Tu vois, je te l’avais bien dit, ma Tunisie,
Voilà bientôt un an, au pire de tes ennuis :
« Cette année, c’est celle de la fin de tes soucis,
Celle de l’échec sans appel de cette théocratie
Qui voulait bouleverser tes repères et ta vie » [1]
Qui t’a traitée de tous les noms, surtout d’impie
Parce que tu ne voulais pas de son paradis
Ni de ses lois rétrogrades, ni de ses houris
Tellement limitée, elle n’a pas encore compris
Qu’avec tes enfants vaillants, femmes, hommes, grands et petits
Elle ne pourra jamais te réduire à sa merci,
Que c’en est fini du règne de sa médiocratie,
Que toi et elle, vous n’êtes pas faites pour vivre en harmonie,
Elle qui n’éprouve pour la démocratie que du mépris
Et tout son reste n’est que double langage et alibi,
Dans le sillon de ses maîtres-financiers qataris [2]
Qui sont aussi les protecteurs de Moncef Marzouki,
Que ton Islam, ce n’est pas celui des Baghdadi [3]
Ni même celui de Rached Ghannouchi,
Le Gourou grand protecteur des salafis
Qui lui rappellent, dit-il, sa jeunesse de jadis
Et sont annonciateurs d’une culture « bénie » [4],
Ni même, non plus, de son alliée la Turquie,
En tant que pays islamiste d’Anatolie
(Atatürk, tu dois remuer dans ton ultime abri !),
Qui ont laissé partir tes jeunes vers la Syrie,
Et, aussi, les jeunes de plein d’autres pays,
De l’Europe, des Amériques et de l’Asie
Pour en faire la chair à canons de l’EI
Pour tout cela et d’autres assassinats, crimes et délits
Commis avec horreur et extrême sauvagerie,
Qui seront jugés certainement par la CPI,
Erdoğan et Ghannouchi ont les mains par le sang salies
Si l’Islam politique démocratique est une utopie,
« Islam et Modernité » n’est pas une antinomie
Ton Islam, c’est celui qui éclairait l’Andalousie,
À l’époque de Sidi Bou Saïd et de Saint Louis,
L’Islam d’Ibn Roshd et de son contemporain Ibn ’Arabî,
Dont il est rapporté ci-dessous deux merveilles de leurs écrits [5],
Enrichi par la pensée de tes savants kairouanis
Et des disciples de Tahar Haddad et de Thâalbi
Avec, en premier, Habib Bourguiba, le monastiri
Maintenant que tu as retrouvé une certaine accalmie,
Avec la défaite de Moncef Marzouki et compagnie
Et la victoire des Modernistes et leur candidat Béji,
Que ton Peuple se remette au travail, sans répit
Avec ardeur et productivité à haut débit
D’autant plus qu’il vit depuis bien longtemps à crédit
Et qu’il est débiteur de la Banque mondiale et du FMI
Ainsi que d’autres organismes se trouvant à la "City"
Le chômage et l’injustice sociale sont tes pires ennemis,
Ils furent d’ailleurs la cause de l’immolation de BOUAZIZI,
Pour que tu t’en sortes au plus vite, il n’y a pas d’autre thérapie
Que 2015 soit l’année de la relève de tous tes défis
De la sécurité, du développement, de l’économie
Que le tourisme retrouve ses terres, y compris le Mont Chambi,
Toutes ces terres infestées par le terrorisme, aujourd’hui
Que les pays qui se considèrent comme étant tes frères ou amis
Comprennent que ta démocratie naissante a besoin de leur appui
Salah HORCHANI
[1] Extrait de mon poème intitulé «Ne t’en fais pas…ma Tunisie…ne t’en fais pas!», paru le 12 janvier 2014 sous le lien suivant :
http://horchani.blog.lemonde.fr/2014/01/12/ne-ten-fais-pasma-tunisiene-ten-fais-pas/
[2] Voir, à ce sujet, mon article intitulé «Tunisie élections 2014 - L’argent illicite du parti islamiste tunisien Ennahdha ou l’inégalité des chances entre les candidats » et paru sous le lien suivant :
[3] Il s’agit d’Abou Bakr al-Baghdadi, le Calife autoproclamé de l’EI (l’État Islamique), et de son prédécesseur, Abou Omar al-Baghdadi (ce sont des pseudonymes qu’ils se sont choisis).
[4] en ajoutant :
Ils ne sont pas des résidents d’une autre galaxie
Et, s’ils sont ainsi, c’est par la faute de Ben Ali
Qui les a empêchés de vivre libres et épanouis
Qui les a emprisonnés, qui les a poursuivis
[5] Ibn Roshd [Averroès (1126-1198)] est un philosophe, médecin et juriste et Ibn‘Arabi (1165-1240), prestigieuse figure du soufisme, est un théologien, juriste, métaphysicien et poète; tous les deux andalous, contemporains de Moïse Maïmonide [Moshe ben Maïmon (1138-1204)], andalou aussi, et presque contemporains de Saint Thomas d'Aquin (1224-1274), quatre figures emblématiques de la tolérance et de l’ouverture dans le domaine religieux.
a. Ibn Roshd, le précurseur du Féminisme :
« Nous ne faisons pas assez pour l’épanouissement des femmes. Les considérer comme étant seulement aptes à enfanter et allaiter peut nuire à notre prospérité, alors qu’elles ont d’énormes capacités, que nous avons étouffées par la situation de dépendance dans laquelle nous les avons mises, et qu’elles peuvent contribuer efficacement à la vie de la cité.
N’oublions pas qu’elles constituent les deux tiers de l’humanité : si on laisse ces deux tiers vivre comme des plantes ou vivre en parasite sur le compte du tiers restant, cela ne peut que conduire nos cités à la ruine et au malheur ».
Ce magnifique Texte d'Ibn Roshd a été traduit par moi-même, et ce, à partir du livre de Khalil Charf-Eddine Ibn Roshd, al-shu‘aa al akhir [= Averroès, le dernier rayon de lumière] (Dar al-Hilal, Beyrouth, 1988).
b. Ibn‘Arabi, l’Amour est sa religion et sa foi :
« O merveilles, un jardin parmi les flammes !
Mon cœur devient capable de toute image :
Il est prairie pour les gazelles, couvent pour les moines,
Temple pour les idoles, Mecque pour les pèlerins,
Tablettes de la Thora et livre du Coran.
Je suis la religion de l’amour, partout où se dirigent ses montures,
L’amour est ma religion et ma foi »
Extrait de Le chant de l'ardent désir, choix de poèmes traduits de l'arabe et présentés par Sami-Ali (Sindbad, Paris, 1989).