Je suis une jeune 'ex' enseignante, j'ai donné mon dernier cours au mois de juin, j'ai quarante ans et, dans mon lycée, nous sommes quatre à démissionner, du même âge et de la même expérience. Pour terminer sur mon expérience, je précise que je n'ai jamais travaillé dans les jolis lycées de centre-ville : pour moitié dans un collège de Zep, pour moitié dans un lycée polyvalent, avec séries générales, technologiques et BTS en plus.
Je viens de lire un billet qui s'étonne du fait que les enfants français n'aiment pas l'école. Tous les chiffres et comparaisons sont là, je pense que ce billet s'appuie sur des faits difficiles à réfuter, et ce n'est pas mon idée ici.
Par contre, qu'on s'étonne que les enfants n'aiment pas l'école me paraît étonnant, justement. C'est une évidence absolue: tout n'est-il pas fait pour que les enfants se sentent mal à l'école?
Malheureusement, quand vient le sujet, on pointera des choses qui n'existent plus pour expliquer ce désamour contemporain. On parlera des professeurs, qui s'obstineraient dans des comportements archaïques, humiliants ( mais ils sont de bonne foi, ils ne se rendent pas compte ), contre-productifs etc. On évoquera la supériorité absolue du français et des mathématiques sur toutes les autres matières. Le français et les mathématiques ne sont plus des matières primoridales depuis des années : cela n'empêche aucun passage, ni en S ni en L.
Vous pouvez être élève de T S ( ex C /D ) et peiner gravement à obtenir un 5 ou un 6 de moyenne en math. Vous pouvez être élève de L sans jamais lire un livre, sans jamais faire d'effort d'écriture ( je ne parle ni de syntaxe, ni d'orthographe, à sanction abandonnée depuis des lustres). Ceci est en place depuis au moins 15 ans. Ceci ne vous empêche pas plus d'obtenir votre baccalauréat.
Parlons donc de l'école qui existe en ce moment :
Sur une classe de 34-35 élèves ( c'est la norme basse au lycée - dans mon lycée ), il y en a toujours au moins 10 qui m'étonnent parce qu'ils ne hurlent pas, parce qu'ils sont là et restent sages quand même.
Le pire étant au collège. On rejette la faute sur les profs obsédés d'évaluation. Elle n'est pas drôle cette remarque. Elle est même infamante pour les enseignants, mais qu'y faire ? C'est devenu la règle du jeu.
Ce que j'ai vu, en plus de 15 ans, dans mes classes, avec de vrais élèves et pas des idées d'élèves, ce sont des enfants, plus ou moins vieux, mis dans un contexte insupportable.
Comment voulez-vous être heureux et fier de vous quand, dans une classe, vous faites partie de ceux qui n'y arrivent pas, alors que dans le même temps, vous entendez les autres réussir, comprendre, questionner, participer ? Les classes hétérogènes c'est très joli sur le papier. C'est une horreur dans la réalité. Ca donne des coups, des insultes, des intellos qui jouent aux racailles, des racailles qui surjouent, du racket aux devoirs, des sentiments de mal-être au minimum.
Tout le monde est malheureux dans l'histoire : ceux qui ont besoin d'aide et qui se feraient couper le bras plutôt que d'avouer devant les autres qu'ils en ont besoin; ceux qui ont l'impression que ça traîne, et que ça n'avance pas, et qu'on perd du temps; ceux qui sont timides et qui n'osent pas ouvrir le bec, et n'avouent cela qu'en privé, en tête à tête avec le 'prof'.
