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Billet de blog 29 octobre 2010

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Relance du marché unique européen : une lecture critique du rapport Monti

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Par Florence Chaltiel
et Gaspard Simon

1 – LES FAILLES DU RAPPORT MONTI : EUROPE DES CITOYENS, SERVICES PUBLICS, POLITIQUES D’APPUI
1.1 - RECONSTRUIRE L’EUROPE DES CITOYENS : UNE PRIORITE…. PEU EXPLOITEE
Le rapport de Mario Monti propose une analyse originale et éclairante des difficultés que connaît actuellement le marché unique en suivant trois axes : « l ’érosion du soutien politique et social en faveur de l’intégration des marchés en Europe», issue d’une double lassitude de l’intégration et du marché, «l’attention inégale accordée à la mise en place des différentes composantes du marché unique» et le développement d’un «sentiment d’autosatisfaction». Dès lors, il convient pour Mario Monti de reconstruire un consensus politique et social autour de la relance du marché unique dans les domaines où il reste sous-développé.
Au-delà de l’analyse, quelque peu énumérative, des points faibles et des avancées du marché unique, le rapport de Mario Monti «propose donc une nouvelle stratégie destinée à préserver le marché intérieur du risque de nationalisme économique, à l’étendre à de nouveaux domaines essentiels pour la croissance et à dégager un consensus acceptable à son égard. ». En voulant aller plus loin que le mandat original qui lui était proposé par José-Manuel Barroso («établir un rapport contenant des options et des recommandations »), Mario Monti a vu juste : la relance du marché unique ne peut se faire que dans une analyse plus large, qui comprend notamment une réflexion sur les causes du déclin de l’adhésion au projet européen. Avec raison, Mario Monti part du principe que le marché unique est un projet politique qui, pour reprendre les termes du mandat de José-Manuel Barroso, «a été et demeure la pierre angulaire de l’intégration européenne et de la croissance durable» .
Cela dit, si dans sa cartographie des soutiens et des attitudes face au marché unique, pays continentaux à économie sociale de marché, pays anglo-saxons, nouveaux Etats Membres, Pays nordiques, Mario Monti esquisse l’idée d’un «nouveau deal» entre pays anglo-saxons et économies sociales pour relancer le marché unique, ses propositions restent assez conjoncturelles et D, Belgique), il conviendrait plutôt d’appeler la Commission à procéder à un examen d’envergure sur les conséquences des libéralisations des services publics en Europe et de proposer un plan d’action sur la base des résultats de cet «audit ». Aujourd'hui en effet, si ces libéralisations se poursuivent à la suite de choix, que l'on peut pour certains regretter, entérinés de longue date par les Etats membres, leur mise en œuvre fait trop souvent primer l'idéologie sur l'intérêt général ou même le simple intérêt des consommateurs
De plus, les services d’intérêt général, encadrant les missions de services publics au niveau européen, sont trop peu évoqués, alors que la question reste centrale pour bien des citoyens européens. Elle devrait faire l’objet d’une discussion politique profonde, entreprise au niveau de la Commission et des acteurs européens, syndicats, élus et collectivités, entreprises, notamment dans une optique de rapprocher les citoyens du Marché unique et de répondre aux critiques pointant la soi-disant incompatibilité du marché unique et des services publics. A ce titre il est important de faire progresser et prospérer l’idée d’une directive-cadre (et non d’un paquet) sur les services publics en allant au-delà de la notion – insuffisante- de service universel.

De manière générale, on pourrait regretter, avec Philippe Herzog et Carol Ulmer , que le rapport se concentre sur les blocages et les chaînons manquants et ne revienne sur la question de la carence des biens communs européens, à savoir l’éducation, le marché du travail ou les réseaux transfrontières. Les politiques structurelles et les politiques d’appui font également partie des grands absents du rapport.
1.3 - POLITIQUES D’APPUI (COHESION, EDUCATION, RECHERCHE ET INNOVATION) : LES SILENCES DU RAPPORT
Autre déception : le rapport passe trop rapidement sur les politiques d’appui à la compétitivité européenne (politique de cohésion, recherche et innovation, éducation).
