentes). Dans la même catégorie, une mobilisation judicieuse de l’opinion publique peut renforcer la position de la municipalité (exemple : un sondage montrant que la défense d'un cadre de vie "villageois" est prioritaire par rapport à la création de logements… surtout sociaux). Nous laisserons le lecteur juger lui-même des avantages et inconvénients de ce scénario. L’intérêt de le mentionner ici est d’aider à le reconnaître s’il se présente !
4°) Le scénario suicidaire
A l’inverse du précédent, ce scénario voit la commune poser les questions le plus naïvement possible afin de ne laisser prise à aucun soupçon de manipulation. Faut-il densifier la commune ? Faut-il développer le logement social ? Faut-il lutter contre l’utilisation de la voiture particulière ? Hélas, soucieuse de ne pas orienter les discussions, la commune s’interdit aussi toute mise en perspective des enjeux locaux avec les enjeux régionaux : invités à ne pas réfléchir à un horizon plus lointain que leur quartier, une grande majorité des habitants répondent un « non » massif à toutes ces questions, encouragés par une opposition politique trop heureuse de l’aubaine. Devant contractualiser avec l’Etat, le maire est cependant tenu d’accepter des objectifs minimaux, et ne peut que se voir accusé de ne pas avoir tenu compte de la parole des citoyens.
5°) Le scénario de bon compromis
Ici encore, la commune mobilise d’importants moyens de communication et d’expression, mais dont le contenu est différent. Les enjeux du contrat de développement territorial sont présentés de manière claire et complète, les différents choix auxquels la commune devra répondre sont présentés et mis en débat de manière exhaustive. L’animation et le compte-rendu des débats sont équitables et transparents. Dans leurs arguments, les participants sont invités à tenir compte des enjeux locaux comme des enjeux régionaux et, dans le cas où ces deux niveaux semblent incompatibles, à exprimer ce qu’ils pensent le mieux relever de l’intérêt général. A l’issue de cette concertation, la municipalité présente les choix qu’elle défendra dans la négociation avec l’Etat du contrat de développement territorial. Cette solution est un bon compromis du point de vue de la démocratie participative, mais complexifie encore le positionnement de la municipalité vis-à-vis à la fois de l’Etat et des citoyens. Il nécessite une réflexion soignée sur les dispositifs participatifs à mettre en oeuvre, dans la mesure où il est difficile sur ce sujet de distinguer les réels arguments d’intérêt général des prises de position démagogiques. Ce scénario peut en effet facilement dériver soit vers le scénario marketing, soit vers le scénario suicidaire, d’où la nécessité d’accorder à la préparation de la discussion publique une importance au moins égale à la discussion elle-même. Les délais pour le mettre en oeuvre sont donc plus que restreints !
Ces scénarios montrent toute la complexité de doter les contrats de développement territorial d’une dimension participative digne de ce nom. Faut-il pour autant s’en passer ? En matière d’aménagement, la participation des citoyens aux décisions publiques revient en partie à investir du temps dans la concertation pour éviter d’en perdre ensuite dans les autres phases d’un projet. La nécessité du débat public est née certes de réflexions morales, mais aussi de la capacité des citoyens à s’organiser collectivement pour lutter contre des projets qu’ils considèrent néfastes.
Pour les maires d’Ile-de-France,donner un caractère participatif aux contrats de développement territorial est un défi aussi bien méthodologique que politique. A quoi bon alourdir encore une procédure déjà complexe ? Pourquoi prendre le risque de débattre de sujets sensibles pour l’opinion publique locale ? Nombre d’élus locaux critiquent pourtant, dans le débat public en cours, une loi sur le Grand Paris qu’ils jugent peu démocratique. Il serait donc cohérent de leur part de se saisir de l’occasion fragile mais réelle des contrats de développement territorial, pour remettre leurs administrés au centre des questions d’urbanisme. De même, les associations et les citoyens ont également pour rôle de faire pression sur leurs élus pour conquérir une rélle participation. A une heure où, sur d’autres sujets, certains commentateurs déplorent le peu de prise en compte des citoyens par les pouvoirs publics, il revient ainsi aux collectivités locales, à leurs élus comme à leurs citoyens, de montrer que l’inclusion du citoyen est aussi une clause du développement territorial.