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Billet de blog 28 juillet 2014

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Conversation avec Ksenia, résistante ordinaire au régime de Poutine (1/3)

Fin juin, Ksenia Kosenko était à Paris, invitée par Amnesty International. Ksenia est la sœur de Mikhaïl Kosenko, l’un des prisonniers du 6 mai, ces manifestants d’un rassemblement contre le retour au pouvoir de Poutine, condamnés au terme d’une mascarade judiciaire à motivation politique.

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Fin juin, Ksenia Kosenko était à Paris, invitée par Amnesty International. Ksenia est la sœur de Mikhaïl Kosenko, l’un des prisonniers du 6 mai, ces manifestants d’un rassemblement contre le retour au pouvoir de Poutine, condamnés au terme d’une mascarade judiciaire à motivation politique. Mikhaïl a été interné de force dans un hôpital psychiatrique. Après deux ans de lutte et d’angoisse quotidienne, Ksenia venait d’apprendre que son frère serait enfin libéré début juillet 2013. L’occasion pour Olga Kokorina, de l’association Russie Libertés, de revenir avec elle sur le combat des « familles du 6 mai » : celui de citoyens russes entrés en résistance après avoir été pris, à leur corps défendant, dans l’arbitraire de la répression poutinienne.

Cette semaine nous publions un long entretien avec Ksenia, en trois parties.

1ère partie :

Olga Kokorina : Parle-moi de ta première réaction quand tu as appris l’arrestation de ton frère.

Ksenia Kosenko : Tout s’est passé sous mes yeux. Le 7.06.2012 il y a huit personnes qui sont venues chez nous avec le mandat de perquisition. Ils nous ont montré le mandat pour perquisitionner notre appartement.

C’était tôt le matin ?

Non, c’était dans la soirée. A 21H30. Huit personnes sont venues chez nous. Quatre d’entre eux ont tout de suite conduit Micha  pour interrogatoire, ils ont dit qu’il était témoin dans l’affaire du 6 mai. Et quatre autres sont restés pour fouiller notre appartement.  Moi j’avais le sentiment que tout ça était surréaliste ou que je me trouvais dans un film, et que tout ce qui se passait là, ne se passait pas avec moi.  Ils ont fouillé l’appartement très  méticuleusement. Ils ont confisqué les téléphones de Micha, le ipod de mon fils, les habits que Micha a portés pendant la manifestation du 6 mai, sa veste, sa chemise. Et, je sais pas pourquoi, ils n’ont pas aimé un livre, un livre qu’ils ont confisqué qui s’appelle… Je ne me souviens plus du titre exact. C’était sur la corruption en Russie. Un livre que nous avons acheté librement dans une librairie.  C’est à dire que ce n’était pas un samizdat ou je ne sais pas quoi. Juste un grand livre avec un titre sur la corruption. Ils l’ont confisqué.

Ils vous l’ont rendu ensuite ?

Oui, plus tard.

Ils l’ont sûrement lu et l’ont rendu.

Oui, sûrement.  A vrai dire je ne comprenais rien de ce qui se passait. Je me suis dit que Micha serait interrogé et libéré ensuite, au plus tard le lendemain matin. Parce que quand Micha a été arrêté la première fois pendant la manifestation, il est resté une nuit au commissariat et ensuite ils lui ont donné une amende de 500 roubles pour désobéissance aux représentants de la loi, il l’a réglée et ils l’ont libéré. Nous avons pensé que cette histoire s’arrêterait là. On était loin d’imaginer que ce n’était que le début.

A partir du 7 juin 2012, il est entré en détention, et il n’en est donc plus sorti ?

C’est ça.

Parle-moi du procès, s’il te plaît.  De l’enquête. Qui vous a aidé ? Qui, au contraire, a tout fait pour empêcher le bon déroulement de l’enquête ?

