Depuis quelque temps déjà, le soulèvement populaire syrien attise ma curiosité. Cet « évènement » faisant tant couler de sang que d’encre ne me laisse pas indifférent.
Afin de saisir toute la complexité du conflit Syrien, attardons nous succinctement sur la géopolitique du pays.
La Syrie est au carrefour de plusieurs mondes (Anatolien, Mésopotamien, Perse, Arabe, Égyptien), elle a pour voisin le Liban, l'Irak, la Jordanie, la Turquie et Israël. Lieu de passage d'invasions et de conquêtes (la Syrie musulmane naît en 636 après la victoire des arabes sur les Byzantine à Yarmouk), ce pays fut occupé par les Turcs ottomans de 1515 jusqu'à la première guerre mondiale. Dés 1916, deux européens (français et anglais) décident de découper le Moyen Orient en 5 zones ; la France mandataire en Syrie encouragera la minorité alaouite à s’engager dans l’armée pour faire contrepoids à la majorité sunnite (Divide ut regnes).
La Syrie, indépendante dés 1946, est un territoire peuplé par une large majorité d'arabes, pour lesquels l'Islam est la religion traditionnel. On distingue les Sunnites (70% de la population), les Chiites (3%), les chrétiens (9%) et les alaouites (13%) considérés comme hérétiques tant par les chiites que les sunnites. Et c'est pourtant un homme issu de cette minorité, Hafez al-Assad, qui s'est emparé du pouvoir par la force dés 1970. A sa mort le 10 juin 2000, son fils Bachar Al-Assad, docteur en ophtalmologie, lui succède.
De nombreux facteurs sont à l'origine de la contestation populaire en Syrie ; ils ne sont pas le fait des "réseaux sociaux", dans un pays où l'accès à Internet est réduit à une minorité de personnes "branchées" et où, par ailleurs, les moyens de blocage du Net sont très développés.
Depuis 2011 le peuple syrien manifeste, réclamant plus de démocratie et de liberté. En effet, les jeunes, qui représentent la majeur partie de la population syrienne (56%) n'ont pas de travail après leurs études: 1/3 des moins de 25 ans se retrouvent au chômage, de même que l’on observe de fortes inégalités entre villes, concentrées pour la majorité en territoire sunnite et chiite.
La vision du conflit couramment diffusée par les médias est celle d’une guerre entre un régime dictatorial et le peuple. Pourtant, au regard des populations qui peuplent le pays et des divers intérêts géostratégiques et politico-économiques, on comprend que le conflit a pris une tournure ethnique, religieuse et territoriale (rappelons nous des évènements passés en Yougoslavie).
Après avoir réalisé une enquête auprès d’étudiants, on a pu remarquer que l’opinion commune est calquée sur l’orientation politique de certains médias. En effet, bon nombre d’entre eux ont le sentiment qu’une intervention militaire en Syrie serait légitime.
Bien que la disparition du régime Assad soit fortement souhaitée par une majorité, les arguments en faveur d’une intervention militaire demeurent très discutables.
Tout d’abord, il est important de comprendre en quoi les évènements syriens revêtent une importance non seulement sur l’ensemble du moyen Moyen Orient mais également à l’échelle internationale ; les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies étant impliqués, et divisés en deux parties opposées : d’une part, le front occidentale qui réclame le départ du régime Assad (volonté qui peut être perçu comme un retournement total quand on se souvient des tentatives de rapprochements avec le régime syrien, notamment françaises en 2008 lors du lancement l’Union pour la Méditerrané), d’autre part, l’association de la Chine - hostile à toutes interventions aux affaires intérieures d’un pays – et de la Russie, allié historique de la Syrie qui continue de lui vendre des armes. Ainsi, une intervention militaire risquerait d’encourager la Russie et l’Iran à soutenir de plus bel le régime actuel.
Croiser les informations (souvent différentes d’un média à un autre) et remettre en question nos prénotions sur la situation actuel est indispensable.
Cependant, s’informer sur la Syrie n’est pas aisé, car une majeure partie des informations concernant la situation proviennent d’une unique source ; « l’Observatoire syrien des droits de l'homme » (OSDH) ou « ONG » (ce qui est la même chose), élément qui peut paraître doublement surprenant compte tenu de la genèse et de l’orientation partisane de cet organisme.
« Comment rendre compte d’un soulèvement qui dure depuis dix-huit mois, alors que l’accès au terrain est périlleux ? Si la férocité du régime ne fait aucun doute, la manière dont certains médias relaient, sans les vérifier, les communiqués de tel ou tel groupe d’opposition et occultent le jeu de puissances comme l’Arabie saoudite, les Etats-Unis ou la Turquie relève plus de la propagande que de l’information » *
*Antonin Amado et Marc de Miramon, Le monde diplomatique
Au-delà de l’interrogation sur la déontologie de la presse, on peut être interpelé par cette manière de « rendre compte » : elle est en effet de nature à influencer l’opinion, voire à paralyser les autorités politiques et à les priver de toute capacité d’action réelle.
Les populations syriennes sont dans une situation dramatique, selon le HCR plus de 200000 syriens ont quitté leur pays en direction du sud de la Turquie, de la Jordanie, du Liban et de l’Irak.
Il y a donc deux camps face à face dans ce conflit, mais on oublie souvent un troisième groupe d’acteurs, l’Arabie saoudite et le Qatar qui sont les soutiens traditionnels des salafistes et wahhabites ; on peut se demander si leur objectif, en faisant chuter le régime Assad est comparable à celui des puissances occidentales. De même, la position d’Israël est ambigüe, veut il le changement ou la continuité ? Paradoxalement, les vétos russe et chinois arrangent tout le monde, surtout Londres, Paris et Washington qui n’ont aucune envie d’engager des forces militaires dans cette bataille. Ainsi, la réal-politique et le voisinage immédiat du Liban et d’Israël semblent nous contraindre à la passivité. Cependant, il faut savoir que des entreprises occidentales (comme Area SpA) fournissent des technologies sophistiquées au régime syrien pour surveiller tous les courriels échangés dans le pays. On est alors en droit de se demander pourquoi ces technologies ne sont pas soumises à l’embargo sur les armes. De même, pourquoi ne pas saisir tout de suite la cour pénale internationale pour examiner le cas de Bachar Al Assad, suspecté de crime de guerre.
De nombreuses questions demeurent sans traitement par les principaux médias.
Pour finir, citons P. Bourdieu qui s’interroge très justement dans la note introductive du livre de Serge Halami (Les nouveaux chiens de garde) sur la pratique journalistique : « pourquoi les journalistes n’auraient ils pas à répondre de leur paroles, alors qu’ils exercent un tel pouvoir sur le monde social et sur le monde même du pouvoir ? Pourquoi n’auraient ils pas à rendre compte de leurs prises de position et même de leur manière d’exercer leur métier et de conduire leur vie alors qu’il s’instaurent si volontiers en juges des autres hommes de pouvoir, et en particulier des hommes politiques ? »
Etienne Amiet
Pour télécharger le PDF de cet article : https://docs.google.com/file/d/0B4GH8uNVyc9Ga1JEWVJWNENrVW8/edit?pli=1