Thomas Pierret

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Billet de blog 7 février 2012

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Le Courant National Syrien, un concurrent pour les Frères Musulmans?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le 11 décembre dernier, douze opposants syriens annonçaient, depuis le Caire, leur décision de former un « Courant National Syrien » (CNS, al-tayyar al-watani al-suri) (1) au sein du Conseil National Syrien basé à Istanbul. Bien que son nom ne l’indique pas, ce nouveau groupe est d’inspiration religieuse puisque qu’il affirme « trouver sa source dans les objectifs (maqasid) authentiques de l’islam ». Par ailleurs, son président Imad al-Din al-Rachid, qui a fui la Syrie au printemps 2011, était jusqu’il y a peu le vice-doyen de la Faculté de Charia de Damas. Le CNS se pose très clairement en rival des Frères Musulmans, principale force islamiste au sein du Conseil National Syrien. Dans cette lutte d’influence, la nouvelle formation n’est pas dénuée d’avantages comparatifs. 

Le premier de ces avantages comparatifs est d'ordre générationnel puisque comme al-Rachid, né en 1965, les cadres du mouvement sont nettement plus jeunes que ceux des Frères Musulmans, déjà aux commandes lorsque le mouvement fut éradiqué en Syrie au début des années 1980. A ce propos, le CNS insiste également sur le fait qu'à la différence des Frères, il n'est pas un mouvement d'exilés coupés des réalités de l'intérieur depuis des décennies. Les deux-tiers de ses 35 membres fondateurs vivent toujours en Syrie et ceux qui siègent au Conseil National Syrien n'ont quitté le pays que récemment. Al-Rachid, en particulier, dispose de solides réseaux au sein de l'élite religieuse syrienne. Par ailleurs, il n'est pas novice en matière politique puisque dès 2007, il avait soutenu deux candidats indépendants aux élections législatives, dont un avait été élu dans la circonscription de Damas-Campagne. 

Le CNS présente une structure originale puisqu’il ne s’agit pas d’un parti ou d’un mouvement idéologiquement homogène mais d’une ombrelle politique rassemblant des composantes très diverses : 

a. Trois tendances islamistes

- des « islamistes libéraux », terme qui désigne ici des individus issus du Courant Islamique Démocratique Indépendant, un réseau assez lâche de militants en faveur de la démocratie qui s'est développé durant la dernière décennie ; certains d'entre eux sont inspirés par les écrits de Jawdat Said, un théoricien de la non-violence dont les émules sont très actifs dans la banlieue damascène de Dariya

- des représentants de l’« islam des mosquées », c’est-à-dire l’islam conservateur des oulémas et de leurs groupes de prédication informels tels que Jamaat Zayd, un puissant réseau d’éducation religieuse damascène dont les leaders ont été réduits au silence durant l’été dernier

- des salafistes ; la cohabitation de salafistes et d'islamistes libéraux peut surprendre mais n'est pas totalement neuve en Syrie, où des représentants de ces courants se sont parfois rapprochés du fait de leur commune ostracisation par l'establishment religieux traditionaliste

b. Deux tendances laïques

- d’anciens représentants de la gauche (communistes, nassériens) vivant en Syrie

- des libéraux vivant en Occident

Quel socle commun peuvent bien partager des acteurs aussi hétéroclites ? Il s'agit, explique le leader du mouvement, du "référentiel" (marja'iyya) islamique, conçu soit comme une source de législation, dans le chef des islamistes, soit comme simple identité civilisationnelle, s'agissant des laïcs. En d'autres termes, il est possible de ne pas adhérer à l'islam en tant que foi mais de s'y rattacher sur le plan culturel. On retrouve ici les thèses culturalistes développées de longue date par certains penseurs islamistes modérés soucieux de démontrer que l'agenda islamiste n'exclut ni les minorités religieuses, ni les laïcs. Ces thèses, présentes dans le programme des Frères Musulmans syriens, ont été approfondies par Imad al-Din al-Rachid afin de mettre en avant le concept de citoyenneté au sein de ce qu'il appelle la "patrie musulmane" (al-watan al-muslim).

S'agissant de la stratégie à adopter pour renverser le régime, le CNS se démarque des partisans d'une intervention militaire étrangère, craignant que celle-ci ne s'accompagne d'une mise sous tutelle de la Syrie. Il considère dès lors que la seule alternative au maintien du régime est la lutte armée et appelle par conséquent les Syriens exilés à soutenir matériellement l'Armée Syrienne Libre. 

Notes

(1) La traduction officielle anglaise du nom du CNS est "Syrian National Movement", l'anglais ne permettant pas vraiment de rendre l'arabe tayyar ("courant").

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