Mais - il faut un mais : ce sont les classes rêvées des conseils de classe : celles où parle des éléments moteurs ( et celles qu'on regrette quand on n'a pas d'éléments moteurs ) - dans la réalité, ces éléments moteurs sont ceux avec qui s'engage le dialogue avec l'enseignant, et qui encourageraient les autres à se dire que 'ce' n'est pas inaccessible. Il est exact que ces classes à moteurs, à partir du moment où on n'entend pas les problèmes entre élèves sont assez agréables pour un enseignant, et demandent moins d'investissement ( difficile de prendre une classe de niveau très faible )
Un exemple ? j'ai eu la chance - en fait oui - d'avoir peur des années durant avec les classes dites de troisième d'insertion ( supprimées depuis, évidemment ). Ces élèves étaient si violents qu'ils n'avaient pas les mêmes horaires que les autres - pour vous situer. Le recrutement de ces classes se faisait par le biais du chef d'établissement, elles étaient particulièrement diversifiées donc. Nous étions en Zep, c'était une vraie Zep, avec de vrais problèmes. Donc des élèves vraiment violents. Passons. J'avais peur parce que j'étais l'image de l'Ennemi. Et il me fallait commencer par désamorcer cela, avant de pouvoir avancer avec eux.
Ces élèves n'ont travaillé que lorsque j'ai fait mettre des rideaux aux fenêtres qui donnaient sur le couloir, de façon à ce que personne ne sache qu'ils avaient accepté de travailler. Il m'a fallu le temps de comprendre ce bête détail. Avant, ils 'jouaient' pour les autres, ceux qui traînaient dans le couloir.
Ils avaient entre 15 et 16 ans, certains ne savaient pas lire du tout, certains ne voulaient pas, certains avaient passé trop de temps avec la police et la justice, certains venaient juste d'être scolarisés, certains étaient dépressifs etc etc. Mais tous refusaient une chose : qu'on se rende compte de ce qu'ils ne savaient pas - ce qu'ils appellent : être nuls. Or cette nullité, pour eux, était une évidence - parce qu'à 15 ans ils en savaient moins que les gamins de 6° et qu'ils ne sont pas idiots au point de ne pas s'en rendre compte, bien au contraire. Et les premiers à claquer dans le mur le petit gamin tout mignon qui sort du CDI avec son livre qu'il aime bien, c'étaient eux.
Pour qui est-ce 'bien' qu'ils soient ensemble ? Pour les enfants, les adolescents, je me permets d'avoir un doute.
C'est vrai, il est plus facile de critiquer les enseignants que d'aller dans une classe, dans des couloirs ou dans les cours. Mais ceci fait, que se passe-t-il ? Une énième réforme ?
On critique l'évaluation. Mais l'évaluation est bouclée durant la première semaine de septembre. Avant tout devoir, toute note. C'est une évaluation entre élèves. Mais cela, il faut être le prof pour le voir, pour le savoir, parce que le prof voit toute la classe, voit tous les visages, voit ceux qui se ferment, ceux qui s'absentent, ceux qui rayonnent, ceux qui dominent, voit le placement des élèves ( il paraît qu'il ne faut pas les placer - ça donne un placement par auto-évaluation de son niveau : ce code est assez simple pour que tous comprennent. )
Les notes ne changent rien, ne créent rien. Toute situation de cours où vous sollicitez la classe conduit à une évaluation des uns par les autres. Quand la classe est à peu près homogène, on s'en sort ( le prof et les élèves sont dans la même barque, vous savez - ce métier ne se fait ni pour l'argent ni pour la sécurité, nous n'avons ni l'un ni l'autre, même si on n'a pas terriblement le droit de le dire, de déposer des plaintes ni rien du tout - ceci est une parenthèse ... ): en troisième d'insertion, en classe de niveau de fait par le jeu des options lourdes, en classe européenne, en BTS, dès que les élèves sont peu ou prou à niveau entre eux, on peut travailler avec eux sans que s'installent des conflits de ce type entre eux.
Dans tous les autres cas, le choix est simple : soit on continue le jeu du cours interactif et c'est un jeu de massacres entre élèves : ce n'est pas une métaphore, les violences physiques entre eux, hors les cours, hors le collège le plus souvent, sont réelles. Soit vous jouez au cours à l'ancienne, et là, vous sombrez, parce que ce sera trop difficile pour 10, trop facile pour 10 - il n'en reste que 10 pour être à peu près contents.