Ainsi, dans la partie consacrée à la dimension régionale du marché unique, on constate une asymétrie entre le constat- juste- d’un changement de rôle de la politique de cohésion : («Au fil du temps, la politique de cohésion de l’UE a nuancé son principe initial d’ «ajustement structurel » pour accorder une place plus importante à la dimension prospective consistant à encourager la réalisation des objectifs stratégiques de l’Union et à promouvoir le développement.[…] La transition vers une économie verte et numérique, la réorientation de l’industrie manufacturière vers des secteurs de haute technologie et la mobilité accrue des travailleurs dans l’Union provoqueront plusieurs changements.») et la faiblesse des propositions, certes intéressantes, avancées par Mario Monti : utiliser la politique de cohésion pour encourager les Etats membres à respecter les règles du marché unique et renforcer les dispositions en matière de lutte contre les délocalisations dans les règlements relatifs à la politique de cohésion.
Quant à la question de la politique industrielle, si on peut saluer la volonté de Mario Monti de la traiter à bras le corps, on pourrait rester réservé sur une approche dominée par les questions de concurrence et dans laquelle la question des investissements, notamment en Recherche et Développement, est éludée.
2 – LES AVANCEES DU RAPPORT MONTI : COORDINATION FISCALE, MOBILITE DES TRAVAILLEURS, LEVIERS D’ACTION POUR LE CITOYEN
2.1 - COORDINATION FISCALE ET APPROFONDISSEMENT DE LA CONCURRENCE : LE NOUVEAU DEAL EUROPEEN
L’une des propositions phares du rapport Monti consiste à formuler un nouveau compromis entre les quatre économies européennes identifiées, pays anglo-saxons, économies sociales de marché, nouveaux Etats membres, pays nordiques : «la nouvelle stratégie globale […] doit être traduite dans un train de mesures, dans lequel chaque Etat membre, en fonction de ses propres traditions culturelles, préoccupations et préférences politiques […], pourrait trouver des éléments attractifs pour justifier quelques concessions par rapport à ses positions passées ».
Parmi les mesures sur lesquelles pourraient avancer les pays anglo-saxons, Mario Monti insiste sur la coordination fiscale : «la nécessité de traiter la question des inégalités, à laquelle l’opinion publique accorde une importance croissante, dans un contexte de crise budgétaire pour de nombreux pays, peut conduire à une approche plus favorable à une coordination accrue des politiques fiscales ». Mario Monti déplore à juste titre que le paysage fiscal européen soit encore trop fragmenté, mettant en péril la compétitivité des entreprises et bloquant des opportunités : «la fiscalité environnementale pourrait soutenir les initiatives en matière de lutte contre le changement climatique ».
Montrant également que «le fonctionnement du marché unique –associé au processus, plus vaste, de mondialisation- exerce une pression croissante sur les systèmes fiscaux nationaux et pourrait, à long terme, entamer leur capacité à générer des recettes et mettre en péril les politiques sociales et de redistribution au niveau national» , Mario Monti prône un rapprochement entre systèmes nationaux pour «mettre fin à la tendance à privilégier les assiettes fiscales moins mobiles» tout en respectant le principe de souveraineté budgétaire.
Dès lors, il convient non pas d’aller vers une harmonisation fiscale totale, irréaliste et inutile à court et moyen terme, mais de progresser sur des aspects limités. Mario Monti identifie dans cette perspective trois domaines propices à une coordination des politiques fiscales : l’impôt sur les sociétés, les taxes sur la consommation (relever les taux de TVA ou restreindre l’application de taux réduits de TVA), la fiscalité environnementale.
