Au lendemain des championnats du monde d’athlétisme, nous pouvons nous réjouir du spectacle qui a été assuré par les meilleurs athlètes mondiaux tout au long de la semaine. Cependant, les accusations de dopage révélées par la chaîne ARD au début du mois d’août (qui étaient venues alimenter les rumeurs de dopage planant entre autre sur les athlètes jamaïcains et kenyans[1]) étaient présentes dans tous les esprits. Ces accusations bouleversent actuellement l’athlétisme comme elles le font régulièrement dans d’autres disciplines sportives – principalement dans le cyclisme et la natation qui a vu des soupçons de dopage sur des athlètes étrangers et français se multiplier à l’occasion des championnats du monde à Kazan[2]– et nous obligent à réfléchir sur la nature et les valeurs du sport que nous souhaitons développer. En effet, le dopage remet en cause une certaine éthique du sport et en brouille les bases qui reposent sur une compétition entre athlètes aux qualités naturelles hors normes accumulant les heures de travail dans le but de les exploiter.
Il est aujourd’hui temps de savoir si c’est un sport de cette nature que nous souhaitons voir évoluer. Si oui, les mesures de lutte contre le dopage doivent être à la hauteur du défi posé. Si non, supprimons toute forme de lutte contre le dopage.
Les valeurs fondamentales qui ont fondé l’éthique sportive
Afin de déterminer en quoi le dopage remet en cause la conception du sport qui a prévalu depuis la naissance du sport moderne, il est important de rappeler les valeurs fondamentales qui ont fondé l’éthique sportive. Claude-Louis Gallien[3] en identifie quatre: le jeu, la règle, l’exemplarité et le risque. Le jeu est considéré comme un outil clé de formation et d’éducation. La règle est librement acceptée et respectée par les sportifs afin de permettre le bon déroulement du jeu. L’exemplarité correspond à une justification de la règle par l’intérêt public. Enfin, le sport permet d’apprendre à anticiper le risque, de le mesurer et de l’utiliser comme valeur positive et enrichissante dans la vie quotidienne. Dans la mesure où l’éthique n’est pas une notion figée mais évolutive, nous devons nous interroger sur notre volonté de conférer au dopage un caractère éthique et de voir les valeurs fondamentales du sport reléguées au second plan. Pour cela, il est indispensable de nous pencher sur les raisons qui ont mené le dopage à se répandre – même si nous ne connaissons pas son ampleur réelle – et si ces raisons justifient la légalisation du dopage.
Les enjeux économiques croissants et le désir démesuré de victoire : deux tendances qui poussent au dopage
La première raison qui explique la diffusion du dopage réside dans les enjeux économiques du sport. Le spectacle sportif est une source croissante de revenus pour les sportifs, les sponsors et les médias. Les sommes engagées peuvent pousser certains sportifs à basculer dans le dopage afin d’atteindre ou se maintenir à un certain niveau sportif. Les sponsors et les fédérations poussent parfois indirectement les sportifs au dopage comme l’explique l’athlète Ronald Kipchumba Rutto (contrôlé positif à l’EPO en 2012): « De 2004 à 2009, j’étais au top mondial. A Francfort, en 2010, j’ai couru le marathon en 2 heures et 9 minutes. Quand vous atteignez ce palier, en dessous de 2 h 10, l’argent rentre, les sponsors mettent la pression, et la fédération aussi[4]. En même temps ce qui assure la vente du spectacle sportif est le label éthique que le spectateur accorde au sport et il n’est pas sûr que ce dernier accorde autant d’importance aux valeurs fondamentales du sport qu’au profit.
