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Billet de blog 12 avril 2015

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Dans les quatre ans de saccage frénétique de l'Irak, les alliés sont devenus les vandales" (Simon Jenkins, The Guardian, 2007)

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8.06.07 - La collusion d'Américains et Britanniques dans le saccage du patrimoine culturel irakien est un scandale qui survivra à tous les conflits.

The Guardian

par Simon Jenkins 

Si on vole vers la base américaine de Tallil, juste à l'extérieur de Nassiriya, dans le centre de l'Irak, la route passe au-dessus de la grande zigourrath de Ur, considérée comme la plus ancienne ville de la terre. Vue de la base, à travers le brouillard du désert ou dans la mélancolie sableuse du crépuscule, la structure se confond avec les formes indistinctes de dépôts de carburant, magasins et hangars.

Ur est en lieu sûr, à l'intérieur du complexe de la base, mais ses murailles ont été marquées par les trous laissés par les grenades, tandis que sur un site archéologique adjacent on est en train de construire une case-matte. Lorsque, récemment, Abbas al Hussaini, qui en théorie devrait être le directeur de l'institut indépendant pour le patrimoine artistique et archéologique de l'Irak, a essayé de faire une inspection du site, les Américains lui ont refusé l'accès à celui qui est son monument le plus important.

Hier Hussaini a parlé au British Museum des batailles qu'il est en train de faire pour protéger son travail dans une situation d'anarchie. C'était une présentation déchirante.

Sous Saddam, on risquait la torture et la fusillade si on laissait que quelqu'un vole des repères, dans l'Irak d'aujourd'hui on risque cela à ne pas le faire. Si nous pensons au sort tragique du Musée National de Baghdad, en avril 2003, c'est comme si les troupes fédérales eussent envahi New York, destitué la police, et dit à la communauté criminelle de disposer du Metropolitain Museum à leur gré. Au commandant des troupes cuirassées locales il fut expressément ordonné de ne pas protéger le musée pour toute la durée des deux semaines successives à l'invasion. Même les nazis protégèrent le Louvre.

Lorsque, six mois plus tard, j'avais visité le musée, le directeur d'alors, Donny George, m'avait montré avec orgueil de quelle manière il avait réussi à faire face à une situation si difficile tant bien que mal. Il était en train de réouvrir, bien que la moitié des repères les plus importants eut été volée. Le lobby favorable à la guerre avait arrêté de faire comme si les Américains n'eussent rien à voir avec le saccage. Les Américains, avec un grand embarras et sous la direction du dynamique colonel Usa Michael Bogdano (qui a écrit par la suite un livre sur l'argument) étaient maintenant en train d'aider à la récupération des objets volés. L'Italien Mario Bondoli-Osio, un énergique envoyé culturel de la coalition, contribuait généreusement à la restauration.

Le merveilleux Vase de Warka, sculpté en 3000 av. J.-C., fut récupéré, bien que réduit en 14 morceaux. La raffinée Harpe de Ur, l'instrument musical le plus vieux du monde, fut retrouvée gravement endommagée.

A Sadr City, on employa avec quelques succès le stratagème de faire adresser par des religieux une invitation aux femmes afin qu'elles refusassent les maris jusqu'à quand les objets volés n'eussent été restitués.

Malheureusement on n'a rien pu faire pour la Bibliothèque Nationale, engloutie par les flammes, et pour la perte des archives contenant cinq siècles d'histoire ottomane (et quelques oeuvres de Picasso et Miro). Mais au moins il semblait que le message pour conquérir les coeurs et les esprits fusse passé. 

Aujourd'hui le scénario est complètement différent. Donny George a été contraint à la fuite en août dernier, suite aux menaces de mort reçues. Le Musée National n'est plus ouvert. Mais il n'est pas simplement fermé : les portes ont été emmurées, il est entouré de murs en béton, et les repères sont protégés par des sacs de sable.

Même pas le personnel ne peut entrer. Il n'y a aucune perspective qu'il soit ré-ouvert.

Hussaini a confirmé un rapport fait il y a deux ans par John Curtis, du British Museum, sur la transformation de Babylone, la grande ville de Nabucodonosor, dans les jardins suspendus de la Halliburton, de la part des Etats Unis. Ceci s'est traduit en un campement de 150 hectares pour 2000 soldats.

Dans l'opération, la chaussée en briques qui va vers la Porte de Ishtar, qui remontait à il y a 2500 ans, a été réduite en morceaux par les chars armés, et la Porte même endommagée. Le sous-sol riche d'antiquités a été creusé avec les bulldozers pour remplir les sacs de sable, pendant que de larges aires ont été recouvertes de gravier pressé pour les transformer en héliports et parkings. Babylone est en train de devenir archéologiquement stérile.

Entretemps, dans la cour du caravane-sérail de Khan al-Raba, remontant au Xe siècle, les Américains faisaient exploser les armes séquestrées aux insurgés. Une des explosions a détruit les toits anciens et fait s'effondrer plusieurs murs. Le site est désormais une ruine.

Hors de la capitale, environ 10.000 sites d'incomparable importance pour l'histoire de la civilisation occidentale, dont à peine 20% a été creusé, sont saccagés avec la même systématicité avec laquelle a été saccagé le musée en 2003. Lorsque George essaya de récupérer des délicates structures en bois de l'antique ville de Umma, pour les emporter à Baghdad, il trouva déjà sur place des bandes de saccageurs équipés de bulldozer, autocars et AK47.