2.2 - PLUS D’ACTIONS POUR LES CITOYENS (TRAVAILLEURS, CONTRIBUABLES, JUSTICIABLES, CONSOMMATEURS, ENVIRONNEMENT)
Si on peut regretter la carence du rapport en nouvelles propositions pour les citoyens, force est de constater que Mario Monti expose une vision claire des chaînons manquants du marché unique, en envisageant l’ensemble des dimensions des citoyens : consommateurs, contribuables, producteurs (dans le cadre de l’entreprise), employés, justiciables, hommes dans leurs environnements. A l’instar de Michel Barnier, qui l’a rappelé lors de son audition, Mario Monti envisage le marché unique en traitant l’ensemble de ces dimensions.
Ainsi, sur la question de la circulation des travailleurs, le rapport prône une «plus grande clarté dans la mise en œuvre de la directive concernant le détachement des travailleurs» , notamment par la mise en œuvre de mesures au niveau européen visant à renforcer la coopération entre administrations nationales.
Le rapport souligne également les insuffisances de la reconnaissance mutuelle des diplômes. Dans ce domaine, il serait utile de reprendre des directives sectorielles, compte tenu de la grande diversité et des professions et des règlementations.
En matière de protection des travailleurs, le rapport suggère une intéressante proposition : «une intervention ciblée permettant de mieux coordonner les interactions entre les droits sociaux et les libertés économiques dans le cadre du système de l’UE ». Cette intervention s’illustrerait par l’utilisation du règlement (CE) n°2679/98 en y insérant une disposition garantissant que le détachement des travailleurs n’entrave pas le droit de mener des actions collectives ou de faire grève, sur le modèle des amendements à la directive Services.
Sur la question du consommateur/justiciable, le rapport revient sur la nécessité de mettre en place des services d’aides aux consommateurs plus efficaces et plus accessibles : renforcer la coopération administrative, grâce au portail e-justice, prévoir un mécanisme européen pour le recours collectif, améliorer la transparence des frais bancaires. Longtemps hésitantes, les institutions européennes, Commission et Parlement, doivent aujourd’hui traiter ce dossier et en faire une priorité.
Par ailleurs, le rapport aborde à juste titre la question de la «judiciarisation» de la société : si le droit d’obtenir une indemnisation pour des dommages consécutifs à une infraction au droit de l’UE est le même pour tous les citoyens de l’UE, l’accès à ce droit est variable. Les voies de recours et les procédures diffèrent d’un État membre à l’autre, puisqu’elles sont inscrites dans le système juridique national. Il en résulte une forte inégalité entre États membres sur le plan de la protection du droit à indemnisation. Des experts ont calculé que le montant des indemnités non recouvrées dans l’UE pouvait atteindre plus de 20 milliards par an. Il semble donc urgent de s’attaquer à ce problème, en particulier lorsqu’il s’agit d’infractions aux règles de concurrence. Une initiative législative pourrait servir à créer, dans tous les États membres, des garanties minimales qui permettent aux victimes d’infractions au droit de la concurrence de faire valoir effectivement leur droit à une indemnisation devant les tribunaux nationaux.
2.3 - PLUS D’OPPORTUNITES POUR LES ENTREPRISES
Une large partie du rapport est consacrée à la résolution des chaînons manquants du marché unique pour les entreprises. Plusieurs propositions sont particulièrement intéressantes dans une perspective progressiste.
La question des marchés publics notamment. Mario Monti propose de mettre les marchés publics au service de l’innovation, de la croissance verte et de l’inclusion sociale, en introduisant des critères obligatoires spécifiques . Il propose également de clarifier le droit des marchés publics et de préciser les règles sur les contrats in house ainsi que de faciliter l’accès des PME aux marchés publics. Il soutient également que des efforts supplémentaires devraient être réalisés afin de faciliter l'accès des entreprises européennes aux appels d'offre de nos partenaires commerciaux.
Le rapport propose également d’avancer sur le dossier de la société privée européenne et d'accélérer la mise en œuvre du «Small Business Act».
Il préconise enfin d'étendre le marché unique à de nouveaux domaines et en particulier de "façonner le marché unique européen du numérique" en remédiant à la fragmentation du commerce électronique et des marchés de contenus en ligne, à l'inadéquation de la législation relative à la propriété intellectuelle et au manque d'infrastructures à haut débit.