Dans le meilleur des cas, vous avez une classe 'relativement' hétérogène.... où le principe qui motive d'imposer cela partout devient efficace. Mais malheureusement, c'est le 'meilleur des cas', soit un cas assez rare.
La situation ne peut pas s'arranger, parce que je n'ai jamais vu un élève imbécile. J'ai eu un élève de 6° qui lisait avec la plus grande difficulté et qui refusait d'écrire, qui m'expliquait qu'il n'avait pas besoin de travailler parce qu'il avait déjà redoublé, or on ne redouble qu'une fois. C'est un très bon raisonnement, de son point de vue.
C'est facile d'expliquer à un élève de 6° qu'il joue son avenir, surtout quand on a oublié ce que c'est que d'être un enfant. C'est moins facile quand il faut le convaincre de travailler quand même alors qu'il ne voit pas pourquoi il le ferait.
J'ai entendu des élèves commenter leurs cours et leurs professeurs. La critique la plus grave, c'est : 'on ne travaille pas'. Après : 'il/elle est nul/lle.' Ensuite : " C'est le bordel dans la classe " : est-ce si difficile de traduire ? de comprendre que les élèves attendent d'aller en cours pour apprendre des choses, pour 'travailler' comme ils le disent.
Le scandale le plus grave, c'est de les abandonner là, tous, sans souci de qui ils sont, de ce qu'ils savent, avec des idées gentilles et catastrophiques et de les obliger à tous avoir un baccalauréat.
La destruction des filières professionnelles, des BTS maintenant, conduit à des situations d'une cruauté insupportable. Qui ici, dans ceux qui me liront, aurait supporté d'être à des années-lumière de différence avec des jeunes gens de son âge ?
Or c'est cela qu'on impose aux élèves en France. Cela crée de la violence et tous les surveillants du monde n'y changeront rien. Cela crée de la rancune envers l'institution et tous les beaux sentiments n'y changeront rien non plus. Cela crée une 'haine de l'intello', parce qu'il faut encore expliquer au fils du bûcheron que le métier de son père ... non, n'est-ce pas.... avoir le bac c'est mieux.
Et je passe sur les programmes - sur la durée, ennui absolu, sentiment absolu de nullité, parce que, du primaire au lycée on reprend les mêmes choses ( les mêmes titres) , et c'est insupportable ( qui n'a pas entendu :" Encore ? mais on le fait depuis qu'on est petits ! - Oui, mais c'est le programme, regardez vos livres. Et nous allons approfondir")
Je suis d'accord pour que français et maths ne soient pas incontournables - mais s'exprimer en français, lire le français, compter à peu près bien, avoir des notions de géométrie, c'est indispensable pour aborder d'autres matières. On ne comprend rien au cours d'Histoire, au cours d'Anglais, d'Allemand, d'Espagnol, quand on ne comprend pas bien le français (- je ne parle des enfants d'origine étrangère ! ) -etc.
Tout ceci pour dire que oui, l'école est insupportable.
A cause de la structure des classes.
A cause de l'uniformisation absolue des études ( la réforme du lycée ne va faire qu'aggraver le processus, en mettant ensemble, jusqu'au bout, des élèves qui ont des centres d'intérêt différents )
A cause du refus de l'institution d'évaluer les savoirs ( contrairement à la vulgate en cours, j'en suis désolée : les évaluations sont devenues des leurres pour obsédés de stats - consultez les grilles d'évaluation du brevet, du bac, vous comprendrez ).
A cause - pardon si je semble vous mettre en cause pour certains, je ne doute de la bonne foi de personne - du refus de donner l'autorité sur ses enfants à des "enseignants" , dont on dira partout qu'ils sont soit trop stricts, soit trop vieux, soit laxistes, soit gauchistes, soit trop ci, soit trop ça, paresseux avec leurs 18 heures, toujours en vacances, étonnés par le niveau de leurs élèves, remis en cause par internet, bref toute la série des discours qui détruisent ce métier.
