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Billet de blog 7 mars 2010

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La philo pour les minots : continuons le débat

Peut-on faire de la philosophie avec des enfants ? Ne galvaudons-nous pas le mot philosophie dans cette situation ? Est-ce que cette pratique doit avoir sa place dans une classe ? Est-ce que l'adulte laisse vraiment penser l'enfant ?Après l'émission du mercredi 3 mars, et la petite frustration de ne pas avoir pu tout dire ou mieux dire , je vous propose de continuer le débat autour de la possibilité de faire de la philosophie avec des enfants.

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Peut-on faire de la philosophie avec des enfants ? Ne galvaudons-nous pas le mot philosophie dans cette situation ? Est-ce que cette pratique doit avoir sa place dans une classe ? Est-ce que l'adulte laisse vraiment penser l'enfant ?

Après l'émission du mercredi 3 mars, et la petite frustration de ne pas avoir pu tout dire ou mieux dire , je vous propose de continuer le débat autour de la possibilité de faire de la philosophie avec des enfants.

Voici donc un billet essentiellement fait de commentaires. D'abord en réaction à l'émission que vous pouvez écouter ci-dessous, puis dans un dialogue où je développerai certains aspects laissés dans l'ombre.

A l'occasion, Roger Pol Droit et Myriam Revault d'Allonnes interviendront.

Vous pouvez télécharger l'émission en cliquant sur l'adresse suivante si les lecteurs ne fonctionnent pas.

http://dl.free.fr/mrcTEW6UJ

Les enfants peuvent-ils philosopher ?

Lorsque l'on fait de la philosophie avec des enfants, il est exclu de comprendre cela comme un exercice où l'on pratique de l'histoire de la philosophie ou l'étude de systèmes de pensées.

Je crois que Wittgenstein peut nous venir en aide pour comprendre comment et pourquoi les enfants peuvent faire de la philosophie.

Bien que la distinction entre le 1er et 2nd Wittgenstein soit assez factice, il faut tout de même croire l'auteur lui-même lorsqu'il présente dans sa préface aux Investigations Philosophiques, son Tractatus comme ses anciennes pensées constituées de "graves erreurs". Le point de bascule entre les anciennes et les nouvelles pensées est l'expérience que Wittgenstein fait de la pratique de la classe comme instituteur en Autriche.

On retrouve ensuite dans son œuvre, une multitude de références au langage, aux jeux, aux apprentissages de l'enfance. Lorsque celui-ci travaille la question « qu'est-ce qu'une règle ? », l'on ne peut s'empêcher d'imaginer le maître avec ses élèves, retenant la main du plus jeune pour lui dire « non », ce n'est pas ainsi que l'on bouge cette pièce. On ne lire les expériences de pensées que comme des exemples, simples, que les enfants peuvent suivre. Enfin, on ne peut pas ne pas remarquer, lorsque l'on est soi-même enseignant pour des « petits », la primauté de l'acte dans la pensée que souligne constamment Wittgenstein.

Pour celui-ci, « la philosophie dénoue des nœuds dans notre pensée ». Ainsi, le projet d'éclaircir les idées des philosophes implique une méthode longue, requérant de la patience pour détacher les fils que le temps et l'usage quotidien ou savant des mots ont entremêlés. La réponse trouvée peut sembler alors triviale mais elle nous convaincra. Elle ne fera pas appel à des forces obscures ou au paradoxe comme point (de suspension) final. Nous nous serons donné les bonnes raisons de penser ce que nous pensons au terme de la réflexion.

Deux aspects de cette nouvelle pensée de Wittgenstein permettent de comprendre pourquoi l'on peut faire de la philosophie avec des enfants. J'en ajouterai un dernier aspect qui tient à son ancienne façon de penser.

Tout d'abord, les enfants apprennent les mots en les utilisant. Dans ce que l'on peut appeler des jeux de langages, le mot, que l'on qualifiera ici de nouveau, est utilisé en situation ; à sa bonne place dans la phrase, dans le bon contexte, le geste joint à la parole. L'enfant qui utilise le mot s'efforcera de le faire en situation et c'est la situation qui sera juge de l'efficacité du mot, de sa pertinence dans la nouvelle situation expérimentée. Si le mot est mal utilisé, l'enfant peut être directement repris par adulte qui lui indique son erreur ou son incompréhension ou encore, plus simplement, l'enfant n'obtient pas un retour satisfaisant à son attente après ses paroles. Ainsi, le mot libre ou juste sera utilisé par l'adulte en situation et l'enfant en fera une expérience selon différents contextes. « Tu peux jouer librement dans ta chambre ».

