Après un article sur Rupert Murdoch, nous allons nous intéresser au parcours de Roger Ailes, un homme trop méconnu en Europe et qui a influencé l'histoire des Etats-Unis et par conséquent la nôtre...
Cet article recoupe différentes informations et reprend de nombreux passages d'un très long article en anglais consacré à Ailes par rigorousintuition.ca ainsi que des documents issus de la Tobacco Documents Librairy
Résumé:
En tant que consultant politique, Ailes a préparé Richard Nixon pour la télévision en 1968, a mis sous le tapis la démence de Ronald Reagan pour sa réelection en 1984, a sans vergogne attisé les craintes raciales pour faire élire George HW Bush en 1988, et a mené des campagnes secrètes pour l'industrie du tabac au moins depuis 1988...
Roger Ailes a également construit Fox News « Fear Factory » la machine de propagande la plus rentable de l'histoire dont il est le patron encore aujourd'hui.
Pour comprendre Fox News, qui appartient à Rupert Murdoch via News Corporation, nous devons comprendre son président Roger Ailes.
Il a littéralement construit Fox News à sa propre image. "Murdoch n'a presque aucune implication avec Fox News", dit Michael Wolff, qui a passé neuf mois à News Corporation pour faire une biographie de Murdoch "Les gens ont peur de Roger ! Murdoch lui-même, a peur de Roger car il a amassé un énorme pouvoir au sein de la société - et l'intérieur du pays - grâce au succès de Fox News"
La peur, c'est précisément ce que vend Ailes: Son réseau n'a cessé de relayer des menaces fantômes comme la "mosquée de la terreur" près de Ground Zero, inspirant un pasteur, Terry Jones à brûler le Coran.
En privé, Murdoch est aussi impressionné par le sens des affaires de Ailes qu'il est dédaigneux de ses politiques extrémistes. «Vous savez Roger est fou». Murdoch a récemment déclaré à un collègue en secouant la tête en signe d'incrédulité. "Il croit vraiment ce genre de choses."
Regarder Fox News c'est "la colère, l'emphase, la série paranoïaque virulente, les appels incessants au ressentiment des blancs, la déclaration qui a valeur d'information..."
Bref du lavage de cerveau qui ferait presque passer la télévision française pour autre chose que de la vente de cerveau disponible pour coca cola...
En France, la télévision joue un rôle tout aussi délétère, mais de façon plus subtile... quoique...
Ailes dit avoir fait une rupture avec son passé politique, bien avant 1996, année où il s'associe avec Murdoch pour lancer Fox News. «J'ai quitté la politique, parce que je détestais ça »
Mais l'examen de sa carrière révèle que Ailes a utilisé Fox News comme moyen d'une nouvelle forme de campagne politique - celle qui permet au parti républicain (GOP) de contourner les journalistes sceptiques, de mener un lavage de cerveau 24 heures sur 24 et une agression partisane sur l'opinion publique.
Fox News est une sorte de théâtre créé pour imiter les apparences d'un média d’information, camouflant habilement la propagande politique en prenant les airs du journalisme indépendant (Fox News n'a pas le monopole de ce genre d'imposture, mais a poussé le "raisonnement" jusqu'au bout et à une très grande échelle!)
Le résultat est l'une des machines politiques les plus puissantes de l'histoire américaine qui a joué et joue encore un rôle de premier plan dans la définition des sujets de débats républicains et pour faire progresser l'extrême droite.
Revenons donc au parcours de Roger Ailes
En 1967 Ailes a rencontré l'homme qui allait faire de lui le plus grand agent politique de sa génération: Richard Milhous Nixon. L'ancien vice-président, dont l’attitude guindée et en sueur lors du débat contre John F. Kennedy avait brisé son destin de candidature à la présidence en 1960, était en tournée médiatique pour réhabiliter son image.
Ailes aurait dit à Nixon:
"L'appareil ne vous aime pas", "La télévision n'est pas un gadget","Et si vous pensez que c'en est un, vous allez perdre à nouveau."
L'échange a été un moment déterminant pour les deux hommes. Nixon était convaincu qu'il avait rencontré un petit génie qui pourrait le faire apprécier par le public américain.
C'est en travaillant pour Nixon que Ailes a expérimenté la fin de la distinction entre le "journalisme" et la "politique", avec son talent pour la manipulation de l'image politique qui trouve son expression ultime dans Fox News.