Quand je travaillais en Zep, je savais qui dans mes élèves avait un couteau, qui avait du shit, qui les deux, le CPE le savait aussi, les surveillants, les autres élèves et ... nous n'avions rien droit de faire, on ne fouille pas un élève, on respecte son cartable, ses poches, sa vie privée. Ok. Il y a eu de nombreux blessés dans ce collège. Il y a eu un cocktail molotov dans la cour. Preuve qu'ils suivent en physique.... et nous ne pouvons rien faire, parce que depuis des années nous sommes les méchants adultes suspects de tout.
Alors tant pis. Les enfants n'aiment pas l'école, c'est assez normal.
Quant à ce qu'il faudrait faire ?
- permettre à tous d'avoir les fondamentaux, comme on dit de nos jours, et cela à leur rythme. N'est-ce pas idiot d'attendre que tous les enfants, de 2 à 18 ans apprennent tous tout au même moment, alors que tous les travaux montrent que les rythmes d'apprentissage sont différents ?
Si on pouvait sortir du système classe=âge, on aurait déjà fait un grand pas.
- arrêter de croire qu'un bon va aider un faible, parce qu'il est bon et que le faible sera content > ces relations sont avant tout personnelles, les élèves s'aident entre eux en fonction de leurs affinités personnelles et pas en fonction de leurs niveaux.
- arrêter de croire qu'un enseignant peut avoir en charge au moins 130 élèves et réussir à personnaliser son enseignement.
- arrêter de se noyer dans des mythes ( les notes, l'autorité, la sanction, le redoublement ) pour trouver les sens : les notes sont la marque d'une réussite à un moment donné et rien de plus, l'autorité permet juste de gérer 35 élèves en même temps et ne s'acquiert que lorsque les élèves ont confiance en leur enseignant, la sanction est plus le révélateur de l'assurance du professeur vis à vis de ses classes qu'un moyen éducatif, et le redoublement a une très grande valeur lorsqu'il est souhaité par l'élève - au passage, il devient très difficile de redoubler, maintenant cela se mérite, j'ai en mémoire un conseil de classe fabuleux où notre principal nous expliqua la 'logique des flux tendus' appliquée à l'éducation nationale -> en gros, on gère les élèves comme d'autres gèrent des stocks, et ils sont supposés passer ( avoir leur sort réglé tout au moins dès le mois de janvier, pour qu'on puisse en février établir les dotations horaires de l'établissement = nombre de professeurs, heures d'enseignement par matière, estimation des effectifs ).
- accepter de discuter, tous, de ce qui doit être enseigné - et trouver un discours qui permettra d'expliquer à tout le monde pourquoi les enseignements professionnels ou techniques doivent être éliminés. C'est facile à dire quand on n'est pas dans le milieu des artisans, des ouvriers - très difficile à maintenir face à des gens qui estiment leurs métiers. Je trouve un peu léger d'abandonner la tâche aux enseignants, de venir les critiquer après, et leur laisser toute la charge de ceux qui viennent dire ensuite que les profs sont dans leur bulle et ne connaissent pas la vraie vie !
- revenir sur un vrai pacte qui n'existe plus entre l'école et la société. Il y a quiproquo qui va s'aggravant entre les deux, et je pense qu'il devient urgent de traiter vraiment le problème ( parce qu'en attendant, ceux qui en pâtissent d'abord, ce sont les élèves, les plus jeunes d'entre nous ) : savoir d'un côté que l'école a un coût, qu'il est très élevé et que la majeure partie d'entre nous ne pourrait pas le payer sans système de répartition ( + 7000 euros par an par enfant, 10 000 en filière professionnelle ): détruire ce système revient à détruire l'éducation pour tous, mais vraiment et ce n'est pas l'enseignement privé classique qui compensera cette destruction, étant donné qu'il est, actuellement, pris en charge par l'Etat ; savoir de l'autre que l'école crée des attentes et en tenir compte : les demandes des parents chez Acadomia et autres se résument en général à : orthographe/calcul. Ne peut-on l'entendre ?