On tient ici une première raison qui permet de comprendre pourquoi les enfants peuvent philosopher. Ils ont une expérience de ce que veut dire libre, juste, beau, mal...et on ne peut pas dire qu'ils utilisent mal ces mots parce qu'ils n'en ont pas une claire définition. Au contraire, ils utilisent bien ces mots parce qu'ils en ont un bon usage sans aucune définition claire. D'ailleurs, nous ne cherchons dans le dictionnaire uniquement que les mots dont nous n'avons pas l'usage. Cette même idée peut se formuler autrement. Les enfants savent ce que c'est que le beau, le juste, l'égal, le vrai, le bien, le temps...mais sitôt que l'on leur demande, ils ne savent plus ! C'est pourquoi, en même temps que nous tenons une bonne raison de penser que les enfants peuvent philosopher, nous tenons une partie de la méthode à utiliser pour philosopher, notamment avec les enfants. Il nous faudra confronter l'usage des mots dans des situations variées. Faire jouer le langage ou encore repérer quand il y a du jeu dans les mots (dans le sens qu'une porte peut jouer). Les philosophes eux-mêmes se prennent aux mots trop souvent ou plutôt ils se prennent les pieds dans les mots comme l'on se prend les pieds dans le tapis. Ils sont happés par le langage quotidien sans toujours vraiment percevoir que le problème se trouve dans la confusion des termes. Les philosophes peuvent aussi entretenir cette confusion par leur travail des concepts ; ils peuvent susciter la confusion par la création de concepts en usant ou abusant des jeux de mots ou de l'étymologie (en quoi l'allemand donne t'il accès à la vérité ?). Il a juste ce qu'il faut - il a fait un partage juste sont deux énoncés où nous ne faisons pas le même usage du mot juste. Simple polysémie ? Pour exclure cette hypothèse, il faut regarder l'autre aspect des nouvelles pensées de Wittgenstein.

Wittgenstein n'a jamais varié d'objectif, d'ambition philosophique depuis le Tractatus : débarrasser la philosophie de toutes les confusions fondamentales dont elle est remplie. Cependant, entre sa « première » et sa « seconde » philosophie, il ne croit plus que seule la logique (formelle) viendra à bout des problèmes des philosophes. Cette grave erreur, lui saute aux yeux lorsqu'il s'aperçoit que des enfants « utilisent » les mêmes nœuds de pensée que les philosophes et sans que cela ne pose problème. Les enfants n'utilisent pas d'autres mots que ceux qu'ils entendent. Un mot et usage de ce mot est lié à un contexte qui est aussi culturel et social où le langage exprime une « forme de vie ». Les exemples abondent dans la littérature des anthropologues où un mot « découpe » la réalité selon une autre modalité qui pourrait être la notre avec nos propres mots. Ainsi, les mots que nous utilisons portent en eux des visions particulières du monde, visions qui ont été formées au fil des siècles par l'usage quotidien des mots mais aussi par leur reprise plus ou moins savantes et travaillées. Les scientifiques, les philosophes, les curés et les journalistes façonnent les mots, modifient leurs usages, accentuent certains traits et en laissent d'autres de côté. Ne vivant pas dans un autre monde que le leur, les enfants font bien évidemment un usage culturel des mots et ils portent donc, lorsqu'ils utilisent tel ou tel autre mot, des siècles de culture. Travailler ces mots, notamment par l'usage des « Grands Textes » qui les ont façonnés, mais aussi en les faisant jouer comme je l'indiquai plus haut (c'est-à-dire en philosophant), est une manière de retrouver des pensées plus élaborées, plus construites que celles que nous exprimons lorsque nous parlons « sans y penser ».