3 – DU RAPPORT MONTI A UN PROGRAMME EUROPEEN PROGRESSISTE?

Sur de nombreux points, le rapport esquisse des compromis entre Etats et entre forces politiques et sociales susceptibles de fonctionner et avance des propositions intéressantes. Certaines devraient cela dit être écartées et quelques lignes rouges arrêtées pour porter une vision progressiste, ayant notamment l’objectif de rapprocher le modèle européen du modèle nordique , dans le cadre de futures négociations ou de propositions programmatiques.
Au vu des nombreux obstacles aux échanges qui subsistent de facto au sein de l'UE, une relance du marché unique pourrait fournir de nouvelles opportunités aux entreprises et aux consommateurs européens et contribuer ainsi de façon significative à la croissance et à l'emploi. Pour obtenir l'adhésion des citoyens, un tel projet doit être étroitement lié à la volonté de définir en Europe un nouveau modèle d'économie sociale de marché. En effet, le marché intérieur doit être accompagné de régulations le mettant au service des impératifs de l'intérêt général et de garde-fous permettant de rompre avec la logique de mise en concurrence des systèmes nationaux.
Les progressistes doivent donc défendre l'idée que la relance du marché unique doit être l'occasion de définir en Europe un nouveau modèle d'économie sociale de marché reposant sur une concurrence saine et libre, non comme objectif absolu, mais comme moyen de permettre une croissance durable et plus inclusive. Le marché doit être « encastré » dans la société et demeurer un instrument au service des finalités que sont la prospérité et la cohésion sociale.
Quatre conditions doivent avant tout être remplies pour parvenir à cet objectif : avancer sur la voie de l'harmonisation fiscale, la garantie du maintien d’un degré élevé de protection sociale au niveau européen, une meilleure protection des services publics et l'émergence de véritables politiques d'intervention au niveau européen pour compléter le marché unique.

Les progressistes européens pourraient travailler dans cette perspective sur la base du rapport Monti en explorant les axes suivants :
3.1 - AVANCER SUR LA COORDINATION ET L’HARMONISATION FISCALE
Les propositions du rapport sélectionnant trois domaines, l’impôt sur les sociétés, les taxes sur la consommation et la fiscalité environnementale, pour avancer vers une coordination des politiques fiscales constituent une base intéressante de réflexion. Il s'agit en effet de trois domaines où l'existence de systèmes fiscaux nationaux se marie mal avec celle d'un marché unique et produit de nombreux effets pervers.
La coordination fiscale entre les gouvernements serait certes préférable au blocage politique qui subsiste actuellement sur ces sujets. Mais il n'est pas certain qu'il faille se résigner à abandonner l'objectif d'harmonisation fiscale.
En effet, l'harmonisation, en particulier dans les domaines où la concurrence fiscale est la plus dommageable – comme pour l'impôt sur les sociétés – pourrait faire partie d'un accord de type "New Deal" tel que Mario Monti lui-même le préconise. Les Etats qui refusent cette perspective (pays anglo-saxons et baltes notamment) pourraient l'accepter à condition de voir certains de leurs objectifs (levée de certaines barrières aux échanges, augmentation des financements européens…) repris à leur compte par les autres Etats membres. Ce pourrait être également l'occasion, en lui affectant une part des recettes fiscales d'un impôt harmonisé au sein de l'UE, de traiter la question du manque de ressources propres du budget européen.
En tout état de cause, la coordination ne serait qu'une solution de second rang et ne ferait pas disparaître le risque de stratégies non coopératives, qui entraînent un report de la charge fiscale sur les assiettes les moins mobiles et donc sur le travail.
L'harmonisation de la fiscalité visant à internaliser les coûts environnementaux serait également logique au sein d'un marché unique. Au-delà des permis échangeables d'émission, la problématique de la fiscalité carbone concerne bien l'Union dans son ensemble. Laisser jouer la concurrence fiscale dans ce domaine n'est pas cohérent avec les objectifs ambitieux de l'Union européenne en matière de développement durable.