Il savait que son candidat était un "désastre" à la télévision. "Vous le mettez à la télévision, vous avez un problème tout de suite», a dit Ailes au journaliste Joe McGinniss en 1968. "Il semble que quelqu'un lui a accroché dans un placard du jour au lendemain, et il saute dans la matinée avec son costume tout retroussé et commence à courir le monde en disant:" Je veux être le président."
Ailes trouvait que les médias étaient hostiles aux républicains. Le "seul espoir était de faire sans la presse et d'aller directement parler au peuple" - laissant la campagne elle-même à façonner l'image du candidat à l'électeur moyen », sans que cela soit interprété pour lui par un intermédiaire."
Pour contourner les journalistes, Ailes fait de Nixon la star de son propre voyage-spectacle avec une série d'"événements" à travers le pays.
Nixon apparaît devant la caméra dans des salles remplies de partisans du GOP - "une machine à applaudir", a déclaré Ailes, "c'est tout ce qu'ils sont."
À l'époque, Nixon a consciemment attisé la colère des électeurs blancs qui s'estimaient lésés par les avancées du mouvement des droits civiques...
Ailes a ainsi remplacé les journalistes professionnels par des "électeurs" qu'il pouvait manipuler à volonté.
«Les événements n'ont pas été mis en scène, ils ont été fixés», explique Rick Perlstein, l'auteur de Nixonland: la montée d'un président et la fracturation de l'Amérique. «Les gens étaient censés poser des questions difficiles Mais poser une question difficile -. Encore moins savoir comment assurer le suivi -demande une certaine compétence , prenant ce rôle des mains de journalistes et le mettre dans celles d'amateurs inexpérimentés était génial en soi. "
Les vrais journalistes? "Fuck 'em", a déclaré Ailes. «Ce n'est pas une conférence de presse - il s'agit d'une émission de télévision Notre émission de télévision et la presse rien à faire sur le plateau..». Le jeune producteur contraint les journalistes à regarder les événements en coulisses sur un écran de télévision - tout comme le reste de l'Amérique.
En 1974, sa notoriété de la campagne de Nixon lui a valu un emploi à la Télévision Nouvelles incorporated (TVN) un nouveau réseau de télévision de droite avec une devise délibérément trompeuse que Ailes fera plus tard comme sienne: «juste et équilibrée».
Le projet archiconservateur du magnat Joseph Coors a été conçu pour injecter une forte dose d'extrême-droite dans les bulletins de nouvelles locales en fournissant des clips d'actualités que les stations puissent utiliser sans crédit - et pour une fraction des coûts réels de production. "peu à peu, subtilement, lentement" injecter "notre philosophie dans les inouvelles" (news)
Le réseau était, selon les mots d'un directeur qui a démissionné en signe de protestation, une " machine de propagande. "
Ailes avait compris avant d'autres l'intérêt de faire confondre un communiqué de presse avec une véritable information...
Mais Ailes n'est pas seul aux commandes, des journalistes s'opposent à cette vision et le modèle économique n'est pas encore rentable, d'où l'échec en 1975 de TVN.
Après l'échec de TVN, Ailes revient à la "consultation politique":
Il a aidé à faire élire deux présidents les plus conservateurs, Ronald Reagan (1984) et George HW Bush (1988)
En 1984, Reagan a 73 ans et a mal négocié son premier débat de la campagne présidentielle avec Walter Mondale. Ailes prépare le président pour la prochaine épreuve de force.
À l'époque, Reagan commençait à montrer des signes précoces d'une démence ( cf Chirac en 2002...)
Son âge et son acuité devenait une question centrale dans la campagne. Ailes - un vétéran de l'équipe médias de Reagan en 1980, qui supervisait la création du "Morning in America" légendaire campagne - savait qu'un bon coup de com' dans un débat pourrait faire la différence le jour du vote.
Ailes était surnommé par l'équipe Reagan comme "Dr. Feelgood "
Le message est simple: Il faut "abandonner les faits et les chiffres". "Vous n'avez pas été élu sur des détails, vous avez été élu sur les thèmes"
Pour Ailes, le conseil reflète une croyance fondamentale: les gens regardent la télévision émotionnellement. Il a donc "armé" Reagan pour repousser toute question au sujet de son agilité mentale.
«Je veux que vous compreniez que aussi je ne ferai pas l'âge d'une question de cette campagne», clin d'œil de Reagan. «Je ne vais pas exploiter, à des fins politiques, la jeunesse et l'inexpérience de mon adversaire."
