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Docteur en sciences humaines (spécialité : histoire du livre et de l'édition), écrivain, conseiller littéraire

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Billet de blog 26 mars 2011

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Outreau : la partie n'est pas finie...

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Outreau : suite. Consultable depuis près de deux semaines sur la Toile, la vidéo de Chérif Delay, l'aîné des enfants victimes dans ce dossier - court extrait de sa confession qui apparaîtra dans le documentaire que le journaliste Serge Garde est en train de terminer - commence à provoquer de sérieux remous.

Ce vendredi 25 mars 2011 est mis en ligne sur le site de France Info un article de Matthieu Aron : « Outreau : contre-enquête sur une vidéo-choc ». (1) Le texte est accompagné de fichiers audio avec intervention de Serge Garde, Me Eric Dupond-Moretti (un des principaux avocats de la défense intervenus dans cette affaire), et Stéphane Durand-Souffland, président de l'Association de la presse judiciaire. Manifestement de mauvaise humeur - et on le comprend ! - la terreur des cours d'assises n'y va pas avec le dos de la cuillère. Petit échantillon :

Attaques contre Serge Garde : « Je sais juste qu'il s'est déjà illustré dans sa couverture de l'affaire du petit Grégory en défendant les thèses les plus fantaisistes. » Lesquelles ? Précisez, Maître ! Pour rappel, dans son ouvrage « Affaire Grégory Autopsie d'une enquête » (Paris, Messidor, 1990), le journaliste de « L'Humanité Dimanche » soutenait l'idée d'une noyade de l'enfant dans une baignoire ou un lavabo, en s'appuyant sur le travail du docteur Duprez, qui avait constaté qu'il n'y avait ni corps étrangers ou particule végétale dans les poumons du petit Grégory. (2) Hypothèse qui n'a rien de fantaisiste, que la Justice elle-même n'a pas écarté - voir l'arrêt de non-lieu N° 32/93 en faveur de Christine Villemin de la chambre d'accusation de la Cour d'Appel de Dijon (p. 21).

Chérif Delay ? Un menteur, entre autres parce qu'il affirme dans la vidéo avoir été témoin du viol d'Aurore, la fille aînée de Sandrine Lavier (qui vient d'avoir 18 ans) : « cette jeune fille a été expertisée, [...] elle était vierge à l'époque, [...] elle dément formellement ce viol, elle dit que tout est faux, qu'il n'y a rien de vrai dans cette histoire » Marie-Christine Gryson, psychologue clinicienne ayant examiné Aurore durant l'instruction, l'a dit maintes fois : il existe des pratiques sexuelles dites « prudentes » qui laissent l'hymen intact, et les fellations et sodomies dénoncées par la petite à l'époque sont également des viols. Aurore dément avec force aujourd'hui ? Admettons. Outre le fait que Thierry Delay a bel et bien été condamné pour avoir violé cette enfant - c'est écrit dans l'arrêt de la cour d'assises de Saint-Omer du 2 juillet 2004 - qu'il me soit permis de rappeler ses déclarations faites à Charlotte Trinelle, rapportées par celle-ci dans son expertise psychologique datée du 16 juin 2004 : « Pour moi, je pense qu'ils croient davantage les coupables que nous, les innocents. J'ai pas eu assez de courage, pas assez de force pour dire ça, si j'avais été en petit comité avec le Président, les avocats, si j'avais pas eu le regards des accusés, qui m'ont fait peur, j'aurais pu parler... » La psychologue clinicienne indiquait également : « Aurore présente encore aujourd'hui des indices d'une souffrance pouvant être consécutive à un traumatisme affectif et sexuel, mais la majorité de ces symptômes est déjà ancienne. Nous avons mis en évidence un syndrome de stress post-traumatique accompagné à un moment donné de symptômes dépressifs. » Du reste, la fillette avait maintenu ses accusations jusqu'au procès devant la Cour d'Appel de Paris à l'automne 2005.

Eric Dupond-Moretti s'en prend également avec virulence à la table ronde organisée par l'Institut de Criminologie le 24 février dernier sur le thème « La Parole de l'Enfant après la mystification d'Outreau », et à ses participants : Serge Garde, Marie-Christine Gryson, Pierre Joxe, tous des adeptes du « révisionnisme judiciaire » ! Un climat de « révisionnisme judiciaire » que le journaliste Stéphane Durand-Souffland trouve « extrêmement dangereux ». S'incliner devant l'autorité de la chose jugée, à savoir les deux verdicts de cours d'assises du 2 juillet 2004 et du 1er décembre 2005, soit. Mais l'auxiliaire de justice qu'est le célèbre avocat lillois doit savoir aussi bien que moi que la vérité judiciaire, si elle doit être respectée, n'est pas forcément la vérité absolue, un « Saint Graal ». C'est triste à dire, mais nombre de non-lieux et autres verdicts d'assises laissent des questions en suspens, un cortège d'interrogations (je ne vais pas en dresser une liste ici). J'ai eu l'occasion de l'écrire ailleurs : il y a trop de pièces manquantes dans le puzzle criminel outrelois. Du reste, si Me Dupond-Moretti souhaite s'en prendre aux contestataires de la chose jugée, qu'il aille plutôt chercher du côté de Dominique Wiel, qui, dans une lettre adressée aux deux aînés du couple Delay-Badaoui, et datée de septembre 2006, a osé écrire : « je n'ai jamais cru un mot de vos "salades", [...] je n'ai jamais cru à vos récits de viols, et même jamais cru à la culpabilité de vos parents » [condamnés à Saint-Omer] Je rappelle par ailleurs que dans un ouvrage co-signé Philippe Houillon et Elisabeth Fleury - respectivement rapporteur de la commission d'enquête parlementaire sur Outreau et journaliste au « Parisien » - on peut lire que, à l'exception des actes commis sur Chérif et ses frères, les couples Thierry Delay/ Myriam Badaoui et David Delplanque/ Aurélie Grénon n'ont été condamnés que pour des « viols imaginaires ». (3) Alors, exit les huit autres enfants reconnus victimes par l'institution judiciaire ?

Les vives réactions à la mise en ligne de la vidéo de Chérif Delay nous donnent un aperçu de ce qui se passera quand son livre co-signé avec Serge Garde paraîtra le 12 mai prochain aux éditions du Cherche Midi, et lorsque le film réalisé par ce même journaliste sera présenté au public. N'en déplaise à Me Dupond-Moretti : la partie n'est pas finie...

(1) http://www.france-info.com/chroniques-le-plus-france-info-2011-03-25-contre-enquete-sur-une-video-choc-524157-81-184.html

(2) P. 267-268. Pratiquement introuvable de nos jours, l'ouvrage de Serge Garde peut être considéré comme un collector.

(3) « Au cœur du délire judiciaire Ce que la commission d'enquête parlementaire sur Outreau a découvert », Paris, Albin Michel, p. 243.

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