La deuxième raison qui explique le développement du dopage est ce qu’Albert Jacquard nomme « la dictature de la compétition ». Cette notion implique que l’importance qu’attachent beaucoup de sportifs à la victoire a pris le dessus sur la performance en elle-même, sur le risque et les efforts consentis pour l’atteindre. Ainsi, c’est le désir de victoire à tout prix qui pousse le sportif à violer les règles interdisant le recours à des substances dopantes, à ne plus respecter son adversaire et à mettre en danger sa santé. Teddy Tamgho, champion du monde du triple saut reprend cette idée et déclare qu’«à partir du moment où il y a de la compétition, il y a de l’orgueil, et il y aura du dopage car certains n’accepteront pas d’être fair-play »[5]. D’une part, ce non respect de la règle et donc de l’adversaire et du spectateur remet en cause l’exemplarité du sportif de haut niveau. D’autre part, il nuit au sport en tant que source d’émotions pour un spectateur qui finit par toujours douter de l’irréprochabilité des sportifs.
Ne légalisons pas le dopage, protégeons le sport et les sportifs
Si nous tenons toujours aux valeurs fondamentales qui ont fondé l’éthique sportive et si nous sommes conscients des dérives dans lesquelles tombent le sport aujourd’hui, nous ne pouvons pas accepter une légalisation du dopage. On ne peut pas non plus se contenter des mesures antidopage actuelles qui laissent passer entre les mailles du filet des athlètes dopés et dont l’inefficacité incite à « l’utilisation de plus en plus récurrente de « preuves » indirects [qui] pourrait un jour compromettre sérieusement la lutte antidopage » [6]. Deux réformes des mesures antidopage sont souvent prônées : une augmentation de la surveillance et de la répression. La première pose le problème du niveau de respect de la vie privée que nous souhaitons accorder aux sportifs. La deuxième nous ramène à la capacité de détecter le dopage alors que les techniques de dissimulation ont toujours un train d’avance sur les techniques de détection et donc aussi de prouver avec certitude le dopage de sportifs qui ne bénéficient pas de la présomption d’innocence. La solution réside alors dans la prévention basée sur la responsabilisation, la protection de la santé et le rappel des valeurs fondamentales de l’éthique sportive pour lutter contre ses dérives.
Christelle Pottier, chargée de projets chez Sport et Citoyenneté, étudiante en Affaires Européennes, Sciences-Po, Lille
[1] « Les Bleus, pékins moyens au nid d’oiseau », blogs.lemonde.fr, [en ligne], 30 Aout 2015. Disponible sur :
http://athletisme.blog.lemonde.fr/2015/08/30/les-bleus-pekins-moyens-au-nid-doiseau/ [consulté le 1er septembre]
[2] SECKEL, H. (2015). « J6 – la notation est-elle le nouveau cyclisme ? » [en ligne], 7 Août. Disponible sur : http://natation.blog.lemonde.fr/2015/08/07/j6-la-natation-est-elle-le-nouveau-cyclisme/ [consulté le 1er septembre]
[3] GALLIEN, C.L. (2002). « Le dopage, un phénomène de société », Bulletin de l'Académie Nationale de Chirurgie Dentaire, 45(4), p.29-38
[4] MEYERFELD, B. (2015). « Dopage : le crépuscule des dieux kényans », Le monde.fr, [en ligne], 20 Août. Disponible sur : http://www.lemonde.fr/athletisme/article/2015/08/20/le-crepuscule-des-dieux-kenyans_4731740_1616661.html#TKOvU1SSxMO4L6SA.99 [consulté le 25 Août 2015]
[5] TAZE-BERNARD, T. (2015). « Teddy Tamgho : l’électron libre sur le chemin du retour », francetvsport.fr, [en ligne], 23 Août. Disponible sur : http://www.francetvsport.fr/championnats-du-monde-d-athletisme/teddy-tamgho-l-electron-libre-sur-le-chemin-du-retour-295291 [consulté le 25 Août 2015]
[6] Sport et Citoyenneté (2015). « L’affaire IAAF, la prévention et la répression du dopage », blogs.mediapart.fr, [en ligne], 6 Août 2015. Disponible sur : http://blogs.mediapart.fr/blog/sport-and-citizenship/060815/laffaire-iaaf-la-repression-et-la-prevention-du-dopage#comments [consulté le 25 Août 2015]