Et Reagan est réélu largement... Plus de détails sur la page wikipédia de Ronald Reagan.
Quatre ans plus tard, pour les nouvelles élections présidentielles, Ailes était évidemment très demandé par l'ensemble du camp républicain.
Après avoir entendu toutes les propositions, Ailes a accepté de travailler pour Bush.
Parallèlement son activité de consultant politique, Ailes se fait recruter par l'industrie du tabac pour différentes missions.
D'abord, Lorillard, Philip Morris et RJR font appel à lui en 1988 pour la campagne "Californians Against Unfair Tax Increase"
Le contenu du contrat est à télécharger à la fin de l'article. Ci-dessous un message du "Tobacco Institute" du 7 octobre 1988.
Ci-dessous un article de presse sur le sujet daté du 26 octobre 1988.
Le 9 novembre 1988, Bush est élu Président des Etats-Unis. Ailes reçoit le lendemain un courrier adressé par Lorillard pour le féliciter...
Pour en savoir plus sur Roger Ailes et l'industrie du tabac: SourceWatch et ici
En 1993 - un an après avoir affirmé qu'il s'était retiré du conseil aux entreprises - Ailes a signé un accord secret avec Philip Morris et RJ Reynolds pour attaquer l'administration Clinton sur son objectif central: la réforme des soins de santé.
"Hillarycare" devait être financé en partie par une taxe de 1 dollar par paquet de cigarettes. Pour bloquer la proposition, Big Tobacco a payé Ailes pour produire des publicités mettant en évidence "de vraies personnes touchées par l'impôt."
Selon les notes internes, Ailes a également étudié comment Philip Morris pourrait créer un groupe de façade factice appelé la "Coalition pour un financement équitable des soins de santé"
Dans un précurseur du Tea Party moderne, Ailes a conspiré avec les compagnies de tabac pour déclencher des appels téléphoniques de "fumeurs en colère" au Congrès et même transporter 17.000 employés de tabac à la Maison Blanche pour une manifestation de masse!
En 1996, il est recruté par Rupert Murdoch, qui "travaille" aussi pour Philip Morris depuis 1989, pour créer Fox News.
Dans l'article que nous reprenons, on trouve une belle description du personnage: "Ailes présente la figure classique du méchant au cinéma: chauve et obèse, avec des mains délicates, un visage à la Hitchcock et une démarche de bucheron"
Ailes est aussi tyrannique: "Je ne comprends que de l'amitié ou de la terre brûlée," que paranoïaque: convaincu qu'il a été personnellement visé par Al-Qaïda pour assassinat, il s'entoure d'une équipe de sécurité agressive et est autorisé à porter une arme dissimulée..."
Un petit mot sur Rush Limbaugh, dont voici la page wikipedia
"Ailes a mis en place une culture de 1700 personnes qui croient en elle, qui la suivent, qui l'exécute, Roger Ailes n'est pas dans l'air. Roger Ailes ne va jamais apparaître devant la caméra. Et pourtant, ce que tout le monde fait est un reflet de lui."
Rush Limbaugh était très populaire sur le petit écran, avec son émission de fin de soirée. Les cigarettiers ont donc demandé à Ailes et Limbaugh qu'ils fassent échouer la réforme des soins de santé.
Limbaugh: "Quand Roger Ailes est dans votre équipe, vous ne perdez pas."
Ailes a également aidé à créer le Tea Party, le transformant de "cible de blagues de fin de soirée" en une "insurrection nationale" capable d'élire les sénateurs américains.
Le Tea Party est aussi l'oeuvre de l'industrie du tabac... ( télécharger l'article en anglais en bas de page)
L'élection de George W. Bush en 2000 a révélé la véritable puissance de Fox News comme une machine politique. Selon une étude des modèles de vote par l'Université de Californie, Fox News c'est 200.000 bulletins de vote pour Bush dans les zones où les électeurs ont accès au réseau.
"Nous ne saurons jamais si Bush a gagné les élections en Floride ou non», explique Dan Rather, qui a assuré de la couverture des élections pour CBS ce soir-là. "Mais quand vous atteignez ce genre de situations, la capacité de contrôler le récit devient critique."
Fox news est devenue une machine si puissante que David Frum, l'ancien rédacteur de discours de Bush a déclaré "Les républicains ont d'abord pensé que Fox travaillait pour nous. Maintenant, nous découvrons que nous travaillons pour Fox."