Après avoir défini avec les enfants une typologie des autorités suite à la question « qu'est-ce que c'est qu'être un chef ? » (on n'est pas de la même manière le maître d'élèves, de chiens, d'esclaves ou d'armes), nous nous étions interrogé sur une autre question « Comment être chef de soi ? ». Nous avions déjà évoqué les lois comme forme d'autorité possible. Au fil du travail, une élève n'a rien trouvé de mieux que de dire que pour être chef de soi, le mieux était que, puisque les lois nous commandent, si tout le monde fait une loi, cette loi reste « ma » loi et celle de tous. On est alors chef de soi. Rousseau expliqué par les enfants.

Mais l'on ne peut pas bien comprendre pourquoi, un enfant peut exprimer les idées du passé, voire des idées de philosophes, si l'on ne considère pas une ancienne pensée de Wittgenstein. On ne pense pas illogiquement. Si la phrase n'est pas une mixture de mots où chacun à sa place et cette place ordonne notre pensée (ou ordonne à notre pensée un sens) et que la réalité est telle qu'elle est, c'est-à-dire qu'elle est façonnée selon un ordre « logique » qui fait que chaque chose existe et est à sa place, alors on ne peut pas penser n'importe quoi à n'importe quel moment. D'une idée, nous ne pouvons pas en déduire n'importe quoi. Il y a un certain nombre de possibilités limitées. Se déplacer parmi ces possibilités peut être plus ou moins facile mais on ne peut pas déduire n'importe quoi d'un concept. On peut dire beaucoup de choses de la liberté ; on peut en dire des contradictoires même ; mais on ne pourra pas dire n'importe quoi. L'usage d'un mot ouvre un champ de possibles à partir duquel l'on se met à penser. Ainsi, la question du choix et de la liberté entretiendront certaines relations qui impliquent certaines réponses comme celle qui a été faite par mon élève : choisir ses propres règles, c'est être libre, la liberté résidant dans le choix (tautologie heureuse).

Si on ne peut penser n'importe quoi à partir des mots, si ces mots sont façonnés par la culture et la pensée des anciens eux-mêmes, si ces mots sont appris selon des usages en contexte alors on ne peut refuser aux enfants la possibilité de philosopher.

Quelques remarques pour conclure. On pourrait me rétorquer que les enfants, assez jeunes ne sont pas en âge de raison et qu'ils ne peuvent pas faire des raisonnements. Outre que l'on puisse voir la capacité de faire des raisonnements lorsqu'ils font des mathématiques dès la maternelle, on considérera la chose suivante. Je crois qu'avec le mot « raison » nous avons à faire un nœud philosophique et que ce nœud vient d'un déplacement malheureux. On s'est pris les pieds dans les mots. Faire un raisonnement en géométrie où les propriétés découlent les unes des autres ou en mathématiques, cela à un sens. Faire un raisonnement à partir de mots dont l'usage prouve qu'ils n'ont pas de « propriété » précise semble tout indiqué que l'on emploi le mot raisonnement en philosophie, en politique, en histoire...uniquement de manière métaphorique. Je ne vais pas en apporter la preuve ici mais c'est une remarque qu'il me semble utile de considérer. Elle rejoint le parcours de Wittgenstein : la logique et la raison (du Tractatus) ne peuvent parvenir à bout de problèmes philosophiques. Il faut utiliser une autre méthode (celle des Investigations). De là aussi, on comprendra une nouvelle manière d'utiliser l'exemple en philosophie. En effet, à une question philosophique, les enfants répondent souvent par des exemples. Une preuve d'immaturité ? Mais comment comprendre qu'un enfant puisse donner le bon exemple à une question, s'il n'a pas saisi ce qu'il y a de proprement philosophique dans la question ? La différence majeure entre l'adulte et l'enfant n'est donc pas la capacité ou non d'accéder à une idée philosophique mais plutôt dans la manière de l'exprimer : par des propositions « abstraites » ou des propositions « concrètes ». Avant d'accéder à l'abstraction, un enfant passe par le corps, l'acte et l'image pour en abstraire la réalité. C'est un processus d'apprentissage que l'on observe tous les jours dans une classe. C'est ce que Wittgenstein a remarqué dans sa classe. C'est ainsi qu'il considère la réponse à la question « comment peut-on suivre une règle ? ». C'est ainsi qu'il faut considérer comment on peut faire de la philosophie avec des enfants : les « raisonnements » philosophiques doivent porter la marque d'un travail sur l'usage des mots et sur l'usage d'exemples qui simulent des actes. C'est le travail d'un enfant qui engage son corps dans la pensée.

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