3.2 - UN MARCHE UNIQUE "POUR LES CITOYENS" REPOSANT SUR UN NIVEAU ELEVE DE PROTECTION SOCIALE
Le marché unique n'a de sens que s'il produit des bénéfices concrets et visibles pour les citoyens et si la concurrence qu'il introduit ne nuit pas à la cohésion sociale. C'est pourquoi son approfondissement doit être accompagné des régulations appropriées, notamment en matière de protection des consommateurs et de l'environnement. Mais cet impératif vaut aussi pour la protection sociale, qui depuis le début des années 2000 est devenue le "parent pauvre" du marché unique.
Des garanties doivent tout d'abord être mises en place pour s’assurer que la libre circulation des travailleurs et des services ne conduise pas au « dumping social ». Les quatre libertés du marché intérieur doivent être conciliées avec la clause sociale horizontale introduite par le Traité de Lisbonne, qui stipule que toute législation européenne doit satisfaire aux "exigences liées à la promotion d'un niveau d'emploi élevé, à la garantie d'une protection sociale adéquate, à la lutte contre l'exclusion sociale ainsi qu'à un niveau élevé d'éducation, de formation et de protection de la santé humaine". La directive sur le détachement des travailleurs qui prévoit le respect des normes sociales minimales du pays d'accueil est aujourd'hui mal appliquée. Au-delà des difficultés administratives et juridiques, les controverses auxquelles ce texte a donné lieu rendent indispensable que sa révision soit engagée et donne lieu à un véritable débat politique permettant de clarifier le niveau de protection jugé adéquat dans les cas de mobilité temporaire des travailleurs.
Les progressistes doivent plus généralement défendre les principes de protection sociale et des droits sociaux désormais inscrits dans la Charte des droits fondamentaux et qui devraient être communs à tous les citoyens européens, tels que le droit à l'action collective, l'égalité hommes-femmes, la protection contre le licenciement injustifié, le droit aux prestations de sécurité sociale, le droit à l'aide sociale, l'accès aux soins médicaux, la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle. En particulier, le droit à la mobilité doit être accompagné des droits sociaux sans lesquels il ne pourra rester qu'un droit formel : la coordination des régimes de sécurité sociale, la facilitation de l'accès aux soins transfrontaliers (dans un cadre acceptable pour l'équilibre financier des systèmes de santé) et la création d'un régime de pensions complémentaires spécifiques aux travailleurs transfrontière.
Au-delà de ces mesures d'accompagnement, une Union européenne mieux dotée budgétairement pourrait également mener de véritables politiques de solidarité. On pourrait ainsi envisager la montée en puissance du Fonds d'ajustement à la mondialisation pour accompagner les travailleurs victimes des mutations économiques, mais également un appui financier aux efforts d'investissement des Etats membres dans le capital humain ou à la mise en place de systèmes efficaces de sécurisation des transitions professionnelles.
3.3 - GARANTIR LES SERVICES PUBLICS AU NIVEAU EUROPEEN
Une directive cadre sur les Services d'Intérêt Général (SIG) – une proposition récurrente mais jamais concrétisée jusqu'à présent – devrait également être adoptée.
Elle doit notamment mettre en œuvre les principes du protocole annexé au Traité de Lisbonne reconnaissant une large autonomie des Etats membres quant à leur organisation et à leur financement. Cela signifie en particulier que la légitimité de choix nationaux différents quant à la gestion marchande ou non marchande de certains services doit être pleinement reconnue.
