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Billet de blog 21 novembre 2013

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Tunisie : La première mesure de l’islamisation rampante de l’État date du 21 janvier 2012

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La première mesure de l’islamisation rampante de l’État a été prise, officiellement, moins d’un mois après l’avènement du pouvoir islamiste en Tunisie

[Vos] déclarations, Monsieur le Ministre, qui expriment, entre autres, un certain attrait, une certaine sympathie, pour ne pas dire une empathie certaine, envers certains régimes considérés comme étant la lanterne rouge de la planète quant aux valeurs de Liberté, de Dignité, d’Egalité et de Démocratie, valeurs pour lesquelles se sont sacrifiés nos Martyrs, [vos] déclarations ont révolté plus d’un citoyen, plus d’un universitaire.

D’ailleurs cette révolte s’est exprimée, officiellement, au sein de la Conférence des Présidents des Universités, Structure présidée par vous-mêmes, Monsieur le Ministre, dont la principale vocation est la réflexion et l’accompagnement des grands changements de l’Enseignement Supérieur. Lors de sa première réunion consacrée aux Réformes, qui s’est tenue avant votre déclaration [ci-dessous *], réunion où, étant empêché, vous avez délégué votre Présidence à Monsieur Mekki Ksouri, celui-ci a annoncé à l’assistance, à la façon des pays les plus bornés et les plus totalitaires, votre choix quant aux systèmes universitaires qui devront être la source principale d’inspiration de nos Réformes Universitaires futures, à savoir : « les systèmes des pays islamiques et en premier ceux de la Malaisie et de la Turquie » , comme vous l’avez confirmé, vous-mêmes, plus tard, à la Nation tout entière, par [ladite] déclaration , et ce , malgré le tollé général et les critiques de l’assistance provoqués par cette Annonce.

Monsieur le Ministre, auriez-vous oublié que le terme « université », son dérivé « universitaire » et le terme « universel » possèdent, en commun, dans leur sens, la notion du « tout, sans exception, ni discrimination » ? Seriez-vous un adepte, ou plutôt le fondateur, Monsieur le Ministre, dans le domaine des Réformes Universitaires, de la règle de « préférence islamique », à l’image d’autres, sous d’autres cieux, qui sont adeptes, eux, dans le domaine social et de l’emploi, de la règle de « préférence nationale » ? Non, Monsieur le Ministre, la Science est universelle, une et indivisible et, comme aurait dit Verlaine, tout le reste est littérature partisane, sectaire et démagogique.

Cette fameuse Annonce, Monsieur le Ministre, fut précédée par beaucoup d’autres qui, décidées, unilatéralement, sans aucune discussion préalable, ni avec les Structures élues, ni avec les Structures compétentes (du jamais vu, ni avec Bourguiba, ni avec Zinochet), ont provoqué, plus d’une fois, un malaise parmi les universitaires. La première de la série fut votre Annonce, du samedi 21 janvier 2012, concernant « la mise en place d’un Master en Finance Islamique au sein des Universités Tunisiennes », et ce, moins d’un mois après votre prise de fonction ministérielle, avant même de constituer votre staff, puisque, entre autres, votre Chef de Cabinet, Sofiane Mansouri, et votre Chargé de Mission, qui a la Responsabilité des Réformes de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, Mekki Ksouri, n’ont été nommés que le 23 février.

En effet, après que notre Loi des Finances pour l’année 2012 ait élaboré un « Régime fiscal spécifique au financement islamique » et pendant que des efforts étaient déployés pour l’élaboration de textes d’application organisant ledit financement, vous avez jugé bon, Monsieur le Ministre, d’ajouter votre brique à ce nouvel édifice en annonçant, dans le cadre de la Conférence Internationale intitulée « Ijara : Concepts et Applications », qui a eu lieu le samedi 21 janvier 2012, la « mise en place de formations spécialisées en économie et en finance islamiques au sein des établissements de l’enseignement supérieur », en précisant qu’« il s’agit de promouvoir le secteur bancaire dans le sens d’une plus grande adéquation avec les principes de la Sharia Islamique et garantir une migration d’une économie conventionnelle à une économie islamique ». Je vous avoue, Monsieur le Ministre, que j’ignorai, jusqu’alors, le sens du terme « Ijara ». Heureusement que ladite Loi des Finances en donne l’explication, dans un paragraphe introductif, intitulé « Définition des concepts », où il est explicité : « Cette opération (Ijara) s’apparente à une location-vente ou à un crédit-bail. Le créancier (la banque) achète des biens qu’il loue à un client avec, pour celui-ci, une possibilité de rachat au terme du contrat ».

Monsieur le Ministre, permettez-moi de vous dire, de prime abord, que je compte sur votre bienveillance pour me pardonner la liberté que je vais m’octroyer dans ce qui suit en développant quelques idées concernant votre Annonce.

