Sous le titre "L'impression d'un coeur 3D sera un jour possible", le journal Libération a mis sur son site un film faisant la promotion d’une entreprise californienne qui tente l’impression à 3D d’organes. (http://www.liberation.fr/sciences/2012/11/30/l-impression-3d-d-un-coeur-humain-sera-un-jour-possible_864225) Le principe est de déposer des cellules en couches, séparées par une sorte de colle. De couche en couche des structures 3D peuvent être élaborées. Cette idée initialement due à Gabor Forgacs tarde à se développer et à produire de vrais organes ou tissus.
La cause est dite sur la fin du film : les organes doivent être vascularisés. Le principal problème pour créer des organes de remplacement artificiels est la diffusion de l’oxygène. On ne peut pas faire un bout de tissu de plus d’un millimètre dans sa 3e dimension, sans une vasculature. Or personne ne sait fabriquer une vasculature de taille variable, auto-adaptée à l’organe à perfuser. Seule la nature est capable de faire ça.
La nature le fait en partant de la plus petite échelle (un bout de capillaire de 10 microns environ) et l’agrandit de concert avec la croissance de l’animal lui-même en sorte qu’à tout moment, les débits croissent, et l’animal croît, et les deux se tenant par la barbichette, font s’accroître un animal convenablement vascularisé. C’est une question d’adaptation plastique de la forme supportant les débits (la tuyauterie). Voici un cœur de poulet vu au microscope, le poulet fait à ce stade environ 1cm et son cœur environ 0,5 mm. Le cœur bat parfaitement et fait circuler parfaitement un écoulement.
Le cœur peut, dans ces conditions, grossir pratiquement indéfiniment, pour devenir s’il le faut gros comme un piano. J’avais montré le cœur de la baleine bleue il y a longtemps (environ une tonne, ici une vue en maquette).
Nous sommes tous d’accord qu’il est possible de fabriquer des tissus inachevés, et de les laisser mûrir in vivo pour que, en se raccordant au tissu, en s’épaississant, se différentiant, ils deviennent plus physiologiques. Le problème est celui du millimètre, de dépasser le millimètre. On ne voit pas comment, en greffant à un malade un rein de 1mm, la croissance sera suffisante et suffisamment rapide pour avoir un intérêt médical. On ne voit pas comment, en partant de 1mm, on pourra refaire un cœur fonctionnel, un lobe de poumon, un foie, un testicule etc. etc.
Dans le cas des vessies et des urètres, la situation est plus simple car il s’agit de poches ou de tubes très fins, qu’on peut faire très grands (mais ils sont fins, donc ils s’oxygènent par diffusion dans la 3e dimension).
Ces organes sont simplement roulés dans un voile de mésentère, le jour où ils sont greffés au malade (le mésentère est un tissu vascularisé présent entre les intestins sous formes de feuillets, les organes roulés dans ce feuillet sont oxygénés par contact avec ce tissu). Ça marche, et l'équipe du médecin américain Anthony Atala fait cela couramment.
Mais le rein ? Le poumon ? J’ai beau me creuser la tête, je ne sais pas comment faire des systèmes vasculaires de taille variable, adaptables en débit et en morphologie continûment (avec des variations de débits de l'ordre d'un facteur cent mille). Il faudrait inventer un système artificiel de perfusion d’une grappe d’organes : rein, poumon, foie pancréas, que l’on sache faire progressivement grandir, en quelques mois ; on sait aujourd’hui faire les germes de rein, de poumon ou de foie, in vitro (sortes de minuscules polypes de moins d’un millimètre), il faut maintenant les faire grandir de façon industrielle. L’alternative évidemment est le clone complet, mais ça, ce n’est ni possible ni souhaitable. Cependant pensons-y : si je voulais faire un rein qui grandit continûment, il faudrait le vasculariser continûment. Le seul moyen serait de lui adjoindre un cœur qui croitra continûment. Mais il faudrait alors ajouter une rate, pour le sang, un poumon pour l’oxygénation, un intestin pour le nourrir, un foie pour la digestion de sa nourriture, et sans doute de la moelle osseuse pour qu’il ait un peu d’immunité. Bref, on voit poindre une sorte de monstre : une série d’organes sans âme, ce n'est guère mieux qu'un clône, mais un peu mieux quand même.
La grande percée, dans ce domaine, viendra donc de la personne qui trouvera la solution à ce problème. Prix Nobel dans un fauteuil.
Ci après, un film montrant l'adaptation de la vasculature pendant 2 jours de croissance d'un embryon de poulet (entre le jour 2 et 4). Très réduit hélas.