Hussain a montré l'un après l'autre les sites désormais perdus pour l'archéologie dans ces quatre années de "frénésie saccageuse". Les restes des villes de Isin et Shurnpak, remontant à 2000 av. J.-C., semblent avoir désormais disparu : dans les photos, à leur place il y a un désert de trous et fossés creusés par une armée d'environ 300 saccageurs.

Châteaux, zigourrath, villes abandonnées, anciens minarets, et mosquées ont disparu, ou sont en train de disparaître. Les 11 équipes de Hussaine qui balisent le Pays dans la tentative de récupération, la plupart des fois ne font rien d'autre que recueillir les détritus laissés par les saccageurs. L'équipe réduite des gardes n'est pas en mesure de contrer les bandes armées jusqu'aux dents, qui en quelques jours parviennent à transférer les repères à des marchands américains et européens impatients.

Mais la chose de plus mauvais augure est un message qui serait parvenu depuis les bureaux de Muktada al-Sadr, celui de respecter les antiquités musulmanes, tandis que celles relatives aux périodes précédentes pouvaient être laissées au premier venu. Comme l'a dit George avant de fuir, ses successeurs pourraient être "intéressés seulement aux sites islamiques et pas au patrimoine irakien précédent". Même si Hussein s'occupe clairement de toute l'histoire de l'Iraq, est encore présente à l'esprit de tous la destruction des Bouddha de Bamyan pré-islamiques de la part des talibans en Afghanistan.

Nonobstant celle qui semble être la préférence de Sadr, les milices confessionnelles sont en train de mener une orgie de destruction des sites musulmans.

Mis à part les attentats spectaculaires contre quelques unes des plus belles mosquées du monde arabe qui auront survécu jusqu'à maintenant, des groupe radicaux contraires à tout type de sanctuaire ont commencé à faire sauter en l'air des structures du Xe et du XIe siècles, indépendamment du fait qu'elles soient sunnites ou chiites. On aura ainsi perdu dix-huit anciens sanctuaires dont 10 à Kirkouk et dans le sud seulement dans le dernier mois.

Le grand monument et le souk de Kifel, au nord de Najaf, où on pense qu'il y ait le tombeau d'Ezéquiel, qui autrefois était surveillé par des Juifs irakiens (dont la plupart contraints à l'exil par l'occupation), ont été presque complètement détruits.

Il est désormais absolument évident que Américains et Britanniques ne sont pas en train de protéger les lieux historiques de l'Irak. Tous les archéologues étrangers ont été contraints de s'en aller. Les soldats ne font rien pour empêcher le "recueil" des antiquités connues. Ceci est en contraste évident avec la Convention de Genève, qui établit qu'une armée d'occupation devrait "utiliser tous les moyens en son pouvoir" pour protéger le patrimoine culturel du Pays vaincu.

Peu après l'invasion, le ministre britannique Tessa Jowell s'était gagnée des éloges pour avoir "promis" 5 millions de livres sterling pour la protection des antiquités irakiennes. Je ne parviens à trouver personne en mesure de me dire où; comment, ou si cet argent a été dépensé. Il semble qu'il se soit agi seulement d'une déclaration pour la forme. Les seuls à tenir haut le drapeau ont été le British Museum et la British School of Archeology in Iraq. Cette dernière a vu récemment réduire ses subventions, probablement à cause des dépenses pour la grande bouffe des Jeux Olympiques.

Jusqu'au moment où les Etats Unis et la Grande Bretagne continueront-ils à nier l'anarchie qu'ils ont crée en Iraq, naturellement ils se sentiront en leur devoir d'en nier même les effets collatéraux dévastants.

Les deux millions de réfugiés actuellement campés en Jordanie et Syrie sont ignorés, vu qu'on soutient que la vie en Irak est maintenant "meilleure qu'avant". De manière analogue, le grand nombre d'irakiens menacés de mort parce qu'ils travaillent pour les Britanniques se sont vus refuser l'asile. L'accorder aurait signifié pour l'obstiné John Reid, ex secrétaire à la Défense et maintenant à l'Intérieur, admettre d'avoir eu tort. Il laissera qu'ils meurent plutôt.

Bien que je fusse contre l'invasion, je pensais qu'à la fin, il en serait sorti une ambiance plus civile. Au lieu de cela, le massacre d'Irakiens continue par absence d'ordre. L'autorité n'existe plus. Le fait que le berceau de la civilisation occidentale se trouve à être dans un Pays si enténébré comme l'Irak pourrait paraître un coup de malchance.

Mais seulement maintenant à ce berceau est nié toute protection, au mépris du droit international.

Si celle-ci est la "guerre des valeurs" de Tony Blair, alors la langue a perdu toute signification. La collusion britannique dans tant de destruction est un scandale qui survivra à tous les conflits passagers. Et nous avons eu l'impudence de définir les Talibans des vandales. 

Simon Jenkins est journaliste et auteur. Il écrit pour le Guardian ainsi que pour la BBC. Il a travaillé au Times et le London Evening Standard et présidé le National Trust. Son dernier livre est "England's Hundred Best Views".

source de l'article :

http://www.theguardian.com/commentisfree/2007/jun/08/comment.iraq

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