Tout d’abord, Monsieur le Ministre, est ce que ce Master est la priorité absolue de l’Enseignement Supérieur en Tunisie, pour l’annoncer, ainsi, dans la précipitation la plus rocambolesque ?

Dans cette Annonce est mentionnée la portion de phrase : « … d’une plus grande adéquation avec les principes de la Sharia Islamique ». Monsieur le Ministre, je considère cette portion de phrase hors-sujet, tant qu’il n’est pas dit explicitement dans notre Constitution que la Sharia est source obligée de notre Droit et de nos Lois. Dans tous les cas, l’Histoire retiendra, Monsieur le Ministre, que vous avez été le premier, en tant que responsable politique au pouvoir de la Tunisie Moderne, à avoir appelé à appliquer, il est vrai dans un contexte bien particulier, les principes de la « Sharia Islamique ».

Il est à remarquer, Monsieur le Ministre, que si une telle formation existe, en effet, par exemple, dans les Pays anglo-saxons, sa finalité c’est l’Export, et ce, pour mieux exploiter, à leur profit, les pétrodollars et autres produis des Pays Islamiques. C’est comme, pour un français, apprendre l’arabe à l’INALCO (Institut National des Langues et Civilisations Orientales) : ce n’est pas, en général, pour le Local ou pour le « bien-vivre ensemble » avec ses citoyens arabophones ; mais c’est pour un but, essentiellement, mercantile. D’ailleurs, les études spécialisées montrent que le Royaume Uni est classé parmi les premiers dans le Secteur des Finances Islamiques.

En outre, Monsieur le Ministre, votre Annonce va à contre-courant de l’avis des experts. Puisqu’« une étude élaborée, récemment, par la Banque africaine de développement (BAD) sur la finance islamique en Afrique du Nord, relève que "la faible demande sur ces produits et l’étroitesse de la taille du marché tunisien, ne peut lui permettre d’accueillir des services de financement islamique. La finance islamique qui peut stimuler la consommation et la demande sur certaines activités économiques, ne peut avoir un impact concret sur le financement du développement et le renforcement de l’investissement" ». De plus, les auteurs de cette étude mettent l’accent sur « le cout élevé des produits islamiques, comparé au cout de financement des banques conventionnelles ». Aussi, Monsieur le Ministre, le premier effet de la réalisation de votre Annonce concernant « la mise en place d’un Master en Finance Islamique »sera que nous aurons un peu plus de Diplômés-Chômeurs et les Diplômés de cette nouvelle formation qui ne seront pas chômeurs scieront, eux-mêmes, la branche sur laquelle ils seront installés, puisqu’ils nous enfonceront un peu plus dans la Crise financière et économique.

Monsieur le Ministre Provisoire de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (n’est- ce pas ainsi votre dénomination officielle !), permettez-moi de prendre la liberté de vous rappeler que, contrairement à ce que vous avez déclaré à la chaîne Hannibal TV, le lundi 12 mars 2012, à savoir et en substance : « j’ai le devoir de restructurer l’enseignement supérieur, parce qu’on nous a élu pour ça », vous n’avez pas été nommé pour restructurer l’Enseignement Supérieur en y entreprenant des réformes sociétales et partisanes profondes, mais, en attendant que l’Assemblée Nationale Constituante rédige la Constitution, vous avez été nommé pour, en premier lieu, gérer les affaires courantes, comme, par exemple, l’Affaire de la FLAHM [Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de la Manouba] et, en second lieu, en préambule de toute réforme, faire l’état des lieux et définir les Structures qui vont réfléchir, concevoir, accompagner, évaluer,…les réformes à entreprendre, et ce, en concertation avec toutes les parties prenantes. Dans ce contexte, n’oubliez pas, Monsieur le Ministre, que votre mandat n’est que provisoire.

Note:

Le texte ci-dessus est extrait de mon article intitulé« Trop c’est trop ! Monsieur Moncef Ben Salem, Ministre Tunisien de l’Enseignement Supérieur : Il est temps de partir ! », paru sur le lien :

http://www.legrandsoir.info/trop-c-est-trop-monsieur-moncef-ben-salem-ministre-tunisien-de-l-enseignement-superieur-il-est-temps-de-partir.html

Salah HORCHANI

* « La Tunisie va entamer des Réformes Universitaires en s’inspirant, en priorité, des systèmes des pays islamiques et en premier ceux de la Malaisie et de la Turquie » : déclaration faite, le 8 mars 2012, au Journal de 20 Heures de la Wattania 1, en commentaire de la signature du Protocole de Coopération Scientifique et Technologique entre la Tunisie et la Turquie.

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