Mais dans le même temps, les services publics ne peuvent être soustraits au droit de l'Union européenne : il est indispensable de clarifier leur cadre juridique. D'abord en reconnaissant leurs finalités et leurs principes propres dans un texte horizontal. Ensuite en distinguant entre les règles applicables aux services de nature économique et celles applicables aux services que les Etats membres ou les collectivités choisissent de soustraire à la logique concurrentielle. Le régime des aides d'Etat et le droit des marchés publics devraient faire une place à ces choix politiques légitimes en évitant de fixer des contraintes disproportionnées par rapport à leur impact sur le marché unique. Mais le cadre européen doit être clair et acceptable par tous : il doit donc permette d'éviter tout protectionnisme déguisé. Cela signifie qu'il faut accepter que les dérogations au droit commun du marché unique ne sont justifiées que dès lors qu'il existe une définition de missions de service public et que les principes fondamentaux du service public sont respectés.
Au-delà de ce cadre général, les progressistes doivent viser tout particulièrement une meilleure protection des services sociaux d’intérêt général et veiller à leur exclusion complète du champ de la directive "services" et du droit commun des aides d'Etat.
3.4 - RENFORCER LA POLITIQUE DE COHESION ET PERMETTRE L'EMERGENCE DE POLITIQUES EUROPEENNES STRUCTURANTES
La politique de cohésion est le corollaire indispensable du marché unique, l'instrument d'une convergence "par le haut" des niveaux de vie et un outil essentiel pour articuler les stratégies de développement des territoires avec les priorités politiques européennes. L’objectif de la ‘cohésion territoriale’ introduite par le traité de Lisbonne semble aujourd’hui on ne peut plus essentiel. La crise appelle en effet une solidarité renforcée entre régions européennes. Le débat qui s'engage aujourd'hui sur le cadre financier post-2013 ne doit pas être le prétexte à une révision à la baisse des ambitions européennes en la matière.
Bien au contraire, la politique de cohésion – qui est d'abord une politique de solidarité – devrait être accompagnée d'autres politiques communes fortes pour compenser les insuffisances du marché et relancer la croissance : l'investissement dans la recherche et le développement et dans les infrastructures – notamment les réseaux européens transfrontières – est aujourd'hui largement insuffisant. La mise en place de ces politiques "structurantes" nécessiterait la montée en puissance d'un budget européen qui ne peut jouer un rôle la concurrence qui stimule", mais aussi et avant tout sur notre capacité d'innovation et sur la relance de l'investissement public.
En définitive, tout l’enjeu du débat ouvert par le rapport Monti, pour les progressistes européens, est de parvenir à dépasser la perspective traditionnelle sur le marché unique pour garantir une société européenne plus juste socialement et plus durable. Le renforcement du marché unique doit s’accompagner de garanties en matière fiscale, sociale et de protection des services publiques, ainsi que de politiques européennes structurantes pour relancer la croissance et la compétitivité européenne. Malgré un constat juste, Mario Monti ne s'engage pas suffisamment dans cette voie.
Pourtant, comme le montre Mario Monti dans son rapport, il y a urgence. La lassitude du marché et la lassitude de l’intégration représentent une menace grave pour la croissance européenne. La tendance au protectionnisme, à la fermeture aux travailleurs étrangers et à la création de champions nationaux se fait de plus en plus sentir : elle se manifeste sur les plans politique, économique et social. Le projet européen a besoin d’un nouvel élan. Récemment encore, Jacques Delors appelait de ses vœux les «architectes » de l’Europe . C’est le devoir des progressistes de trouver aujourd’hui le moyen de «prendre au piège» les souverainetés récalcitrantes, notamment sur les questions fiscales.
La crise concourt elle-même à une prise de conscience des Européens : sans accompagner l’euro d’un fédéralisme budgétaire et de solidarités plus profondes entre les Etats, notamment en matière de politiques économiques, la construction européenne est condamnée à l’échec.
Souhaitons que le projet de "Single Market Act" en préparation prenne en compte ces exigences. De leur côté, les progressistes européens, décomplexés sur la nécessité d’une relance du marché unique à condition qu'il s'accompagne d'une volonté de création d'un nouveau modèle d'économie sociale de marché pour l'après-crise, doivent inclure l’ensemble de ces thématiques dans leur réflexion. Il en va de la pérennité du modèle social européen dans un contexte mondialisé.

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