Il y a eu trois associations qui nous ont aidées dès le début. La première c’était l’association des bénévoles du « comité du 6 mai ». Ils réunissaient et consolidaient toute l’information sur les accusés et leurs familles et ils nous ont tous réuni.
L’association «  Le prisonnier Russe » nous a beaucoup aidée aussi.
Et aussi l’ONG «  Verdict public » a commencé à suivre cette affaire. Il se trouve que par hasard un copain d’école de Micha travaillait dans cette ONG.
Il faut dire que nous, les proches des accusés, étions tous très soudés, réunis par ce malheur commun. On ne comprenait ni ce que s’était réellement passé pendant la manifestation du 6 mai, ni ce qu’on devait faire à ce moment. C’était très compliqué surtout de comprendre. Les organisateurs de la manifestation du 6 mai, « la marche des millions », ont rencontré les familles. Ils nous ont expliqué ce qui s’est passé et ils nous ont expliqué aussi leur position. Ils nous ont proposé leur aide, au niveau juridique.
Lev Ponomare, avec son ONG «  Pour les Droits de l’Homme », nous a rencontré aussi. Et c’est comme ça, main dans la main, que nous avons commencé à construire notre défense. Je dois aussi dire que Ludmila Alexieeva nous a immensément aidé dans le cas de Micha. Et elle a joué un grand rôle dans le destin de plusieurs accusés dans cette affaire. Je suis certaine que c’est grâce à elle que quelques personnes de cette affaire ont été amnistiées. Et c’est en grande partie grâce à elle, qu’aujourd’hui mon frère pourra recouvrer sa liberté.

Parle-moi s’il te plait du procès. Nous avons tous suivi ce procès complètement  absurde. Il ressemblait à un cauchemar, où personne n’écoutait personne, ne comprenait personne.

Mais non, justement, tout le monde comprenait tout merveilleusement bien. Mais chacun avait un rôle très spécifique à jouer dans ce procès. Nos interlocuteurs avaient un scénario très précis à suivre. Un jour, j’étais dans le bureau d’un juge d’instruction. C’était déjà quand toute l’affaire sur Micha avait été fabriquée et bien cousue dans 28 tomes.  Entre parenthèses, sur ces 28 tomes, il n’y en avait que 2 qui décrivaient les événements du 6 mai,  dans les 26 autres tomes on essayait de prouver que les émeutes avaient bien eu lieu.

Pendant ma dernière visite dans le bureau de la juge d’instruction, je devais signer des papiers en tant que représentante légale de mon frère. Et ce jour-là c’était le procès de Krivov*. Je suis arrivée le soir après le travail au moment où le procès de Krivov venait de s’achever. De ce que j’ai compris, cette juge d’instruction était une personne importante dans cette affaire, car pendant tout le temps que je me trouvais dans son bureau, des gens venaient la voir avec des rapports et pour des consultations. Et à un moment donné, la porte s’ouvre et rentre un des juges, et, sans me voir, lui dit :
« Ecoutez, ça fait longtemps que je n’ai pas eu autant honte comme aujourd’hui, pendant le procès de Krivov. » (Sergueï Krivov est une autre prisonnier du 6 mai.)
Donc, tu veux dire que personne n’était dupe dans cette affaire ? Que c’était des personnes absolument adéquates, non conditionnées par la propagande ?

Mais bien sûr que non. C’étaient des personnes parfaitement adéquates, ils n’étaient pas des zombies, c’étaient des gens qui faisaient leur travail c’est tout.

En plus, nous avons eu de la chance de tomber sur cette juge d’instruction. Je comprenais bien qu’elle faisait ce qu’elle avait à faire. Et elle a quand même essayé de rester compréhensive dans les limites qui étaient les siennes, quand je lui ai adressé des demandes.
Le vrai problème pour moi, c’était la juge.  Dès le début du procès, elle m’interdisait tous les rendez vous avec mon frère. Je n’ai pas vu mon frère pendant 9 mois. C’était très dur. Et c’était impossible de percer ce mur.

... la suite de l'entretien sera publiée mercredi.

(propos recuillis par Olga Kokorina, porte-parole de l'association Russie-Libertés)

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